31 mai 2017
"Le week-end dernier à Varsovie, le public d’une pièce jugée blasphématoire a été attaqué à coups de fumigènes et d’insultes. Un épisode loin d’être marginal dans un pays aux mains du parti conservateur Droit et Justice.
De soir en soir, le théâtre Powszechny à Varsovie ressemble davantage à une forteresse retranchée qu’à un lieu culturel paisible. Depuis quelques semaines, les représentations de la pièce de théâtre Klatwa sont menacées par des ultranationalistes des Jeunesses de la grande Pologne, du parti d’extrême droite Camp national-radical (ONR) et des catholiques intégristes. Echaudés par une œuvre qu’ils jugent « blasphématoire », ils ont attaqué, le week-end dernier, le public à coups de pétards, de fumigènes et d’insultes. Après qu’un acide butyrique, un répulsif non toxique provoquant des nausées, a été lancé dans le hall du théâtre, la direction a dit craindre pour ces acteurs qui, comme tant d’autres dans une Pologne gouvernée par l’inquiétant parti de droite Droit et Justice (PiS), jouent sous forte pression. Dehors, un agent de sécurité vérifie trois fois les sacs des spectateurs, de peur qu’un fumigène ne soit lancé sur scène. Du jamais vu dans le pays.
« Nous, catholiques polonais, sommes offensés, déclare Anna, la soixantaine, rosaire à la main. Dans la pièce, il y a le pape, notre saint, avec un énorme pénis et une actrice pratique du sexe oral avec lui. C’est de l’art ? L’art, c’est la beauté, le bien et la vérité. » Autre scène choquante aux yeux des perturbateurs : une pancarte « défenseur des pédophiles » attachée à la statue grandeur nature de Jean Paul II. Une corde avec un nœud de pendu lui est passée autour du cou. « Toute cette pourriture nous vient de l’Ouest ! » reprend la femme. Pas exactement. Car c’est le metteur en scène croate Oliver Frljić qui signe cette pièce, sur un texte de Stanislaw Wyspiański, auteur classique du répertoire polonais.
On y narre l’histoire d’une femme, mère de deux enfants qu’elle a eus avec un prêtre, qui, dans un petit village de Pologne, est tenue responsable d’une sécheresse qui frappe les récoltes. Les habitants demandent son châtiment. Frljić en fait le point de départ d’une critique virulente, de l’hypocrisie des prêtres, de la mainmise de l’Eglise sur la vie publique ou des affaires de pédophilie, d’une part, mais aussi de la Pologne xénophobe de Jaroslaw Kaczyński, qui exploite l’église à des fins politiques tout en refusant d’accueillir les réfugiés d’autre part. Une façon de s’attaquer « à la hiérarchie comme nul ne l’a fait auparavant en Pologne », si l’on en croit un autre spectateur qui, à la sortie du théâtre, confie lui-même « croire en Dieu, mais rejette l’Eglise comme institution corrompue et compromise […] qui a porté au pouvoir le parti Droit et Justice ».
Agnieszka Jakimiak, coauteure de la pièce, explique quant à elle : « Notre but n’était pas de provoquer l’indignation mais de donner la parole à ceux qui, dans la Pologne d’aujourd’hui, n’ont pas le courage d’exprimer un autre point de vue que celui des catholiques et des nationalistes. » Dans un communiqué, le théâtre Powszechny a souligné de son côté que « le spectacle donne la parole à des positions idéologiques variées et doit être analysé comme une œuvre artistique intégrale et non un ensemble de scènes à part, sans rapport entre elles ».
Ironie du sort, les controverses autour de la pièce ont contribué à ce qu’elle se joue aujourd’hui à guichets fermés. Le parquet ayant ouvert une enquête pour « offense aux sentiments religieux », la question est : jusqu’à quand jouera-t-elle ? « Tout est susceptible d’être offensant, déplore encore un spectateur. Bientôt, plus rien d’autre ne sera permis dans notre pays que des cérémonies officielles patriotiques et catholiques. »
Maja Zoltowska à Varsovie"
Lire "Pologne : une pièce de théâtre ciblée par des catholiques intégristes".
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