4 février 2008
Verdin/Quillardet : « La laïcité est-elle vraiment en danger ? »
"« En se souciant des religions, le président de la République est au diapason des Français », dit le dominicain Philippe Verdin [1]. « En réaction, je crains un retour à un anticléricalisme un peu primaire », répond le grand maître du Grand Orient, Jean-Michel Quillardet.
Le Figaro Magazine - Les discours d’inspiration religieuse prononcés par le président de la République au Latran et à Riyad ont mis en émoi les partisans de la laïcité. Faut-il s’attendre à une modification des rapports entre les Eglises et l’Etat ?
Jean-Michel Quillardet - Lorsque nous l’avons rencontré, peu avant son voyage en Arabie saoudite, Nicolas Sarkozy a pris des engagements fermes sur la pérennité des principes de la loi de 1905 : la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte, tout en garantissant l’exercice de ceux-ci dans le cadre de la liberté de conscience. Néanmoins, il a signifié que le gouvernement prévoyait quelques aménagements techniques. S’il s’agit, par exemple, du statut des pasteurs, cela ne nous regarde pas. Mais si, comme nous le craignons, une multiplication de dispositions réglementaires venait attenter auxdits principes, nous marquerions clairement notre opposition.
C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’un chef de l’Etat va aussi loin dans la manifestation de sa foi, mais surtout dans la reconnaissance qu’il accorde au fait religieux. Le général de Gaulle, dont tout le monde se rappelle la foi pratiquante, a toujours gardé de la réserve dans ses propos, s’abstenant de communier ou de se signer lors de manifestations officielles. Nous assistons donc avec inquiétude à une nouvelle formulation des rapports entre la République et la religion.
Père Verdin - Je constate pour ma part un changement de dialectique, mais ce n’est pas le seul domaine où le président de la République a le souci d’agir différemment de ses prédécesseurs. De Gaulle, que j’admire, appartient à l’Histoire. Le monde change, le président de la République l’a exprimé, de même qu’il a affirmé que la laïcité avait atteint sa maturité. Elle a plus de 100 ans ! Elle n’a donc nul besoin d’avoir peur, telle une petite fille sortie des jupons de sa mère, se retrouvant dans une forêt où de méchants ogres - des curés, des pasteurs, des rabbins, des imams - voudraient lui régler son compte.
Ce à quoi il faut être attentif, ce sont les êtres. « L’homme ne vit pas simplement de pain », disent les Evangiles. On imagine mal Nicolas Sarkozy et les curés de 2008 vouloir embrigader qui que ce soit. Mais de quoi vit-on aujourd’hui, et quelle est l’espérance ? Des dizaines de millions de gens sont morts au cours du dernier siècle à cause des idéologies sans Dieu. Elles se sont effondrées. Que reste-t-il ? 60 à 70 % de nos concitoyens estiment que les questions religieuses les intéressent, ou les font vivre. Il est légitime que le président de la République s’en soucie. C’est un problème de fond. Les religions sont essentielles, elles structurent et contribuent au lien social. Or, soudain, comme c’est bizarre, il suffit que le chef de l’Etat l’exprime, et ces questions deviennent taboues !
Jean-Michel Quillardet - On sent bien derrière ce projet politique une idéologie américaine - ou tocquevillienne - visant à investir la religion d’une mission de lien social. Débarrassée de toute conception théologique, métaphysique, la religion que nous propose le président de la République est un nouvel opium du peuple, avec pour fonction la paix publique, notamment dans certains quartiers en difficulté. C’est ainsi qu’en amendant la loi par le biais de mesures réglementaires, les associations cultuelles risquent de passer sous l’égide des associations de loi 1901, donc culturelles, ce qui permettrait aux collectivités locales de subventionner des activités cultuelles. Cela, nous ne l’acceptons pas.
Le coeur de la position du président de la République est de considérer qu’à une société de pauvreté, de précarité, il faut donner une réponse d’espérance qui serait la voie de Dieu : donc, la religion. Deux idées exprimées au Latran m’ont particulièrement choqué : considérer que la morale laïque ne peut que s’épuiser si elle n’est pas accolée à une aspiration à l’infini, et affirmer que seul le pasteur, au sens large du terme, peut transmettre la force de ses convictions dans son enseignement parce qu’il a une notion de l’infini, alors que l’instituteur est limité par sa propre fin.
