Revue de presse

Procès du 13 novembre 2015. Sylvie Caster : « Je suis encore hantée, aujourd’hui, par certaines voix, certains détails affreux » (Charlie Hebdo, 5 oct. 22)

Sylvie Caster, journaliste, écrivain. 22 octobre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Sylvie Caster, 13 Novembre. Chroniques d’un procès, éd. Les Echappés, 6 oct. 22, 352 p., 20 €.

"Sylvie Caster a suivi pour le journal le procès des attentats du 13 novembre 2015. Yannick Haenel, qui avait couvert celui des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, a lu son livre. Rencontre.

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Yannick Haenel : Comment avez-vous procédé pour écrire vos chroniques  ?

Sylvie Caster : Je prenais des notes tout le temps, pendant l’audience. C’était presque illisible tellement j’allais vite. En fin de journée, j’allais au café, juste en face du Palais de justice, pour tout relire et souligner l’essentiel. En hiver, je rentrais chez moi directement. Le vendredi, je faisais décanter toutes ces notes et j’écrivais ma chronique jusqu’au dimanche matin.

La grande force de vos chroniques vient du fait que vous avez privilégié les témoignages plutôt que l’analyse. Quand on lit la succession de vos textes, on vit le procès en direct, comme si on était branchés sur le flux des paroles qui sont prononcées pendant les audiences.

C’est vrai que mes commentaires sont lapidaires, je me contente d’attirer l’attention sur les moments vertigineux, et de répéter les paroles les plus abyssales. Je voulais qu’on voie à travers eux la fosse et les mares de sang. Il y avait des témoignages bouleversants, on était traversés par eux. C’était beaucoup plus que de l’empathie : on rentrait dans leur effroi. Je suis encore hantée, aujourd’hui, par certaines voix, certains détails affreux. C’était un cauchemar à la Goya. Il y avait une sidération, et dans les chroniques, il fallait qu’on la sente.

Comment avez-vous fait pour vous protéger d’une telle violence  ?

Le procès était si long que la fatigue a vite opéré comme un filtre. Je n’ai pas eu d’insomnies. Le soir, je relisais mes notes, et je m’endormais.

Je me souviens que le procès auquel j’ai assisté, celui des attentats de janvier 2015, avait pris la place de mon cerveau : je ne pouvais rien faire d’autre.

Moi non plus. Je n’avais plus de temps pour autre chose. Même au téléphone avec les amis, je ne trouvais rien à leur dire. Je ne pouvais pas les accabler avec ce que je vivais. On ne peut pas partager ces moments-là, on est seul avec soi-même.

Je suis très frappé par ce que vous racontez des planques des terroristes. Ça n’avait pas été dit avant…

C’est vrai. On a pu imaginer la vie qu’ils avaient. Les matelas, les chaussettes qui traînent et les kalachs… Ça fait froid dans le dos, ce mélange de criminalité et de popote masculine. Ils avaient même une machine à coudre, ils cousaient leurs gilets en y mettant les explosifs. Et puis on a retrouvé leurs perruques, des moumoutes grotesques. L’horreur a parfois quelque chose de guignolesque.

Vous racontez comment Salah Abdeslam se métamorphose sans cesse.

Je ne voyais pas les accusés, j’étais trop loin dans la salle, je voyais juste le box et eux dedans comme des ombres. On ne discernait pas les visages, ils nous apparaissaient comme des fantômes. C’est quand ils parlaient qu’on les voyait, sur les écrans. Au début du procès, Salah Abdeslam, on se l’est pris en pleine face sur écran géant : c’était une immense ombre noirâtre qui a fait effraction en vociférant son appartenance à l’État islamique.

À un moment, vous vous demandez comment le mal peut naître chez quelqu’un. Vous écrivez : « Mais en Mohamed Bakkali, décrété si intelligent, comment s’est inscrit le mal  ? » On se dit, en vous lisant, que le mal est d’autant plus infâme qu’il est sans pourquoi.

