Revue de presse

"Qui en veut aux arbres de la laïcité ?" (liberation.fr , 6 fév. 14)

8 février 2014

"Depuis quelques mois, des arbres plantés pour célébrer la loi de 1905 sont décapités par des activistes anonymes qui défendent une France « catholique » et ciblent la « franc-maçonnerie ».

Depuis quelques mois, des déracineurs anonymes sévissent un peu partout en France. Leurs cibles : un ginkgo biloba par ci, un chêne vert par là. Ces arbres ont un point commun. Ils ont été plantés pour célébrer la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat. De Concarneau à Angers, en passant par Bordeaux et l’Essonne, les actes de vandalisme se multiplient. Si leurs auteurs passent pour l’instant entre les mailles des filets policiers, leurs motivations, elles, semblent claires : défense d’une France « catholique » et rejet de la « franc-maçonnerie ».

La commune finistérienne de Concarneau a été l’une des premières cibles. En 2006, un arbre d’un an est détérioré. Il est remplacé dans la foulée par un chêne d’Amérique. « Il a grandi, s’est renforcé, explique Pierre Bleuzen, de l’amicale laïque de la ville. Du coup, c’était plus dur de le casser. Il aurait fallu y aller à la tronçonneuse. » Mais cela ne décourage pas pour autant les déracineurs bretons. En décembre 2011, les décorations ornant l’arbre sont arrachées « avec beaucoup d’énergie ». Une plainte est déposée, la préfecture saisie, sans succès… Un site régionaliste d’extrême droite, Breiz Atao, salue la détérioration : « En terre chouanne, il y a encore de l’honneur chez les Concarnois pour ne pas se laisser embrigader d’une façon aussi grossière par des nostalgiques de 1793. »

Rebelote deux ans plus tard. « Tout ce qui était à portée de mains a disparu, notamment les décorations pour la célébration de l’anniversaire de la loi de 1905 : des figurines de Marianne, une cocarde, un ruban tricolore », se souvient Pierre Bleuzen. Les arbres de Noël, eux, sont épargnés. Pour le président de l’amicale laïque, l’action est préméditée. Il cible notamment la « mouvance catholique traditionaliste ». « Ces groupes qui n’acceptent pas la laïcité sont sortis du bois. Ils s’autorisent à prendre la parole, alors qu’ils ne le faisaient pas avant. »

A Bordeaux, il n’aura fallu que quelques jours pour que le ginkgo biloba planté par le comité Gironde-Aquitaine « Les arbres de la laïcité » ne soit scié. L’action se déroule dans la nuit du 20 au 21 décembre dernier. Là encore, les auteurs sont anonymes. Tout juste signent-ils leur action d’un tag « France catholique » à la bombe noire. « On replantera, autant de fois que nécessaire », martèle Marie-Christine Damian-Gautron, présidente du comité.

Même détermination chez Romain Colas, maire PS de Boussy-Saint-Antoine, dans l’Essonne, dont le robinier (une variété d’acacia) a été coupé fin janvier. « Il avait vécu sa vie pendant une bonne année, avant qu’on ne découvre, un matin, qu’il avait été scié, raconte l’édile. Ce n’était pas un acte de dégradation classique. C’était fait proprement, ce qui nécessite une préméditation. » L’élu, lui, ne se laisse pas abattre : « La symbolique en politique, ça compte. Cet arbre sera replanté. La République doit gagner contre les délinquants et les factieux. »

A Boussy, le sciage a en effet été revendiqué, dans un communiqué, par un mouvement nommé « Combattre la Franc-Maçonnerie ». Dénonçant la « mainmise de clans maçonniques […] réfugiés, en pleutres, derrière l’opacité qui protège leurs ambitions personnelles et derrière l’utilisation trompeuse d’une laïcité dévoyée », cette obscure organisation ne semble pas avoir digéré que le robinier de Boussy ait été planté à l’initiative des représentants locaux du Grand Orient de France. Un « parrainage » dont Romain Colas ne se cache d’ailleurs pas : « Je considère que la défense de la laïcité est une valeur que nous avons en commun. »

Daniel Keller, grand maître du Grand Orient de France, revendique l’attachement de son organisation à ces cérémonies : « Les arbres de la laïcité sont un symbole, qu’on peut d’ailleurs rattacher aux arbres de la liberté de la Révolution française. » Comme lui, Romain Colas s’alarme de la récurrence des décapitations d’arbres. « C’est l’action d’une frange extrémiste et ultra-minoritaire de la société française, mais qui a toujours existé, estime-t-il. Elle a eu une fenêtre pour s’agréger avec l’opposition au mariage gay. Ce mouvement m’inquiète car il se sent décomplexé. »

Une préoccupation partagée par Frédéric Béatse, maire PS d’Angers, où des serial coupeurs ont frappé à deux reprises. Une première fois en novembre 2013, une seconde en décembre. Lors de leur deuxième passage, les auteurs font passer un message, laissant un écriteau « Arbre à quenelle » et des inscriptions à la craie contre les francs-maçons. Pour le maire, cela « ne traduit pas un mouvement de fond, mais l’action d’un groupe d’excités ». Il cite notamment « la présence d’étudiants d’extrême droite à l’université ». Le responsable local du RED (Rassemblement des étudiants de droite, un mouvement extrémiste dissous en 2008) nie toute implication, même si la décapitation semble l’amuser.

Le site le « Rouge et le noir », gazette en ligne « catholique » et de « réinformation », salue l’action de vandalisme : « La République aime les arbres. Elle a fondé sa religion, la laïcité dont nous ne voulons pas, sur cet emblème qui figure au dos des pièces d’un et de deux euros. » Pas de quoi décourager Frédéric Béatse : « On replantera s’il le faut, ils finiront bien par se faire prendre. »"

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