"Les villes toutes logées à la même enseigne" 21 juillet 2017
"Avec les fermetures des boutiques traditionnelles, les centres des agglomérations sont condamnés partout en France à l’uniformisation ou à la mort.
Que nous est-il arrivé ? Où sont-ils passés ces quincailliers, poissonniers, marchands de jouets, primeurs, droguistes qu’on trouvait en ville ? Pourquoi voyons-nous tant de rideaux de fer baissés, de « bail à céder » sur des vitrines sales ? Et pourquoi avons-nous entériné une bonne fois pour toutes que dans le centre, c’était mort ? Parce que c’est vrai.
Depuis 2010, explique l’Institut pour la ville et le commerce, le nombre de magasins vides a augmenté d’un point par an dans 190 agglomérations de plus de 25 000 habitants. Les taux de vacance commerciale y ont doublé. Le phénomène s’accélère et, bien qu’il soit « de plus en plus visible », il n’a encore « que très peu été étudié », écrit l’institut.
Voilà pourtant qu’une prise de conscience apparaît chez les politiques. Emmanuel Macron a posé lundi lors de la Conférence des territoires sur « la situation de déclassement des villes moyennes » cet engagement : « La priorité est de redonner vie aux centres-villes. » Le Président souhaite que le « gouvernement engage une action renforcée et transversale ». Très bien. Mais pour les moyens, l’Etat n’étant pas chargé d’ouvrir des boutiques, il s’agira de rationaliser les dispositifs et les dizaines de financements de soutien déjà disponibles.
Suffisant ? Pas sûr. A en juger par l’enquête qu’a publiée l’automne dernier Olivier Razemon sur la « dévitalisation des villes françaises », les dégâts sont sévères [1]. Dans Comment la France a tué ses villes, il décrit l’équation fatale : grandes surfaces de périphérie + parkings + prix écrasés = siphonnage garanti des centres-villes. Le tout avec une chasse à la taxe professionnelle qui a poussé les maires à multiplier les implantations d’hypers en périphérie. Aujourd’hui, l’addition est sévère pour les villes mais aussi pour la grande distribution. Depuis plusieurs années, les chiffres d’affaires des hypers excentrés sont à la baisse.
Le paradoxe, c’est que la consommation se porte comme un charme. En 2016, l’Insee assure que « la reprise amorcée en 2014 ne se dément pas ». Les ménages dépensent davantage (+ 2,3 % en volume et + 0,7 % en valeur). Les bénéficiaires de ces emplettes, ce sont les commerçants en ligne (+ 3,9 % en volume). Même si cette tendance recèle aussi des surprises. Ainsi une enquête de CBRE sur les natifs des années 2000 montre-t-elle que ces jeunes réalisent encore 70 % de leurs achats en magasin.
Cette embellie se voit-elle dans le paysage commercial ? Oui, mais d’une drôle de façon. Là où trônaient le Bazar du pont, Le Gagne-petit, Toute la pêche et des inattendus en tout genre, prospèrent maintenant les enseignes de chaînes que l’on voit partout.
Regroupé dans les rues les plus passantes, ce « commerce de flux », qui a bien compris que l’emplacement générait le montant de la recette, paie le prix de loyer qu’il faut, et le fait grimper au passage. Et la grande distribution découvre le centre avec ses Carrefour City, qui font partie du catalogue. D’après l’hebdomadaire professionnel LSA, la franchise représente plus de 60 % des commerces dans les grandes villes. Lille, considéré comme « peu équipé » en franchises, a quand même 52 % de ses magasins sous ce régime.
Tout cela ne relèvera sans doute pas les rideaux de fer des échoppes de Vierzon. Mais la grande nouveauté, c’est que la mort des centres-villes est devenue un sujet de débat qui intéresse les politiques. Quarante ans trop tard, mais bon…
Sibylle Vincendon"
[1] Ed. Rue de l’Echiquier, 18 €.
Lire aussi "Si l’on ne se croise plus que sur le parking de l’hypermarché, on ne se voit pas" (lepoint.fr , 10 juil. 17), Gaël Brustier : "Quand les commerces disparaissent, c’est le FN qui progresse" (slate.fr , 4 mars 16), France : "le déclin des villes de province" (The New York Times, 28 fév. 17) (note du CLR).
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