Revue de presse

"Quand laïcité rime avec conformisme et autocensure" (R. Fregosi, lemonde.fr , 21 jan. 15)

Renée Fregosi, philosophe et directrice de recherche en science politique à Paris 3 Sorbonne Nouvelle. 27 janvier 2015

"Depuis plusieurs années, au cœur des régimes démocratiques et à travers des revendications « démocratomorphes », de nouveaux processus de sujétion des esprits s’installent. A l’ombre d’institutions démocratiques « tolérantes », la pensée religieuse tente à nouveau de s’imposer à la fois par la prise pacifique du pouvoir politique et à travers la mobilisation sociale et la lutte armée.

La démocratie libérale laisse prospérer ces phénomènes qui la remettent en question. Alors, malheur aux plaisirs solitaires et à l’excellence, à l’original, au déviant, à l’individualiste qui prétend fonder la justice sur la liberté humaine, la sienne et celle d’autrui, posées dans un même mouvement.

Ainsi, « la raison populiste » conforte et diffuse une mentalité justicialiste qui converge avec une régression manifeste en matière de libertés individuelles et notamment de liberté sexuelle, imposée de proche en proche à l’ensemble de la société par l’emprise des intégristes religieux. La répression sexuelle se révèle alors, comme depuis la nuit des temps mais de façon renouvelée, le fondement de dynamiques mobilisatrices mortifères.

Parmi ces dynamiques, l’islamisme est devenu d’autant plus puissant qu’il se soutient de thématiques idéologiques nouvelles : « post-colonialisme », « occidentalisme », « européo-centrisme », « islamophobie » ou « anti-sionisme ».

Post-modernité ? Dans le sens de contre-modernité, certainement. La modernité s’est construite à travers une longue lutte contre la tradition et le principe d’imposition et la soumission à la volonté divine, pour qu’émerge celui du libre choix individuel. Elle n’a pu s’affirmer pleinement que dans la négation radicale (athée) de la transcendance, puis à travers la dénonciation des nouvelles « religions laïcisées » des totalitarismes.

La spécificité de l’Occident réside précisément en cela : un projet d’autonomie individuelle et collective, fondé sur une attitude inédite, la critique. Et la critique est bonne fille universelle : aucun objet, aucun sujet ne peut s’y soustraire y compris la critique elle-même. Jusqu’au jour où l’on remet en cause la critique au motif qu’elle est occidentale et « donc dominatrice », universelle et « donc négatrice des particularismes ».

Par le passé, la lutte laïque pour l’émancipation des individus par l’autonomie intellectuelle contre l’emprise religieuse sur le politique allait de soi pour la gauche. « Les bourgeois, les sabreurs, les gavés et les curés » étaient du même côté. Car la religion dominante, la religion à l’offensive sur tous les fronts, de l’éducation, des mœurs, de la politique, c’était la religion catholique. C’est à droite que se trouvait la contradiction pour les tenants de la laïcité ; les bourgeois radicaux et francs-maçons étaient à cet égard en rupture de ban, comme chaque fois que l’articulation entre libéralisme et question sociale se renoue.

Le combat laïque met aujourd’hui comme toujours en présence, mais seulement potentiellement et c’est là un fait nouveau, les défenseurs de la liberté de conscience (c’est-à-dire la liberté tout autant de l’athéisme, de l’apostasie que des croyances religieuses dans leur diversité) et les intégristes religieux de toutes obédiences. Mais l’affrontement ne se joue plus ni sur le même plan ni dans les mêmes termes qu’autrefois car les groupes sociaux en jeu ne sont plus de même nature et la dimension internationale a pris une ampleur considérable.

Les immigrés du Maghreb et d’Afrique noire et leurs descendants des différentes nationalités européennes sont les vecteurs ambivalents de cette nouvelle entrée en force du religieux en politique. A la fois victimes de discriminations racistes et cibles prioritaires des partisans islamistes, ils se trouvent doublement assignés à une appartenance religieuse accablante.

C’est alors maintenant à gauche que se développe la contradiction entre lutte sociale, libéralisme et combat laïque. Pour tenter de la surmonter, la gauche européenne et française a choisi, à partir des années 80, le chemin de traverse de la plus grande pente : le multiculturalisme. Abandonnant tout autant les grands principes républicains et marxistes, libéraux et libertaires, la gauche navigue à vue entre justicialisme et communautarisme. La démocratie comme ressort du politique est réduite à des luttes juxtaposées contre « la domination ».

Au nom du « respect » et de la justice, un certain terrorisme intellectuel et de plus en plus des pratiques d’agression physique induisent des attitudes d’autocensure et de mise en conformité protectrice. En Europe, les femmes osent de moins en moins en moins s’habiller de façon « sexy » considérée comme « provocante » et si elles le font, c’est à leurs risques et périls. Les jeunes apprennent à baisser la tête dès l’école devant les caïds, et tout un chacun doit adopter le langage politiquement correct de l’euphémisme et du travestissement des faits pour ne pas se faire insulter, mépriser voire molester.

Dans les pays où la religion musulmane d’Etat sévit, le port du voile plus ou moins intégral est de rigueur, formellement ou prudemment obligatoire, les manifestations artistiques et les publications sont absolument bridées et systématiquement censurées, les institutions policières et judiciaires extrêmement répressives, toute activité politique laïque est interdite ou radicalement stigmatisée.

Et en France, des journalistes athées, anticonformistes, anticléricaux et des citoyens juifs parce que Juifs sont assassinés. Il a fallu en arriver là pour que l’on puisse enfin parler d’antisémitisme sans se faire traiter de paranoïaque et de provocateur, pour que l’on puisse enfin s’élever contre l’oppression religieuse en l’occurrence islamiste sans se faire traiter de droitier et de raciste. La laïcité est un combat, nous nous en souvenons enfin."

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