Julien Sapori, commissaire divisionnaire honoraire. 1er mars 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Depuis des décennies, l’opinion publique a pris l’habitude, dans les affaires de crimes, d’opérations de maintien de l’ordre ou de catastrophes, de voir à l’écran des personnes relater le déroulement des faits, le service chargé des investigations, les suspects, ou les pistes envisagées par les enquêteurs. Ces personnes sont les syndicalistes de la police nationale, devenus les porte-parole incontournables des médias. Régulièrement interviewés et consultés, ils adressent fréquemment des critiques à la justice, à la hiérarchie policière, au gouvernement, aux maires ou aux enseignants.
L’oubli du secret de l’enquête judiciaire
Depuis des décennies, on semble donc avoir totalement oublié que l’article 11 du code de procédure pénale garantit le secret de l’enquête judiciaire. Quel que soit le cadre juridique, la seule autorité autorisée à déroger à cette règle est le procureur de la République. En cas de son non-respect, les sanctions prévues sont lourdes : trois ans de prison et 45 000 € d’amende, ou jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende si l’information est communiquée à l’auteur de l’infraction. Cette impunité a fait pousser des ailes aux syndicalistes policiers, qui se croient désormais autorisés à se faire communiquer par les enquêteurs et policiers de terrain des renseignements confidentiels.
Leurs adhérents obtempèrent généralement sans réticence à ces demandes de renseignement, car ils sont convaincus que c’est ainsi que le système fonctionne et que leur syndicat leur sera reconnaissant et les aidera lorsqu’il sera question de mutation ou de promotion. Désormais, les informations confidentielles figurant dans les procédures judiciaires sont donc communiquées quasi systématiquement par les policiers aux responsables syndicaux, dès que ces derniers en font la demande. Rares sont les services ou directions qui refusent de se plier à cette pratique : parmi ceux-ci figurent l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et la police judiciaire.
Un pouvoir syndical démesuré
Les divers directeurs généraux de la police nationale (DGPN) ou ministres de l’intérieur ont appris avec le temps, à leurs risques et périls et parfois à leurs dépens, qu’ils ne peuvent pas diriger la police nationale (qui connaît un taux de syndicalisation extraordinaire, proche de 90 %) sans le soutien des syndicats. Certes, les policiers n’ont pas le droit de grève, mais lorsque les CRS sont mécontents, car on annonce la dissolution d’une de leurs compagnies, le personnel se met massivement en arrêt maladie… ce qui revient un peu au même.
Si l’actuelle réforme prévoyant la suppression des services territoriaux de la police judiciaire est réalisée, ce sera grâce au soutien de la majorité des syndicats, dont l’avis est considéré, place Beauvau, bien plus important que celui de la Cour de cassation et celui de la magistrature dans son ensemble, opposées à la disparition des « brigades du Tigre ». Les syndicats veulent cette réforme, car elle leur permettra d’avoir une maîtrise encore plus importante sur les mutations : donc elle se fera. In petto, ministère et syndicats s’accordent, aussi, pour reconnaître qu’il est temps de mettre fin à cette « imperméabilité » de la police judiciaire, qui refuse de communiquer des informations sensibles au pouvoir exécutif et syndical.
Des effets délétères
Qui pourrait donc faire obstacle à cette pratique désormais bien ancrée dans le quotidien ? Rien ni personne, sauf le grain de sable… Ce grain de sable a fini par arriver au cœur du mécanisme, au travers d’une affaire significative. En 2022, une dispute conjugale éclate au sein d’un couple de policiers. Un équipage de police se déplace, et la femme dépose une main courante dans son service. Mais quelque temps plus tard, les enquêteurs constatent avec surprise que l’homme, en poste au commissariat du 13e arrondissement de Paris, est au courant de toutes les déclarations faites par sa femme dans le cadre de l’enquête.
Grâce à la traçabilité informatique, ils découvrent rapidement l’origine de la fuite : un autre policier du commissariat du 13e arrondissement, qui reconnaît les faits et déclare avoir agi à la demande du syndicat de police Alliance. Convoqué une nouvelle fois à l’IGPN, le 24 juin 2022, il se suicide avec son arme de service. Cette mort tragique ne met pas fin à l’enquête de l’IGPN, qui découvre que plusieurs responsables du syndicat Alliance avaient insisté auprès de leur collègue décédé et obtenu communication des actes de l’enquête. Ils en avaient ensuite communiqué le contenu à leur adhérent mis en cause dans cette procédure de violences conjugales.
Le début d’une prise de conscience ?
Et il ne s’agit pas d’un cas isolé. D’autres procédures sont en cours au sujet de violations du secret professionnel par des syndicats de police. Il ne s’agit que de la partie émergée d’un gigantesque iceberg. Comment expliquer cet intérêt soudain de l’IGPN pour ces intrusions massives des syndicats policiers dans les procédures pénales ?
Deux réponses sont envisageables : d’un côté, la généralisation d’un sentiment de toute-puissance chez les syndicats qui les a fait déraper, et de l’autre la nomination en 2022 d’un magistrat à la tête de l’IGPN, pour la première fois dans l’histoire. Les résultats de cette nomination sont pour l’instant positifs. Pour sauvegarder l’efficacité, l’autonomie et l’existence des services territoriaux de la police judiciaire, la question se pose même de la rattacher au ministère de la justice."
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