Revue de presse

"Pourquoi les responsables religieux donnent-ils des consignes de vote ?" (Isabelle de Gaulmyn, France Inter, la-croix.com , 30 av. 17)

2 mai 2017

"Il y aurait donc un enjeu religieux derrière ce vote…

Attention, il faut nuancer : il n’y a pas de vote catholique, ni de vote protestant, ni de vote musulman ni de vote juif. En France, les gens votent comme citoyens, à titre individuel, et non communautaire. L’inverse serait très dangereux.

Ceci dit, la religion, tous les sociologues en politique vous le confirment, reste en France une variable d’explication importante du vote, sans doute la plus constante. Par exemple, selon les sondages sortis des urnes, et publiés par La Croix, 44 % des catholiques pratiquants ont voté Fillon au premier tour.

Pour les protestants, selon l’hebdomadaire Le Pèlerin, qui a regardé le vote pour toutes les religions, ils étaient 30 % à voter Macron, alors qu’en 2012, ils ont voté majoritairement Sarkozy : ce qui signifie que les protestants ont sans doute été plus sensibles aux affaires que le reste de la population. Les musulmans ont voté à gauche, mais cette fois pour Mélenchon, à 37 %. D’où, effectivement, le poids des indications de vote que peuvent donner les responsables de ces religions.

Tous les responsables religieux ont pris position contre Le Pen en France, sauf l’Église catholique. Pourquoi ?

Oui, en tous les cas, les évêques ont mis du temps, car un certain nombre commence à s’exprimer. C’est une des grandes différences d’avec 2002, où l’Église catholique, par la voix de quelques évêques connus (Lustiger notamment) avait tout de suite et très clairement pris parti contre Jean-Marie Le Pen. 25 évêques au total s’étaient assez rapidement prononcés.

Mais là, on voit qu’il y a une gêne, car un certain nombre de catholiques sont tentés par l’abstention, voir le vote Le Pen : les prises de positions de groupes politiques comme Sens commun, de Christine Boutin, et sans doute surtout de la Manif pour tous, ont semé un grand trouble.

Il faut cependant rappeler que l’extrême droite, le vote FN, ne concerne qu’une minorité de catholiques. Selon les sondages, 17 % des catholiques pratiquants réguliers ont voté Marine Le Pen, 23 % des catholiques irréguliers. C’est beaucoup plus qu’en 2002, puisque à l’époque on parlait de la « digue » du catholicisme par rapport au Front national, mais cela reste moins important que la France.

Il y a toujours eu une tradition d’un courant d’extrême droite dans le catholicisme français. C’est d’ailleurs une exception, en Europe, due à notre histoire : la République s’est construite contre l’Église.

Ainsi, au début de la troisième république, beaucoup de catholiques ont refusé la République, qui a abouti à la formation de l’Action française, qui fut, sous la houlette de Charles Mauras dans l’entre-deux-guerres, extrêmement importante, jusqu’à sa condamnation par le pape Pie XI en 1926.

À l’époque, ces catholiques-là avaient vu leurs références politiques d’un ordre fondé sur la religion s’écrouler, et eu le sentiment d’être mis à l’écart, d’où une défiance vis-à-vis de la République, et un repli sur un passé fantasmé, celui de l’Ancien Régime.

Mais cette fois, la déchirure ne se joue pas sur un plan politique, mais sur un plan culturel et moral. Deux éléments y ont contribué :

■ La crainte de l’ouverture à la mondialisation, et un repli sur des « racines chrétiennes », notamment chez des catholiques non pratiquants mais de culture catholique, et qui ont une vision patrimoniale de la religion. On le voit à l’œuvre à partir de Maastricht, alimenté par une peur de l’islam, jugé dangereux et menaçant pour l’identité nationale.

■ La "manif pour tous" : il est très clair que, à partir de 2012, le problème du « genre », et donc du mariage entre personnes de même sexe, va provoquer une profonde brèche au sein du catholicisme : l’élection de Hollande est la première où l’on voit un vote catholique plus important pour le Front national, notamment chez les plus jeunes.

Sur ces questions éthiques, ces catholiques vont éprouver une sorte de « panique morale » : ils ont, à tort ou à raison, le sentiment que leur pays n’a plus les mêmes valeurs anthropologiques qu’eux, d’avoir été écarté et méprisé par le législateur, tenu pour partie négligeable. S’est donc instaurée, chez eux, une grande défiance vis-à-vis des institutions républicaines.

Tous les catholiques ne sont pas Sens commun

Mais c’est une minorité qui est parvenue à bien se faire entendre, et à avoir un écho important : dans cette époque où le militantisme n’est plus à la mode, les minorités actives et bien organisées ont un boulevard devant elles.

Autrefois, dans cette Église, il y avait de puissants mouvements de personnes engagées, à travers ce que l’on appelait l’action catholique. Ce n’est plus le cas, et cela laisse donc le champ libre à des groupes qui se sont, eux, très bien organisés, pour occuper l’espace public. On a exactement le même phénomène dans le syndicalisme, et d’autres mouvements de gauche extrême."

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