20 octobre 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Les autorités semblent démunies face à la montée de la "conspiritualité", qui mêle conspirationnisme et pratiques bien-être comme le yoga, la naturopathie ou le crudivorisme.
Par Stéphanie Benz
Lire "Pseudo-thérapies et complotisme : enquête sur ces gourous qui inquiètent les autorités".
"Une hygiène de vie adaptée à la physiologie de l’être humain permet de ne plus avoir peur d’aucune maladie, aucun virus, aucune bactérie." La voix off est celle de Florian Gomet, héros du documentaire L’empreinte. Cet ex-professeur de maths converti à la naturopathie y décline ses principes "hygiénistes" et son alimentation "végétale et crue". Ils lui auraient permis de courir "3500 kilomètres en quatre mois" à travers l’Europe, "sans passeport, sans argent et sans chaussures". Sorti cet été, le film a bénéficié d’un certain écho fin août, car c’est à l’occasion d’une projection programmée à Paris (finalement annulée) que la polémique sur la naturopathe Irène Grosjean a éclaté. Cette thérapeute, qui prétend soigner la fièvre des jeunes enfants "en leur frictionnant les parties génitales", devait en être la guest star...
Florian Gomet, lui, a échappé à la controverse. Il est pourtant emblématique d’une tendance qui s’est renforcée avec la crise sanitaire, aux frontières de la quête de bien-être, des thérapies alternatives et du complotisme. Avec sa compagne, il organise des stages de "Reconnexion à la vie" et de "Jeûnes pour changer". Pour 700 euros les cinq jours, le couple propose bains froids, yoga, méditation, soins énergétiques, purges, marche pieds nus et cours de "crusine". Promoteurs de la "santé naturelle", ils portent un vaste projet : "Participer au chantier de reconstruction du jardin d’Eden". Cela pourrait faire sourire si le réalisateur de L’empreinte n’était autre que Pierre Barnérias, auteur du film covido-conspirationniste Hold-up. Le coureur aux pieds nus a aussi reçu le soutien de France-Soir, réceptacle de toutes les fake news sur le Covid, et de Thierry Casasnovas. Ce chantre du crudivorisme, suivi par 500 000 personnes sur YouTube, fait l’objet de multiples dénonciations à la Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
"Mieux protégés en achetant un lave-linge qu’en allant voir un kinésiologue"
L’univers des "médecines douces" et du "bien-être" a longtemps été associé à la bienveillance, aux liens avec la nature et à une certaine "zen attitude". Et voilà qu’on lui découvre des liens avec des sphères bien plus inquiétantes. "Nous sommes confrontés à une hausse significative des signalements liés d’abord, au déploiement d’internet et des réseaux sociaux, puis à la crise sanitaire. Nous constatons, progressivement, une hybridation entre complotisme et dérives sectaires, notamment, en matière de santé", confirme Christian Gravel, président de la Miviludes. Son équipe suit par exemple de près le site Réinfocovid, dont les promoteurs, antivaccins et anti-masques, affichent "une proximité grandissante avec des individus ou groupes à tendance sectaire" et complotiste. Aux Etats-Unis, cette convergence entre l’univers du bien-être au sens large (yoga, soins "naturels"...) et les théoriciens du complot porte déjà un nom : "conspiritualisme", pour conspirationnisme et spiritualité.
Bien sûr, les millions de Français qui apprécient la naturopathie, la méditation ou le yoga ne sont pas, pour la plupart, des adeptes de théories farfelues ou dangereuses. Mais ces dérives, pour autant, n’étonnent pas les spécialistes : "Avec ces thérapies alternatives, à commencer par la naturopathie, on bascule vite dans un discours selon lequel la médecine "conventionnelle" ne soigne pas et ne sert qu’à enrichir Big pharma", constate Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch. L’explosion de la demande a ouvert grand les portes aux praticiens malintentionnés ou incapables de reconnaître leurs limites face à des personnes en souffrance. Les réseaux sociaux servent de caisse de résonance à des pseudo-thérapeutes qui promeuvent des fakenews médicales et remettent en cause les discours scientifiques. Dans cette ambiance délétère, les risques de mise sous emprise, d’arnaque ou de retard au diagnostic s’avèrent réels. L’an dernier, deux décès à la suite de jeûnes ont même été rapportés. Car le vaste secteur des "soins alternatifs" reste peu encadré. "Les particuliers sont mieux protégés quand ils achètent un lave-linge que quand ils vont consulter un kinésiologue", regrette Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale des associations pour la défense des familles et des individus victimes de sectes.
