29 mars 2014
"Statues de Marie, crèches de Noël, tintement des cloches des églises… la présence de ces signes religieux qui habitent le quotidien sont de plus en plus fréquemment contestés devant les tribunaux au nom de la « laïcité ».
L’objet du scandale et de la discorde s’appelle Marie. La Vierge Marie. Outre que l’oxymore ne manque pas de sel, la reine du Ciel est aussi l’objet d’un drôle de paradoxe : elle se retrouve devant la justice des hommes. Sur les bancs du tribunal administratif de Grenoble, au coeur d’une bataille juridique ubuesque qui électrise les 6266 âmes de Publier, en Haute-Savoie. La fâcheuse, sise dans un parc de la commune depuis 2011, irrite la conscience des défenseurs de la laïcité. Il s’agit d’une « grave atteinte à la liberté de conscience des citoyens », « ce n’est pas dans les prérogatives d’un maire ou d’un élu de dire qu’un dieu ou une déesse existe ou n’existe pas », argumentent-ils. Un administré porte l’affaire en justice, suivi par une association de militants prônant la libre-pensée. Piqué au vif, le maire (DVG) vend la statue à une association cultuelle. Mais si elle n’est plus propriété du domaine public, la parcelle où elle est édifiée reste communale, elle. Qu’à cela ne tienne, l’élu décide de céder à la même association les 46 m² de terrain concernés. Au lieu de s’apaiser, les esprits s’enflamment. L’État, garant de cette grande valeur foncière, saisit la justice. « La manoeuvre est impossible » puisque « le bien est toujours utilisé par le public ou affecté à un service public », juge la préfecture de Haute-Savoie qui se rend devant le tribunal administratif de Grenoble pour s’opposer à la cession de la parcelle. « Pour la vendre, il fallait d’abord qu’elle soit déplacée du domaine public », grince-t-elle.
De plus en plus de contentieux de ce type viennent parasiter le quotidien des collectivités et encombrer les tribunaux. Aux débats sociétaux sur le port du voile dans l’espace public, la viande hallal dans les cantines, les prisons ou les hôpitaux, s’ajoutent désormais des querelles de riverains sur le déboulonnage de statues, la débaptisation de places « Jean-Paul-II », le muselage des cloches d’église sonnant les heures, l’interdiction de crèches de Noël sur la place du marché... « On étire le principe de laïcité jusqu’à l’essorer, résume le maire d’un village du Nord, condamné par la justice à enlever les santons installés sur la place du village. On nous parle de radicalisation religieuse avec la montée des communautarismes, mais ce qui est sûr c’est qu’on assiste à la poussée d’un intégrisme laïc qui conduit à tous les excès », s’indigne-t-il.
Ces crispations sont si fortes que l’Observatoire de la laïcité, créé en avril dernier par le président de la République, vient d’éditer un guide à l’usage des maires et des élus locaux pour « gérer » ces différends. Un mode d’emploi rappelant la loi avec des outils pédagogiques, jurisprudence à l’appui, pour appeler à « une laïcité d’apaisement », comme aime à le répéter son président, le socialiste Jean-Louis Bianco.
Il y a quelques semaines, à Scaër, dans le Finistère, c’est une maison de retraite qui a dû se séparer d’une Vierge à l’Enfant, au nom de la laïcité, sur plainte du parent d’un résident. La mosaïque trônait dans le hall d’accueil de l’établissement public, donnée par une association allemande amie de la commune depuis 20 ans.
À Noël, on s’en souvient, c’est la crèche des cheminots dans la gare SNCF de Villefranche-de-Rouergue, dans l’Aveyron, qui avait provoqué la polémique. Avec des santons, un « signe religieux ostentatoire », s’était plaint un usager, c’est à la neutralité d’opinion qu’on s’en prenait, c’est la laïcité qu’on pourfendait. Intolérable. Si bien que les agents qui avaient cette coutume depuis dix ans pour égayer leur gare l’avaient ostensiblement bâchée pour montrer leur mécontentement. « Une démesure ridicule ! » avait alors confié au Figaro Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité. « La présence de crèches sur la place du village, dans les maisons de retraite ou dans tout espace public est inadmissible, estime Yves Pras, président du Caedel Mouvement Europe et Laïcité. Non seulement cela ne respecte pas les autres façons de penser mais en plus cela ouvrirait la porte aux demandes des autres religions. »
À Boissettes, en Seine-et-Marne, ce sont les cloches de l’église qui ont cessé de sonner le 1er janvier 20143, sur décision de justice. Elles portaient elles aussi atteinte à la laïcité. Le couple plaignant, fraîchement installé dans la commune, a gagné, la cour d’appel de Paris s’étant appuyée sur la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État pour rendre son arrêt. Pour que les sonneries soient licites, a-t-elle dit, il eût fallu prouver qu’elles relevaient d’« usages locaux » antérieurs à la loi 1905. Faute de témoignages ou d’enregistrements de l’époque, naturellement la messe était dite.