En effet, je me souviens que Mohamed Bakkali a dit, à propos des frères El Bakraoui : « Ils se cachent derrière une piété qui ne vise qu’à assouvir leurs pulsions. » Autrement dit, quand ils prétendent que les attentats sont une réponse politique à l’engagement français en Syrie, c’est du bidon, de l’hypocrisie, c’est un pur alibi : ce qui motive les terroristes, et donc -Bakkali le reconnaît, c’est la jouissance de tuer. Au Bataclan, les terroristes jubilaient. Les survivants ont dit qu’ils aimaient ça, qu’ils s’amusaient. Ils ont même tiré par la fenêtre sur un homme, un maître d’hôtel, qui était dans l’immeuble en face du Bataclan, pour voir s’ils allaient l’avoir.

Autre chose de fondamental, que votre livre révèle, c’est l’importance du commissaire C. et de la BAC. Leur rôle avait été ignoré, ou plutôt caché. Vous leur rendez justice.

Oui, le commissaire C. a été extraordinaire, c’est lui qui est entré en premier dans le Bataclan, avec son équipier. Dans le noir, dans le chaos, ne sachant même pas combien il y avait de terroristes, ils ont tiré sur celui qui était monté sur la scène, Samy Amimour. Ils l’ont tué, ce qui a déclenché sa ceinture explosive. Ça a fait basculer complètement l’attentat, les deux autres ont dû changer leur plan, ils ont arrêté le massacre et pris des otages. Sans le commissaire C. et son équipier, il y aurait eu beaucoup plus de morts, ils auraient sans doute tué tout le monde.

Autre personne exceptionnelle, c’est Sonia.

Il faudrait écrire un livre juste sur elle. Son témoignage est celui qui m’a marquée le plus dans ce procès, avec celui du commissaire C. Ils sont tous les deux stupéfiants. Ce sont des lumières dans les ténèbres… Quand Sonia est venue à la barre, on ne voyait pas son visage, elle ne peut plus le montrer, elle était masquée et en plus elle avait transformé sa voix, on aurait dit une voix d’homme. Sonia était bénévole aux Restos du cœur, elle hébergeait Hasna, une toxico totalement « niqabée » qui reçoit des coups de fil le surlendemain des attentats. Cette Hasna demande à Sonia de l’accompagner pour retrouver un soi-disant gamin de 17 ans qui est à la rue. Sonia, son compagnon et Hasna arrivent à Aubervilliers, au bas de l’autoroute, et celui qui sort de son abri végétal n’est pas un gamin, c’est Abaaoud, qui vient d’assassiner aux terrasses. Il serre la main à Sonia. Après, elle se lave les mains à l’eau de Javel. Il lui dit que les attentats, ce n’est pas fini, et qu’il a envie de tous nous faire sauter.

Elle a dit qu’il était terrifiant et qu’il portait des « chaussures choquantes ».

Oui, des baskets orange. Quand elle appelle la police, c’est grâce à ce détail qu’ils comprennent que son témoignage est valable. D’abord, ils ne la croient pas, mais quand elle parle des baskets orange, ils la prennent au sérieux, car personne ne pouvait connaître ce détail que seule la police possédait, grâce à la vidéo de surveillance du métro. Abaaoud, après avoir massacré aux terrasses, a pris le métro. On nous a diffusé la vidéo au procès. J’ai vu Abaaoud, sa décontraction : il fraude, tranquille, comme si de rien n’était. Il vient de tuer aux terrasses et il est carrément nonchalant. Et sur la vidéo, on ne voit que ça : ses baskets orange… Bref, c’est grâce à Sonia qu’il a été repéré et abattu. Sans elle, les attentats continuaient. Je ne connaissais pas son existence avant le procès, et c’est elle, cette femme sans visage qui se cache des tueurs de l’État islamique et qui ne peut plus vivre sans protection policière, qui nous a sauvés."


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Procès des attentats de novembre 2015 (2021-22) dans Attaques du 13 nov. 15 (Paris et Saint-Denis) (note du CLR).


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