"Faire la police des réseaux sociaux est hors de notre portée"
Certes, la Miviludes veille et transmet des affaires à la justice. Mais ses moyens sont limités et les preuves, difficiles à réunir. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a mené l’an dernier une deuxième campagne de contrôles dans le champ des thérapies alternatives, après celle lancée en 2018. Mais le taux "d’anomalies" (encouragements à renoncer à des soins médicaux, allégations trompeuses...) restait très élevé, à 66%. Et surtout, seuls 381 praticiens en tout genre ont été ciblés, quand le moindre annuaire en ligne recense près de 600 naturopathes rien qu’à Paris. Même manque de moyens pour l’Ordre des médecins, habilité à lutter contre l’exercice illégal de la médecine : "Nous agissons en cas de signalement, mais faire la police des réseaux sociaux est hors de notre portée", tranche le Dr Jean-Marcel Mourgue, vice-président de l’Ordre.
Dans les années 1990, les massacres de l’Ordre du temple solaire, dont le leader Luc Jouret était homéopathe, avaient servi d’électrochoc. Des lois avaient été votées contre les dérives sectaires, la Miviludes avait été créée, le ministère de la Santé avait monté un "groupe d’appui technique" (GAT) pour évaluer les thérapies non conventionnelles. Puis ces sujets sont passés au second plan au nom, notamment, de la liberté de soins. "Mais les charlatans représentent un danger pour la santé publique. Malheureusement, les autorités laissent faire", tonne Georges Fenech, l’ancien président de la Miviludes [1]. Et de déplorer la mise en sommeil du GAT, l’existence de diplômes universitaires de médecine anthroposophique, d’homéopathie ou de sophrologie, ou encore une offre de thérapies alternatives dans certains hôpitaux. Sans oublier ces formations à la naturopathie ou aux soins énergétiques sur le site de Pôle emploi...
Signe des temps, il aura fallu une enquête du collectif No FakeMeds pour que la DGCCRF s’intéresse à Médoucine, un site de recommandation de praticiens en "médecines douces". Depuis, cette société a fait l’objet d’une injonction pour pratiques commerciales trompeuses. De même, c’est après la mobilisation de médecins sur Twitter que les pouvoirs publics se sont émus du référencement sur Doctolib de praticiens "alternatifs". "Nous les avons incités à instaurer une séparation claire avec les professionnels de santé, pour éviter toute confusion", confirme Christian Gravel. Les responsables de la plateforme ont rencontré une quarantaine d’acteurs en un mois et demi, et doivent faire des annonces sur le sujet avant la fin du mois. En attendant, on trouvait encore mi-octobre sur cette plateforme des centres de "thérapies douces" proposant reiki, kinésiologie et access consciousness bars (objets de multiples alertes de la Miviludes) ou de mystérieuses techniques "psycho - énergie - bio - somato - émoi relationnel - micro-nutritionnel" (sic)...
Il faudra toutefois davantage que le nettoyage du fichier de Doctolib pour mettre de l’ordre dans ce vaste secteur. Certes, la nouvelle secrétaire d’Etat chargée de la Citoyenneté, Sonia Backès, dont la mère était scientologue, entend porter fortement ces sujets. Mais c’est surtout vers le ministère de la Santé que les regards se tournent aujourd’hui. "Nous avons besoin d’une agence publique, placée sous son égide, qui évalue ces pratiques et alerte sur leurs risques", martèle un expert. Interrogée récemment à ce propos, la ministre déléguée en charge de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a renvoyé au travail déjà mené "par plusieurs personnes, à l’instar de Serge Guérin, Véronique Suissa et Philippe Denormandie". Le trio s’est fait connaître avec la création d’une association controversée, l’agence des médecines complémentaires et alternatives, qui prétend réguler le secteur. La déclaration de la ministre déléguée a donc déjà suscité un certain émoi : "Ce sujet ne peut pas être laissé au privé, avec tous les risques de conflits d’intérêts que cela comporte", s’étrangle le Pr Bruno Falissard, président de la commission soins complémentaires à l’Académie de médecine.
Enfin, les acteurs du Net ont aussi un rôle à jouer. "Les plateformes peuvent réguler les sites problématiques et être attentives à ce que leurs algorithmes n’aboutissent pas à promouvoir des groupes dangereux", constate Gérald Bronner. Mais ces actions ont leurs limites, comme ce sociologue a pu le constater à l’occasion d’une récente étude : "Ces nouveaux gourous polissent leur discours sur les plateformes les plus contrôlées et investissent des réseaux plus permissifs". L’éternel jeu du chat et de la souris - mais ici, le chat s’est assoupi et la souris a pris plusieurs longueurs d’avance."
[1] Gare aux gourous. Santé, bien-être, par Georges Fenech. Editions du Rocher, 270 p., 18 €.
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier L’Express : "La face cachée du bien-être" (20 oct. 22) dans Santé dans Sectes (note du CLR).
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