« C’est clochemerlesque tout ça ! réagit Philippe Portier, directeur du Groupe sociétés, religions, laïcités au CNRS (La Laïcité, Éditions de la Documentation française, 2014). Mais ce n’est pas un fait nouveau dans l’histoire de la laïcité. Depuis la loi de 1905, l’intégrisme laïc a toujours existé. Au début du XXe siècle, certains maires remuaient ciel et terre pour faire interdire le passage de processions dans leur commune. » La différence aujourd’hui, pour lui, « c’est qu’on utilise l’arme du droit dans une société qui s’est de plus en plus judiciarisée ».
Mais, comme le rappellent les spécialistes de la loi de 1905, « si la laïcité est la neutralité religieuse dans les instances d’État et dans l’administration, elle n’est pas l’exfiltration des religions dans la vie publique mais la liberté de toutes, au contraire, à vivre et s’exprimer, dans le respect ».
Si crèches, cloches et statuettes sont attentatoires à la sacro-sainte laïcité, quid d’une reproduction d’un Caravage ou d’un Michel-Ange sur le mur d’une MJC ou d’un récital de musique sacrée dans une salle des fêtes ? Que dire du calendrier de l’Avent affiché dans le coin des petits à la bibliothèque municipale ? Que dire du calendrier tout court qui, peuplé de saints et fêtes religieuses, organise la vie et le temps de la cité ?
« Mais pourquoi renier la tradition et tous les signes témoins de notre histoire, de notre culture et de notre patrimoine ? » se demande Rémi, un maire du Perche qui ne croit « ni à Dieu ni à Diable ». Parce que « l’exculturation et la déculturation de nos sociétés sont à l’oeuvre, répond Philippe Portier, qu’elles sont une des conséquences de l’individualisation du monde : on ne se reconnaît plus dans les signes communs, ils ne font plus sens. Ces signes d’une tradition universellement partagés autrefois sont devenus aujourd’hui des affirmations de prosélytisme. » Pour lui, une des raisons principales de ce « zèle antireligieux obsessionnel » est « la stigmatisation de l’islam ces dernières années », qui a eu « un effet de rejet sur le christianisme ».
À l’inverse, provocations et détériorations contre les symboles de la laïcité se multiplient aussi dans l’Hexagone. Des « arbres de la laïcité » sont régulièrement décapités, à Angers ou encore à Bordeaux, des allégories de la laïcité en statue ou en fresques sont taguées, les plaques indiquant « place de la Laïcité » sont dévissées.
Au cabinet du Défenseur des droits, Dominique Baudis, on dit être « de plus en plus saisi pour trancher les contentieux de l’expression religieuse ». Pour un magistrat parisien, ces crispations viennent du fait qu’« on est dans un gué du point de vue du droit ». La loi de 1905 « a été faite pour la religion catholique, veut-il rappeler, or avec la montée des autres religions et la pression sociale, on se pose des questions que la loi ne pouvait prévoir, par définition ». Mais, pour lui, « on doit respecter les particularismes mais ne pas les ériger en système ».
Nerf de « l’ultraneutralisation » de l’espace public, les signes religieux ne sont que la partie ostensible de cette radicalité qui se diffuse plus discrètement dans les esprits. Il y a quelques semaines, la visite du château de Vincennes des élèves d’un collège public de Bagnolet vire en eau de boudin, au moment où l’enseignant fait passer le groupe par la case chapelle. Une poignée de récalcitrants refuse d’entrer. On crie au conflit d’opinions, au prosélytisme, à la violation de la laïcité. Les contestataires, le lendemain, seront convoqués par le directeur de l’établissement scolaire avec profs et parents pour préciser à tous cette grande différence contenue dans une seule petite lettre : cultuel et culturel.
Le « djihad laïc », comme le surnomme une sociologue des religions, compte de nombreuses victoires juridiques. Très actifs auprès des tribunaux, les partisans de la libre-pensée, farouches défenseurs de la laïcité, ont récemment obtenu du tribunal d’instance de Châteauroux la radiation de dix moines de Fontgombault (Indre) des listes d’électeurs de la commune.
Ils traquent aussi la moindre subvention des collectivités en faveur de l’enseignement privé ou de l’organisation de fêtes patronales. C’est ainsi, il y a deux ans, qu’ils ont fait condamner une commune du Limousin à cesser le financement d’une procession ancestrale, qui aurait disparu sans cela, et à rembourser les aides octroyées.
Idem à Lyon où le cercle laïc Maurice Allard a gagné un procès contre la ville qui avait donné 6000 euros pour l’organisation annuelle du « pardon des mariniers », fête qui met à l’honneur tout un week-end la batellerie sur le quai Rambaud avec des activités portuaires mais aussi la célébration d’une messe. [...] "
Lire "Quand les symboles catholiques se retrouvent sur le banc des accusés".
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