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Printemps républicain "Le ramadan, les deux neutralités et l’éthique sportive" (Printemps républicain, 10 av 23)

11 avril 2023

[Les échos des initiatives proches sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Le ramadan, les deux neutralités et l’éthique sportive".

"Faut-il interrompre les rencontres de football qui se jouent à la tombée de la nuit pour permettre aux joueurs musulmans de rompre le jeûne ? Portée depuis quelques jours dans l’espace médiatique, cette revendication tourne procès en « islamophobie » contre la France, comme ce fut le cas dernièrement avec le burkini à Grenoble, les abayas dans les collèges ou le hidjab, à nouveau, sur les terrains de foot.

Las : la Fédération Française de Football, invoquant l’article 1er de son règlement et en appelant à la « laïcité », a rappelé aux clubs et aux arbitres que toute expression religieuse est interdite dans le cadre sportif. Faux, rétorquent les vigies : la laïcité ne s’applique qu’à des services publics, pas à des joueurs.

Qui dit vrai, et de quoi s’agit-il vraiment ? Notons d’abord que le sujet est tout récent : si la question se pose, à notre connaissance, pour la première fois, c’est surtout parce que le championnat anglais autorise de telles pauses. Mais depuis deux ans seulement, et – ironie de l’histoire – à l’initiative de joueurs français. Il faut croire que, jusqu’alors, staffs, arbitres et joueurs savaient gérer cette difficulté sans buzz médiatique.

Avant de se jeter sur les manuels de droit, il n’est pas interdit de faire preuve d’un peu de bon sens : le sport de haut niveau, qui met les corps à rude épreuve, nécessite une alimentation et surtout une hydratation régulières. La pratique du jeûne pour des raisons religieuses est infiniment respectable sur le plan spirituel, mais aucun médecin ne prétendra qu’elle est sans incidence, non seulement sur la performance sportive, mais aussi sur l’intégrité physique de l’athlète. Certains entraîneurs, comme Antoine Kombouaré (FC Nantes), ont pris les devants en n’inscrivant pas sur la feuille de match les joueurs qui jeûnent. Ici, ce n’est pas l’expression religieuse qui entre en considération, mais la santé. L’argument est relatif pour les journées fraîches et relativement courtes du mois de mars ; il devient quasi-incontournable les années où le ramadan tombe en pleine chaleur estivale. Bon sens toujours : faut-il vraiment interrompre le match, alors que les arrêts de jeu permettent sans difficulté de boire et d’avaler une pâte de fruits lors d’un coup franc, une blessure ou un renvoi aux six mètres ?

Voyons maintenant ce que dit le droit. Il a été avancé que les footballeurs n’étant pas des agents publics, c’est à tort que la laïcité a été invoquée. C’est exact, du moins si l’on rabat la laïcité sur le critère de neutralité des services publics. Mais n’est-ce pas restreindre à l’excès la portée du principe ? Rappelons qu’au terme de la Constitution, c’est la République qui est laïque, et pas uniquement les collectivités publiques. Mais alors, qu’est-ce que cela veut dire pour les « simples » particuliers que sont les joueurs de foot ? Eh bien, s’ils ne relèvent pas de la loi de 1905, on peut tout à fait les rattacher au régime juridique de la neutralité en entreprise, puisque nous sommes bien dans un cadre de droit privé.

Longtemps contestée, la neutralité en entreprise est désormais bien identifiée par le droit national et, chose importante mais méconnue, par le droit européen. C’est la célèbre « affaire Babyloup », du nom de cette crèche imposant la neutralité de ses personnels au nom de la laïcité et des valeurs féministes et universalistes, qui a donné l’occasion à la Cour de cassation de confirmer la possibilité, pour une entreprise ou une association, de restreindre la liberté religieuse de ses salariés. Ce régime fonctionne selon un principe inverse de celui de l’administration, où la neutralité est la règle : dans l’entreprise, elle demeure l’exception à la règle de la liberté religieuse, mais elle peut néanmoins être instaurée si elle poursuit un « objectif légitime », emploie des « moyens proportionnés » et ne créé pas de discrimination. C’est ce que la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé à plusieurs reprises depuis 2017, dans des affaires touchant plusieurs pays, dont la France. Enfin, la loi française a couché dans le code du travail, en 2016 (loi El Khomri), la possibilité d’inscrire la neutralité dans le règlement intérieur. A priori, le raisonnement vaut pour les tenues couvrantes de type « hijab », sans qu’il soit besoin de se contorsionner pour invoquer l’hygiène, la sécurité ni même la tenue réglementaire. On écrit « a priori » avec prudence, le Conseil d’Etat devant statuer prochainement sur le recours des « Hidjabeuses » ; mais il pourrait fort bien, tout en rappelant que la neutralité des services publics n’est pas applicable aux particuliers, renvoyer au juge judiciaire le soin de confirmer sa jurisprudence sur la neutralité en entreprise.

Il ne s’agit pas de « laïcité » ? Qu’à cela ne tienne ! si les vigilants refusent le mot, il leur faut admettre la chose : le règlement de la FFF prévoit explicitement la neutralité des compétitions. Il ne saurait donc être question d’exprimer son appartenance religieuse pendant un match – règle qui, au demeurant, est appliquée avec une certaine souplesse d’ores et déjà… Si on veut aller plus loin et changer la règle, pourquoi pas ? Mais il y a des procédures pour cela. Et il faudra, au passage, convaincre toute la communauté sportive qu’il faut changer la loi pour satisfaire à la revendication d’une minorité, ou plus précisément la revendication d’une minorité d’une minorité. Et s’apprêter à ce que d’autres revendications particulières surgissent.

Dernier point, là encore oublié de beaucoup : la FFF ne s’autorise pas seulement de la laïcité, mais aussi de l’olympisme, dont la Charte rappelle elle aussi l’exigence de neutralité. A bon entendeur pour les Jeux Olympiques et Paralympiques !"



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