Père Verdin - L’expression exacte du Président est : « Dans la transmission des valeurs et de l’apprentissage entre le bien et le mal, jamais l’instituteur ne pourra remplacer le curé ou le pasteur. »
Jean-Michel Quillardet - Je le conteste absolument ! La distinction entre le bien et le mal n’est pas de nature religieuse.
Père Verdin - Le président de la République présente les deux grands défis du XXIe siècle auxquels le pays doit faire face. L’un est de survie : le réchauffement de la planète. L’autre, c’est le retour du religieux. Que cela plaise ou non aux francs-maçons, c’est un fait. L’une des passions de Jean-Paul II comme de Benoît XVI est l’articulation de la foi et de la raison, dans la tradition de saint Augustin. C’est cela, le grand défi. Beaucoup de Français qui n’ont pas obligatoirement grandi dans une éducation chrétienne, juive, ou musulmane, tout d’un coup y reviennent. Pourquoi ? Parce que l’interprétation de la philosophie des Lumières s’est épuisée.
Jean-Michel Quillardet - Elle est au contraire au centre de l’organisation de notre modernité. C’est le respect de la liberté de conscience. Votre foi vous appartient, elle est votre jardin secret. L’Etat fait respecter votre croyance ou vos choix philosophiques. Quand vous parlez de retour au religieux, j’observe plus exactement, et nous le voyons bien au Grand Orient de France, une recherche accrue du sens à donner à nos vies. Ce sens, vous le trouverez peut-être dans la religion, mais aussi dans des dimensions spirituelles sans Dieu, de quête personnelle.
Père Verdin - Une spiritualité sans Dieu ! Il faudra que vous m’expliquiez ce curieux concept. Quand vous dites que la religion est uniquement un « jardin secret », je le récuse. Elle concerne mille domaines de la vie sociale. En outre, la laïcité à la française est spécifique. Nos voisins européens vivent très bien sans cette laïcité timorée.
Jean-Michel Quillardet - Ce qui n’empêche nullement les grands mouvements laïques, comme en Espagne. Zapatero l’a dit : la monarchie espagnole n’a pas été jusqu’au bout de sa logique de démocratisation, parce que la séparation entre l’Eglise et l’Etat n’est pas suffisamment assurée. Mais revenons en France : l’idée avancée par Nicolas Sarkozy d’une laïcité positive est un non-sens. La laïcité n’a nul besoin d’adjectif dans la mesure où elle est au-dessus. Que le chef de l’Etat ait vanté la religion devant des théocrates en Arabie saoudite en ajoutant qu’il était, quant à lui, chargé de garantir la séparation des Eglises et de l’Etat et de respecter, au fond, l’ensemble des identités : le juif, le protestant, le chrétien, le rationaliste et le franc-maçon, revient à une fausse laïcité. Je ne demande pas au Président de me reconnaître en tant que franc-maçon, agnostique matérialiste, athée ; ou chrétien ou juif ou musulman. La République ne s’adresse pas en tant que tels à ceux qui croient au ciel ou à ceux qui n’y croient pas, mais aux citoyens.
Père Verdin - Le président de la République montre une attitude décomplexée vis-à-vis des religions. L’une des raisons pour lesquelles il a été élu est qu’il n’est nullement un idéologue. C’est pourquoi il n’y a pas à craindre qu’il touche aux principes de ce qui fonde le pacte républicain. Il a du flair, de l’intuition, il est au diapason de ce que ressentent les gens. Hyperactif et hyper-loquace, il a une fascination pour les hommes de silence et pour les hommes de prière. Il n’est pas le seul. C’est important dans l’art de vivre aujourd’hui en France.
Jean-Michel Quillardet - La religion n’a jamais été au coeur des débat politiques de ses prédécesseurs, et je crains que ses discours n’entraînent un retour à un anticléricalisme un peu primaire."
[1] Le père dominicain Philippe Verdin est le coauteur du livre de Nicolas Sarkozy La République, les religions, l’espérance (Le Cerf, 2004) - lire le communiqué du CLR Lettre ouverte à M. Nicolas Sarkozy (7 nov. 04). Plusieurs médias lui attribuent une influence dans le discours du président Sarkozy au Latran le 20 décembre 2007 (note du CLR).
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