Par Patrick Kessel, président d’honneur du Comité Laïcité République 31 octobre 2007
La création d’un ministère de " l’identité nationale " a suscité une de ces polémiques franco-française dont notre pays a le secret, confuse et inquiétante pour ce que le sujet porte de refoulé et de non-dit.
" Identité nationale " : l’association de ces deux mots qui fait rarement problème chez nos voisins se révèle explosive dans l’hexagone, tant il est vrai que la question de la Nation demeure un sujet particulièrement chaud. Il s’agit ni plus ni moins que de répondre à la question " Qu’est-ce être français " ?
Pour les uns, l’identité nationale constitue la brique de base, l’atome, la quintessence inaliénable, inoxydable, fixée de toute éternité, sacrée comme la croix du Christ ou le mètre-étalon déposé au Pavillon de Breteuil !
Cette conception a nourri les pages les plus sombres de l’histoire du pays, se caricaturant elle-même en postulant une France blanche, catholique, apostolique, romaine ! Une France française ! Une certaine France la partage avec d’autres nationalismes xénophobes. Le Cardinal Glemp, Primat de Pologne ne disait rien d’autre lorsqu’il proclamait que " seul un catholique peut-être considéré comme un vrai Polonais ". Même message chez les tenants de République dite " islamique ".
Cette identité nationale-là porte inéluctablement la ségrégation, la discrimination, la haine des autres et conduit à l’affrontement des communautés, à l’enfermement des individus dans leur " tribu " d’origine, à l’aliénation à d’incurables obscurantismes.
Pour d’autres, les Nations seraient la cause exclusive des guerres des XIXème et XXème siècles et seraient donc obsolètes, ringardes, réactionnaires.
L’identité nationale serait à jeter aux " poubelles de l’histoire " : l’heure serait à la mondialisation de l’économie et à l’instauration d’une " culture monde ", mosaïque de toutes les communautés humaines, généreuses et tolérantes. Mais l’actualité mondiale n’atteste pas d’une montée en puissance de ce modèle. Loin s’en faut ! L’Histoire contemporaine ne témoigne pas d’une évolution vers une République planétaire, vers une citoyenneté universelle qui garantirait à chaque être humain la liberté de conscience, l’égalité des droits et des devoirs et la solidarité entre tous ! C’est là sans doute l’utopie que les héritiers des Lumières devraient se donner comme projet du siècle. Elargir la Nation à l’humanité mais pour plus de République et pas moins !
En attendant que cette utopie se mette en marche, l’idée de Nation, tantôt à droite, tantôt à gauche, constitue probablement le moyen essentiel pour résister à la libéralisation mondiale de l’économie, du social et de la culture et en même temps pour faire face à la fragmentation de la République en un patchwork de communautés. Ainsi la Nation se pose-t-elle en garant des principes fondateurs de la République, alors que les communautarismes, nouveaux nationalismes, vident la citoyenneté de son contenu universaliste.
Ceux qui croient se mettre au service de la revanche de peuples autrefois colonisés en revendiquant les discriminations dites " positives ", " le droit " à porter le voile dans les écoles publiques et la révolte des communautarismes contre l’identité nationale, se trompent de combat. Ce n’est pas là un progrès conduisant vers plus d’internationalisme et d’universalisme mais une véritable régression qui prépare l’affrontement des communautés et le choc des civilisations.
Etre français en République ce n’est pas être d’une couleur, d’une foi, d’une origine, d’une caste, d’une classe ou d’un code génétique. Etre français depuis la Révolution c’est être citoyen, différent des autres citoyens par naissance, par culture, par choix mais avant tout libre et égal en droit. Ce n’est pas le code génétique qui fait la citoyenneté, c’est en quelque sorte la citoyenneté qui fait le code génétique de l’identité. Tel est le socle de l’identité nationale dans une République sociale et laïque.
Ni " franco-française ", ni communautariste, l’identité nationale est universaliste en ce sens qu’elle est ouverte aux femmes et aux hommes quelles que soient leurs origines, qui se reconnaissent dans les mêmes droits et les mêmes devoirs réciproques. Et de ce fait participent de la fraternité, troisième terme de la devise de la République, inséparable des deux premiers, qui devrait constituer le ciment de la Nation. Ainsi l’identité nationale est-elle l’autre face de la citoyenneté républicaine.
Aussi pour lever la confusion toujours lourde de menaces, il ne serait pas inutile que le " ministère de l’identité nationale " soit rebaptisé " ministère de la citoyenneté républicaine ".
Chacun, pourrait ainsi comprendre que l’identité nationale n’est pas tournée vers un passé archaïque mais est vivante et participe de la marche de l’humanité, vers son émancipation.
Patrick Kessel
président d’honneur du Comité Laïcité République
Cet article est paru dans Laïcité Info (nov.-déc. 2007), le bulletin du CLR, que l’on peut télécharger ici.
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