L. Astre, C. Bataille, N. Baléato, P. Bergé, H. Caillavet, J.-P. Changeux, N. El Fani, C. Fourest, G. Georges, J. Glavany, P. Kessel, C. Kintzler, G. Konopnicki, A. Memmi, M. Perret, O. Saugues, M. Sifaoui. 30 avril 2012
La montée du chômage, de l’injustice et des inégalités, les régressions sociales, la déchirure culturelle et l’ascension des communautarismes, l’affaiblissement des valeurs universelles et de l’éthique des Lumières, l’invasion de l’argent dans toutes les sphères de la société, la décomposition de la politique en spectacle médiatique, rendent indispensable le ressourcement de la République à ses fondamentaux. Une République que nous voulons réellement indivisible, laïque, démocratique et sociale, selon les termes de l’article premier de la Constitution.
La République est de moins en moins sociale. Alors que la réalité exigerait un sursaut de solidarité, la politique libérale menée ces dernières années (bouclier fiscal, baisse de l’impôt sur la fortune, injustice de l’impôt, atteinte au système de retraites par répartition, affaiblissement des services publics, hausse démesurée de la dette publique, médecine à deux vitesses, insuffisance du logement social) a grandement contribué à aggraver la déchirure sociale.
La République est de moins en moins démocratique. A l’origine, elle est une rupture avec l’Ancien Régime, celui du pouvoir personnel et de droit divin, celui du népotisme. Des nominations pour le moins hasardeuses ces dernières années à la tête d’établissements publics ou des chaînes de l’audiovisuel public témoignent de nouvelles dérives dans l’exercice de la magistrature suprême. La République a besoin d’un Etat fort, moderne, efficace et juste. Un Etat au service des citoyens. Le bilan, là aussi, est alarmant : situation de l’école, des prisons, de la justice, de la sécurité. Comme s’il s’agissait d’organiser le dépérissement des services publics, les plus aisés pouvant se tourner vers le privé.
La République est de moins en moins laïque. Les discours de Latran et de Ryad du Président sortant, attribuant davantage de mérite au prêtre qu’à l’instituteur, ses hymnes à une "laïcité positive" qui ne vise qu’à vider la laïcité de son contenu, l’aggravation de la législation qui met écoles publiques et privées à parité en matière de financement public, la reconnaissance des diplômes universitaires du Vatican, la mise en place de commissions départementales de la liberté religieuse sous l’autorité des préfets qui introduisent les autorités religieuses dans la vie politique..., parmi tant d’autres mesures, attestent une volonté de "toiletter" et à défaut de contourner la loi de séparation des églises et de l’Etat.
François Hollande a pris la mesure du péril en annonçant qu’il prendra l’initiative d’introduire dans la Constitution les principes de la loi de 1905. Les républicains ne peuvent que s’en réjouir car cette disposition permettrait de donner une force juridique supplémentaire au principe de séparation selon lequel "la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte" (article 2 de la Loi de 1905). Ainsi la République retrouverait le sens d’une laïcité sans qualificatif, clé de voûte de la citoyenneté. Ainsi se donnerait-elle les moyens d’en finir avec le financement d’un communautarisme qui ne dit pas son nom et fragilise la paix civile. Par cette annonce sur un principe majeur, François Hollande a franchi un vrai pas dans la bonne direction. Au-delà, il conviendra d’engager une réflexion collective afin que l’ensemble des territoires de la République, métropole et Outre-mer, rentrent progressivement dans la loi commune en matière de laïcité.
La République enfin est de moins en moins indivisible. Ses principes garantissent à chacun la liberté de choisir ses convictions, ses appartenances, ses préférences culturelles, sa sexualité, dans le respect des principes définis dans la Constitution. Cette liberté individuelle ne saurait être détournée pour légitimer un système de droits différents selon les communautés. La République n’est pas constituée de communautés aux droits différents mais de personnes libres et égales en droits. La Loi commune s’impose à tous. L’évolution des dernières années est inquiétante, notamment lorsqu’au nom de traditions spécifiques, certains contestent de fait l’égalité des droits entre hommes et femmes ou plaident en faveur d’un différencialisme menaçant pour la citoyenneté. Dans l’autre sens, le détournement de la laïcité par l’extrême-droite et certains courants populistes stigmatisant les citoyens de confession musulmane, le retour de la notion de "français de souche" qui a déjà servi lors des pages noires de l’histoire du pays, nous alertent de la montée des dangers. Le discours de Grenoble en juillet 2010 à propos de certains Français d’origine étrangère a contribué à cette dérive populiste. Face à ces menaces de déchirures culturelle et communautaire, face aux intolérances, à l’antisémitisme, au racisme, l’indivisibilité de la République exprime le projet d’un vivre-ensemble en fraternité.
La République est blessée. Pour trop de nos concitoyens, le mot "République" ne résonne plus comme l’idéal d’une société plus juste mais comme le nom d’une station de métro !
Le temps est venu de restaurer la République garantissant à tous les citoyens, quelles que soient leurs origines, leur couleur, leurs convictions religieuses et philosophiques, leur sexe, la liberté, l’égalité des droits et des devoirs, la dignité et la justice sociale. Une République réellement indivisible, laïque, démocratique et sociale.
François Hollande, candidat à la Présidence de la République, a annoncé qu’il faisait de cet objectif une des priorités de son programme. Nous qui, d’horizons divers, avons toujours plaidé pour ces principes, avons entendu son engagement et serons à ses côtés pour mener à bien ce projet ambitieux.
SIGNATAIRES
Louis Astre (syndicaliste) - Christian Bataille (ancien Président du Jury du Prix de la Laïcité, député) - Natalia Baléato (directrice de la crèche Baby Loup) - Pierre Bergé (Président de la Fondation Bergé-Saint Laurent) - Henri Caillavet (ancien ministre) - Jean-Pierre Changeux (professeur honoraire au Collège de France) - Nadia El Fani (cinéaste) - Caroline Fourest (journaliste) - Guy Georges (ancien secrétaire général du SNI-PEGC) - Jean Glavany (ancien ministre) - Patrick Kessel (journaliste) - Catherine Kintzler (philosophe) - Guy Konopnicki (journaliste) - Albert Memmi (écrivain) - Marie Perret (professeur de philosophie) - Odile Saugues (Présidente du Jury du Prix de la Laïcité, députée) - Mohamed Sifaoui (journaliste, écrivain).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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