(Riss, Charlie Hebdo, 20 nov. 24) 21 novembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Justice aveugle ou justice borgne ?"
Faudra-t-il rendre inéligible Marine Le Pen si elle devait être condamnée dans l’affaire des assistants parlementaires européens du FN ? Certains disent oui car, selon la loi, une condamnation entraîne automatiquement cette sanction. D’autres affirment que non, car cela lui interdirait de participer à l’élection présidentielle de 2027 et constituerait un déni de démocratie. Le droit, l’équité et la démocratie, une alchimie jamais simple à trouver.
Les juristes partisans de Marine Le Pen martèlent qu’une alternative existe, qui lui permettrait de contourner l’impitoyable sanction. Finalement, le droit, on en fait ce qu’on veut. À la fac, un prof nous avait expliqué ça, à peu près dans ces termes : « Ici, on vous apprend à élaborer des raisonnements juridiques pour prendre la bonne décision, alors qu’en fait les juges savent déjà ce qu’ils veulent, et ensuite ils mettent en œuvre toute leur science juridique pour construire des théories qui valident leur point de vue personnel. » Le droit, c’est souvent un choix, rarement une science exacte.
Début 2025, le tribunal rendra sa décision, et on découvrira le raisonnement qu’il aura élaboré pour condamner, ou pas, à l’inéligibilité la patronne du RN. Rappelons au passage que Marine Le Pen s’est déjà présentée à trois reprises à l’élection présidentielle, et qu’elle a été battue à chaque fois. À ces trois élections, le peuple a déjà eu la possibilité de lui donner sa confiance et, par trois fois, il la lui a refusée. Si elle était condamnée à l’inéligibilité, on ne pourrait donc pas faire aux juges un procès en déni démocratique et les accuser d’aller à l’encontre de la volonté des Français, puisqu’ils ont déjà tranché cette question en 2012, en 2017 et en 2022. Quant à son programme politique, elle n’a pas de souci à se faire, il sera très bien défendu en son absence par son poulain, Jordan Bardella, déjà dans les starting-blocks.
Des décisions justes et humaines
Les affaires judiciaires dans lesquelles nous plonge l’actualité nous mettent souvent dans l’embarras. Quand on prend le temps d’examiner les tenants et les aboutissants d’un procès, on s’enlise vite dans sa complexité, et on s’aperçoit que juger n’est pas aisé. Dans la réalité, les criminels sont plus difficiles à comprendre que ceux qu’affrontent Hercule Poirot et Sherlock Holmes. Au procès des complices de l’assassin de Samuel Paty, on découvre des profils d’individus très différents, qui ont pourtant tous joué un rôle dans ce crime. Dans le procès Pelicot, on a vu défiler une galerie de personnages ayant tous participé aux viols, qui seront probablement condamnés, mais qui n’ont pas la même dangerosité ni le même degré d’implication. Dans le procès de Pierre Palmade, qui s’ouvre le 20 novembre, les addictions et les angoisses intimes de l’humoriste seront déballées pour tenter de faire comprendre, à défaut d’excuser, sa responsabilité dans le tragique accident. On aimerait que le monde soit bien rangé, les couteaux à droite, les fourchettes à gauche, le bien d’un côté et le mal de l’autre, mais ça ne marche jamais comme ça. Au mieux parvient-on à dire qui est la victime et qui est le coupable, car rien n’est plus insupportable que de les renvoyer dos à dos, au nom d’un égalitarisme qui n’a pas sa place dans un tribunal. Ce qui est déjà beaucoup.
La seule variable d’un procès sera la sévérité de la peine, qui devra tenir compte de la personnalité de l’individu. Pour un même crime, un accusé n’aura pas le même nombre d’années de prison qu’un autre. C’est peut-être là le seul espoir de Marine Le Pen : l’individualisation de la peine. En tenant compte de sa personnalité, de son enfance difficile aux côtés d’un père aimant mais lourdingue avec ses blagues de chambrée, et d’une mère dont les Français ont pu admirer les fesses dans Playboy, de sa chambre de petite fille réduite en poussière par un attentat qui souffla l’appartement familial et de bien d’autres blessures secrètes, Marine Le Pen bénéficiera peut-être d’une décision juste et humaine. Comme, avant elle, les 78 300 personnes actuellement incarcérées en France, qui ont probablement été déclarées inéligibles et n’en font pas tout un plat.
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