Revue de presse

"Quelle histoire le voile raconte-t-il aux enfants ?" (J. Robert, huffingtonpost.ca , 28 nov. 13)

Jocelyne Robert, auteure, sexologue et sexosophe. 1er décembre 2013

"Tout le monde sait que la période de la naissance jusqu’à 6 ou 7 ans est cruciale pour le développement de l’enfant. Les pédagogues et autres spécialistes de l’enfance ne cessent de réclamer plus d’attentions, de budgets, de programmes destinés à aider les tout-petits à grandir.

C’est durant cette période :

  • que se noue et se dénoue (si tout se passe bien) ce qu’on a appelé les complexes d’Œdipe et d’Électre ;
  • que se structurent les bases d’une saine identité sexuelle et de genre ;
  • que l’enfant développe un sentiment d’appartenance à un groupe sexué ;
  • que se construit le sentiment de sa propre valeur ;
  • que s’organise la capacité d’attachement ;
  • que l’enfant intériorise, au contact des adultes qui l’entourent, ce qui en est d’appartenir à un sexe et comment se comportent les messieurs dames auxquels ils s’identifient, soit par similitude soit par complémentation.

Ici comme ailleurs, on occulte bien des questions dans le débat sur le voile. L’essentiel n’est-il pas que les enfants soient accompagnés, en garderie, par des femmes aimantes ? Pas tout à fait. C’est une pensée sympathique, mais un peu courte. Il faut aussi se demander ce que les enfants, eux, perçoivent de ce voile ? Comment le traduisent-ils ? Comment l’intériorisent-ils ? Comment celui-ci façonne-t-il leur perception de la féminité et de la masculinité ? Des questions, aussi muettes que fondamentales qu’il faut aborder.

Il est indéniable que le fait de côtoyer quotidiennement des femmes voilées a une incidence sur la représentation que se fait l’enfant de l’être féminin, du corps féminin. Même s’il s’agit du hijab, le fait que le visage ne soit vu que de face, tête recouverte, sans oreilles, sans cheveux et sans cou transmet forcément une image morcelée de la représentation humaine féminine.

Des bribes de l’histoire racontée par le voile aux tout-petits :

  • il y a une différente importante entre les hommes et les femmes ;
  • les femmes doivent se comporter différemment en présence des hommes ;
  • le corps de la femme, en tout ou en partie, est emprisonné alors que celui de l’homme est libre ;
  • le corps de la femme doit s’effacer du regard, s’éclipser ;
  • la femme baisse les yeux au passage de l’homme ;
  • la femme ne serre pas la main des papas, ce geste témoin de relations sociales conviviales ;
  • la femme n’est pas autorisée à sentir le vent dans ses cheveux...

L’éducatrice aura beau être aimante et merveilleuse, elle n’a aucune prise sur ce message inoculé à l’enfant, consciemment ou inconsciemment.

Dès la petite enfance, filles et garçons apprennent par mimétisme. Ils apprennent l’affection, l’amour, la joie, la peine, la peur, le dégoût, la tendresse, la fierté, la honte, la colère via les signaux émotionnels que renvoie le visage de l’adulte qui en prend soin. Par delà le langage, les micro-expressions et micros mouvements faciaux font comprendre à l’enfant ce qui est en train de se passer dans sa relation avec son interlocuteur. Mais aussi, ce qui se joue dans la relation de l’interlocuteur adulte, dans ce cas-ci son éducatrice, avec les autres enfants, avec les autres adultes, les autres hommes et femmes...

Pour favoriser l’échange, la communication, la reconnaissance de ce qui se joue dans une interaction humaine, le visage en entier doit être pleinement visible et accessible. [...]

Dès la petite enfance, les tout-petits apprennent par modélisation, c’est-à-dire par identification aux adultes qui gravitent dans leur univers. C’est maintenant chose connue : la manière dont ces adultes témoignent de ce que c’est qu’être une femme ou un homme, la manière dont ils et elles exercent les tâches et activités qui leur sont dévolues, la manière dont ils et elles transigent et évoluent avec les personnes de leur sexe et de l’autre sexe influence autant l’enfant que tous les discours. Je suis une fille, donc je reproduis les comportements et attitudes des femmes... Idem pour les garçons avec les hommes.

Et puis, les enfants sont insatiables de curiosité. Ceux de 3 à 6-7 ans sont inlassablement fascinés par la différence des sexes qu’ils découvrent. Que répondra l’éducatrice au bambin qui lui demande pourquoi elle porte le voile et pas son mari ? Que dira-t-elle à la gamine qui veut savoir pourquoi elle ne serre pas la main de son papa ? [...]

Le voile est un vêtement lourd de valeurs négationnistes et réductrices à l’endroit des femmes et des hommes. Il est tout sauf neutre. Par conséquent il n’a pas sa place dans les lieux d’éducation des enfants, fussent-ils privés ou publics.

Réprouver le port du voile, c’est combattre le racisme. Sexisme, misogynie et détestation des femmes ne sont-ils pas l’expression du racisme planétaire le plus répandu, destiné à cette moitié de l’humanité constituée de la « race des femmes » ?

Enfin, désapprouver le port du voile, faut-il le répéter, ne signifie pas combattre les femmes qui le portent. Bien au contraire. Cette simplification commence à frôler la mauvaise foi. Je ne me contrefiche pas que des femmes puissent perdre leur emploi en raison d’un apparat religieux qu’elles se sentent incapables de quitter. Du fond du cœur, je souhaite que cela n’arrive à aucune, mais...

Mais à titre de personne responsable, de pédagogue, d’ex-éducatrice en garderie, d’ex-formatrice auprès du personnel œuvrant auprès de la petite enfance, de mère et de grand-mère, j’ai d’abord à cœur l’épanouissement des enfants, lequel passe par la neutralité, indissociable de l’égalité : égalité entre les garçons et les filles, entre les hommes et les femmes, lutte aux stéréotypes sexuels et sexistes, activités mixtes accessibles aux deux sexes. [...]"

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