Ensaf Haïdar, épouse de Raif Badawi, Mention au Prix international de la Laïcité 2018. 6 novembre 2018
Mesdames et messieurs les dignitaires,
Distingués invités,
Chers amis du Comité Laïcité République
Je vous remercie infiniment pour ce grand honneur que vous nous faites à Raif et moi de nous attribuer le Prix international de la laïcité dans cette merveilleuse ville qu’est Paris pour sa beauté et la force de ses idées au service de l’humanité.
Voilà plus de six années que mon mari Raif Badawi est emprisonné en Arabie saoudite.
Six années que nous gardons espoir, jour après jour, sans jamais nous décourager.
Six années d’une très longue attente ponctuée de questions brûlantes et douloureuses.
Surtout lorsque les enfants me demandent : « Quand reviendra papa ? »
Ou lorsqu’ils me disent : « Nous avons lu que seuls les criminels croupissent en prison. Est-ce que papa est un criminel ? ». Alors, croyez-moi, je ne sais quoi leur répondre. Je ne sais par où commencer.
C’est donc le message de mon mari ainsi que celui de mes trois enfants que je souhaite vous transmettre aujourd’hui. Najwa (15 ans), Dudi (14 ans), Myriam (12 ans) sont privés de leur père du simple fait que Raif a exercé son droit naturel à exprimer ses idées.
Je vous transmets un message d’espoir de voir un jour Raif parmi nous s’adresser à vous pour parler de liberté et des droits de la personne. La liberté que rien ne peut contraindre. Pas même les méthodes de répression et d’humiliation les plus sophistiquées. Et ce même si son messager est puni, fouetté, condamné.
Mon message est celui d’une femme déterminée.
Celui d’une Québécoise venue d’un grand pays, le Canada, qui se tient debout face à vous pour dire haut et fort que le changement pacifique est possible dans l’ensemble des pays autoritaires et répressifs. Surtout avec ces générations de jeunes mondialisés qui grâce à Internet et aux médias sociaux communiquent les uns avec les autres. Il n’est plus possible d’interdire des idées ou de restreindre leur circulation. C’est un changement significatif. Une nouvelles révolution. Du Maghreb jusqu’à Jakarta. Les jeunes d’aujourd’hui définissent la nature de notre avenir. Nous devons les soutenir et les accompagner dans cette mission.
Mon message peut être résumé comme suit : l’expression pacifique de la liberté d’expression et de la liberté de pensée est un droit universel fondamental. C’est un droit destiné à l’ensemble de l’humanité sans exception. Aucun compromis ne peut être envisagé à cet égard. Plusieurs ont payé de leur vie pour avoir défendu ce principe sacré de la démocratie. Je pense particulièrement à l’équipe du journal Charlie Hebdo qui a perdu, dans cet effroyable attentat du 7 janvier 2015, 8 membres de sa rédaction. Deux jours plus tard, à Djeddah à la mosquée al-Jafali, mon mari recevait, en public, les 50 premiers coups de fouet après la prière du vendredi. L’engagement de Charlie Hebdo tout comme celui de Raif nous permet d’affirmer que la liberté n’a pas de frontières. Malheureusement plusieurs s’imaginent encore l’Arabie saoudite avec des gens sur des chameaux mais n’ont aucune idée de l’engagement des progressistes. Certains sont même plus courageux que les citoyens des pays démocratiques occidentales qui peuvent agir pour défendre la liberté mais qui préfèrent se cacher derrière leur petit doigt. Quelle lâcheté !
Si j’ai déjà abondamment parlé de Raif à plusieurs reprises c’est grâce à des occasions comme celle-ci et de formidables personnes comme vous. Pour moi après six années, l’avenir est toujours aussi incertain. L’horloge de la maison s’est déréglé depuis l’emprisonnement de Raif. Une partie de nous est emprisonnée avec lui. Nos souffrances sont de plus en plus vives. Mais si nous ne perdons pas espoir c’est grâce à votre mobilisation. Votre solidarité est pour nous une forme de reconnaissance et de considération. A travers le cas de Raif, votre solidarité s’exprime naturellement envers tous les libre penseurs du monde arabe et du monde musulman. C’est ce qui nous réconforte le plus. Pour être crédibles dans leur lutte contre le terrorisme islamiste, les États européens doivent, en premier lieu, encourager les voix anti-islamistes de l’intérieur du monde musulman et se solidariser avec tous les défenseurs des droits humains qui prônent la séparation de l’État et des religions. Nous devons constituer un front commun pour défendre la liberté de conscience.
Mesdames et messieurs,
J’ai beaucoup parlé de la situation de Raif. Je sais bien que vous en connaissez tous les détails. Cela étant, j’insiste pour ajouter que cette affaire n’est pas une affaire individuelle. C’est une affaire qui concerne toute une société. Un Etat. Le monde entier.
Raif Badawi n’est pas un traître. C’est est un patriote qui a placé le destin de son pays et de son peuple au-dessus des ses intérêts personnels et ceux de sa famille. Voilà, la vérité. C’est ce qu’il a exprimé avec ses mots et à travers sa plume. Résister c’est donc refuser le mensonge. Résister c’est remettre en cause les dogmes religieux. Regardez l’état du monde, aujourd’hui. Dans les pays musulmans la question de la séparation de l’islam de l’État est fondamentale.
Raif prônait la fin du tutorat pour les femmes. Il s’est battu pour qu’elles aient la possibilité de conduire. Il a créé pour elles des écoles destinées à les rendre plus autonomes. Raif exigeait la fin de l’emprise du religieux sur l’État. Il était en faveur d’une stricte séparation de la religion et de l’État. Il a lancé un forum Internet pour libérer la parole, encourager les échanges des militants libéraux et les fédérer. Il défendait l’égalité des droits de tous les croyants. Il défendait l’égalité des droits des croyants et des non croyants, convaincu que le respect de la dignité humaine n’a rien à voir les croyances religieuses.
Le changement ne surviendra pas tant et aussi longtemps que nous laisserons la peur nous envahir et le silence nous définir. Un jour arrivera, je suis certaine, ou les États oppressifs seront obligés de respecter les conventions internationales relatives aux droits humains. Ce rêve se réalisera. J’en suis convaincue. Raif sera parmi nous. Je serai alors soulagée et heureuse. Le jour de la libération du Prix Sakharov 2015 et du Prix Voltaire 2016 sera un grand jour pour la liberté et ses défenseurs à travers le monde.
La France est le pays des droits de l’homme. Son histoire est très importante pour nous. La séparation de la religion et de l’État est au cœur de la démarche de Raif. Les Français comprennent ça. Je le sais. Je le sens. J’ai besoin de votre soutien pour libérer mon mari. Aidez-moi !
Merci infiniment pour votre présence et votre participation à cette formidable réception.
Voir aussi Prix de la Laïcité 2018, dans la Revue de presse la rubrique Raef Badaoui (note du CLR).
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