20 avril 2020
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Déjà rejetée par l’Académie française, cette révision militante de la grammaire a été jugée inutile et trop lourde par les auteurs de l’encyclopédie en ligne, qui mettent en avant des considérations pratiques."
Par Paul Sugy
"Wikipédia, la plus grande encyclopédie en ligne, n’est pas près d’adopter les règles de l’écriture inclusive (sic) [1], cette forme particulière de graphie qui remplace la règle du masculin qui l’emporte [2]. Son usage était déjà officiellement déconseillé par le gouvernement dans ses documents officiels, « notamment pour des raisons d’intelligibilité et de clarté de la norme ». Chez Wikipédia, une consultation a été lancée auprès des contributeurs, qui sont des citoyens lambda - généralement des étudiants, enseignants ou passionnés - pour savoir quel usage adopter.
Jusqu’ici, certains l’employaient régulièrement. Mais d’autres s’empressaient alors de corriger, pour harmoniser les règles de grammaire avec le reste du site. Ce qui a généré des « guerres d’édition » interminables. Ainsi, la question de l’écriture inclusive est sujette depuis quelques années à une vraie querelle byzantine, au point qu’aucun consensus stable n’avait pour le moment réussi à émerger. « Nattes à chat », une contributrice de Wikipédia qui se présente comme féministe, avait alors proposé à l’automne de sonder les contributeurs réguliers.
Ces derniers ont ainsi eu à statuer sur la pertinence ou non d’employer, autant que possible, des termes englobants à la place des masculins pluriels (« le lectorat » plutôt que « les lecteurs »), des accords de proximité (l’adjectif s’accorde avec le nom le plus proche lorsqu’il se rapporte à plusieurs : « des jours et des nuits entières » plutôt que « des jours et des nuits entiers »), des formulations inclusives (« celleux », « iels », « contributeurices »…) ou encore les fameux mots-valises (qui impliquent l’usage d’un point médian, par exemple « contributeur·ice·s »). Des questions très précises, élaborées dans la douleur : « Les discussions en amont du sondage étaient tellement âpres qu’il n’y a même pas eu de consensus… sur l’émergence ou non d’un consensus ! » explique au Figaro « Pic-Sou », qui a ouvert le sondage. Et pour cause : la page de discussions entre les membres s’étend sur plus de 600.000 caractères… l’équivalent d’un roman comme Le Père Goriot ! Certains n’ont toujours pas accepté les résultats de la consultation.
Terminé dimanche soir, le sondage, qui a réuni un taux de participation record par rapport aux autres enquêtes lancées sur la plateforme (374 votes), révèle qu’une majorité claire refuse de déroger aux règles en vigueur. Seules exceptions : la féminisation des titres et l’emploi de termes englobants, où une tolérance serait envisageable au cas par cas. Certes, la majorité des contributeurs de Wikipédia sont des hommes, mais l’examen des arguments avancés par les sondés met surtout en lumière les apories de l’écriture inclusive et les difficultés qu’elle créerait.
Ainsi, bien que « Nattes à chat » soit favorable au langage épicène, au nom des théories sur la construction sociale des genres, « Maëlan » lui rétorque que de toute manière, l’écriture inclusive est elle-même… odieusement rétrograde, puisque binaire : elle ne reconnaît que deux genres ! « Cymbella », elle, craint une perte de précision lexicale : dire ainsi « le personnel d’une entreprise » plutôt que « les salariés » est une formulation plus vague - ce qu’une encyclopédie ne peut se permettre. De nombreux contributeurs redoutent également un alourdissement du texte qui nuirait à la clarté de la lecture. Enfin, beaucoup tiennent aussi à préserver la neutralité de Wikipédia : le passage à l’écriture inclusive leur paraît clivant, et risque d’incommoder de nombreux lecteurs. « Wikipédia n’a pas vocation à devenir un laboratoire expérimental de la langue française pour militants en mal de tribune politique », résume « Lebob ». Et pourquoi ne pas écrire aussi en vert, pour sensibiliser les lecteurs à l’écologie ? ironise « Moyg ». D’ailleurs sur le même registre, « Montag78 » observe à juste titre que l’écriture inclusive allongerait la taille des fiches Wikipédia, alourdissant ainsi le trafic généré, et contribuant donc… à accélérer le réchauffement climatique !
Plus surprenant, on découvre à cette occasion que Wikipédia est naturellement enclin à une forme de conservatisme, puisque la plateforme exige, à l’appui de chaque fiche, un nombre conséquent de sources, puisées dans les articles de presse et les ouvrages de référence - qui, pour la majeure partie d’entre eux, sont rédigés dans un français parfaitement académique. Hors de question, donc, d’employer des règles grammaticales différentes sur l’encyclopédie. « Jolek », enfin, rappelle que le site est visité par de très nombreux jeunes élèves : mieux vaut éviter de s’adresser à eux dans une langue différente de celle pratiquée en classe. Même au sein de la communauté Wikipédia, pourtant réputée avant-gardiste, le bon sens a donc prévalu sur les arguments militants."
Lire "Pourquoi les contributeurs de Wikipédia refusent de passer à l’écriture inclusive".
[1] Note du CLR.
[2] Académie française : "Le français connaît deux genres, traditionnellement dénommés « masculin » et « féminin ». Ces vocables hérités de l’ancienne grammaire sont impropres. Le seul moyen satisfaisant de définir les genres du français eu égard à leur fonctionnement réel consiste à les distinguer en genres respectivement marqué et non marqué. Le genre dit couramment « masculin » est le genre non marqué, qu’on peut appeler aussi extensif en ce sens qu’il a capacité à représenter à lui seul les éléments relevant de l’un et l’autre genre", lire "Féminisation des titres et des fonctions" (Académie française, 14 juin 84), "La féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres" (Académie française, 10 oct. 14) (note du CLR).
Voir aussi dans la revue de presse Ecriture "inclusive" dans Langue française ; Wikipédia dans Médias : Internet dans Médias (note du CLR).
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