Revue de presse

"Plongée au cœur de Terra Nova" (Le Monde, 26 nov. 09)

29 novembre 2009

"On connaissait l’Institut Montaigne, l’agence Telos, la République des idées... Depuis mai 2008, l’un des cercles de réflexion les plus productifs s’appelle Terra Nova. En dix-huit mois, le dernier-né des think tanks français a publié près de 200 notes qui irriguent les médias et alimentent les élus socialistes en mal d’argumentaires sur un nombre impressionnant de sujets aussi variés que la révision constitutionnelle, le travail dominical, la taxe carbone, l’engagement en Afghanistan ou la réforme du crédit. Rien que le mardi 24 novembre, Terra Nova a publié une note "Commission Juppé-Rocard : quels enseignements pour les partis progressistes ?", suivie, quelques minutes plus tard, d’un second travail, nettement plus critique à l’égard du pouvoir : "La baisse de la TVA dans la restauration : une mesure coûteuse qui ne sert à rien".

Créé pour "favoriser la rénovation intellectuelle de la social-démocratie" sur le modèle des think tanks américains, Terra Nova n’a pas manqué ses débuts. Cette "fondation progressiste et indépendante" ne veut pas seulement remplir le vide programmatique de l’opposition. Elle a l’ambition de "moderniser la matrice de la gauche". Son principal fait d’armes est son rôle de premier plan dans la conversion du PS aux primaires, ratifiée le 1er octobre par 68 % des militants socialistes.

Convaincu que toute rénovation du PS exige au préalable de régler la crise de leadership, le fondateur de Terra Nova, Olivier Ferrand, appuyé par Arnaud Montebourg, a, ce jour-là, remporté sa première grande bataille. Depuis, ce jeune homme de 40 ans, diplômé d’HEC, de Sciences Po et de l’ENA, ancien membre des cabinets ministériels de Lionel Jospin et de Dominique Strauss-Kahn, a notamment fait travailler ses équipes sur la taxe carbone, un sujet de tension dans les rangs socialistes, mais aussi entre le PS et les Verts. Deux notes rédigées par Pierre Radanne, ancien président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), ont permis de faire travailler ensemble députés du PS et des Verts.

Cette expertise s’est également manifestée sur des dossiers plus techniques, comme l’ouverture à la concurrence des jeux d’argent, dès mai 2008. "Ce travail a permis de suppléer l’absence d’expertise de la gauche dans ce domaine", constate le député Gaëtan Gorce. "Pour autant, on ne peut pas charger Terra Nova de se substituer au travail politique."

Doté d’un budget annuel de 700 000 euros annuels, assuré par quelques "entreprises mécènes", comme la Caisse des dépôts, Euro-RSCG, Microsoft, Cap Gemini ou encore par le très discret octogénaire Henry Hermand, un proche de Michel Rocard qui a fait fortune dans l’immobilier commercial, Terra Nova se définit comme "un chaînon manquant".
"Notre rôle consiste à capter et à identifier les solutions nouvelles que la gauche pourra mettre en débat", estime Olivier Ferrand. De ses locaux situés sur les Champs-Elysées, Terra Nova, qui adresse ses notes et ses essais à quelque 1 200 "contacts", dispose d’un réseau de 500 experts, dont 150 du secteur privé. En raison de ses liens avec Dominique Strauss-Kahn (il a notamment été son directeur de campagne, en 2006, lors de la primaire contre Ségolène Royal), Olivier Ferrand est suspecté par beaucoup de rouler pour DSK.

Pour des raisons de confidentialité, certains signent leurs travaux sous pseudonyme. Par ailleurs, une trentaine de groupes de travail ont été constitués sur des thèmes plus larges (la réforme de l’Etat-providence, le système de santé, les banlieues), sans oublier un groupe plus politique dont l’objectif est d’identifier "de possibles convergences sur le modèle de croissance", qui rassemble des représentants du PS, des Verts, mais aussi du PC, d’Attac et du MoDem, dont Jean-François Kahn.

Le conseil d’orientation scientifique, présidé par Michel Rocard, compte 150 personnalités réparties en trois collèges (des universitaires, des représentants de la société civile et des experts internationaux). Y figurent notamment Eric Maurin, Daniel Cohen, Elie Cohen, mais aussi des intellectuels ayant travaillé avec Ségolène Royal (Philippe Aghion, Dominique Méda, Mathieu Pigasse) ou Bertrand Delanoë.

Simple vitrine que ce comité, qui ne se réunit que deux fois par an, comme l’affirment certains ? "Les structures sont légères, peu contraignantes, et chacun participe selon ses disponibilités, mais, au final, nous sommes régulièrement sollicités pour participer à la production de Terra Nova", rétorque le député européen Henri Weber, qui pilote un groupe de travail sur "L’évolution de la notion de parti politique dans le nouvel âge de la démocratie".

La fondation, qui n’emploie que... trois salariés, s’appuie donc sur le travail en réseau de ses experts. "Tout est bien huilé ; les groupes échangent par courrier électronique. Je suis épaté par ce mode de fonctionnement", assure le philosophe Patrick Savidan. Ce maillage serré est, semble-t-il, parfois organisé avec excès de zèle. "J’ai retrouvé mon nom parmi les membres d’un groupe de travail auquel je n’avais rien à voir. Ce ne sont pas des manières !", proteste un proche du maire de Paris.

Si Terra Nova a trouvé sa place, cette réussite ne l’affranchit pas des critiques. "Ses notes constituent un bon travail de "techno", mais, sur le fond, je ne suis pas sûr que les idées produites soient particulièrement novatrices et originales", considère Géraud Guibert, l’un des animateurs du pôle écologiste au sein du PS.

D’autres reprochent à Olivier Ferrand de "brouiller l’image de Terra Nova en participant à la course à l’ouverture". Une allusion à la décision du président de la fondation d’accompagner Michel Rocard dans la commission créée par le gouvernement autour du "grand emprunt". Au côté de l’ancien premier ministre, qui copréside cette commission, Olivier Ferrand - administrateur civil au ministère des finances - en est même l’un des rapporteurs. Le "cas" Ferrand pourrait même être à l’origine d’une disposition qui, dans le cadre de la future charte éthique du PS, devrait établir des "règles communes" - en clair, une ligne jaune à ne pas franchir en matière de sollicitations gouvernementales.

Quelques esprits caustiques se demandent si Terra Nova envisage de rédiger une note sur cette question afin d’éclairer la réflexion du PS."

Lire "Plongée au cœur de Terra Nova".


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