"Emmanuel, Gérald, Laureline, Mathieu, Régis... et tous ceux qui ont goûté et aimé l’aventure Marianne2." 23 octobre 2013
"Pour commencer, on n’a pas de titre, parce que d’habitude c’est toi qui les faisais. On a plein d’idées hein, plein de jeux de mots qui t’auraient fait marrer mais aucun ne nous semble vraiment à la hauteur du maître que tu es.
« Maître » ? Oui, car nous sommes tous issus de l’école Cohen. Nous avons appris le journalisme à tes côtés, parce que tu as accueilli les uns après des années d’errance professionnelle, parce que tu as recueilli les autres fraîchement tombés du nid. Bref, nous avons tous eu cette chance inouïe d’assister à ces conférences de rédaction épiques où tu te pointais souvent affublé de ton pantalon violet en velours côtelé (notre préféré) associé à une chemise chamarrée. On te regardait, interloqués, et, en guise d’explication à ton look improbable, tu nous lançais : « Aujourd’hui, j’ai un dej important. »
Puis, c’était toujours le même rituel. Tu jetais ta pile de journaux sur la table, envoyais ton chapeau de monsieur Hulot à travers la pièce et te dirigeais d’un pas assuré vers la machine à café. « Putain mais c’est toujours moi qui vais chercher l’eau ! »
Ensuite, et seulement ensuite, on pouvait commencer, rentrer dans le dur et débattre.
De ces réunions, on garde un tas de souvenirs émerveillés, de ces réunions on pourrait presque tirer un « Petit précis de journalisme à l’usage de la profession ». Être journaliste, pour toi, c’est d’abord et avant tout penser en dehors du cadre, se demander pourquoi. « Pourquoi bidule me dit-il ça ? Quel est son but, son intérêt, son plan ? »
Ça peut sembler banal dit comme ça, mais quand on pratique ce métier au quotidien, on se rend compte qu’on oublie vite ce principe simple, mais pourtant essentiel.
Être journaliste politique à l’école Cohen, c’est aussi apprendre à mesurer « la vivacité d’un parti politique au physique de ses militantes ».
Être un bon journaliste enfin, c’est penser contre soi-même. Partant de notre gauche évidente, naïve et adolescente, tu nous as fait découvrir une autre voie politique, plus complexe, et plus juste aussi.
Penser contre soi-même, c’est également penser contre son milieu. Tu nous as ouverts à la critique des médias, un sens interdit de la profession que tu nous obligeais à emprunter tous les matins.
Tu nous as appris à deviner la part d’ombre d’un propos en apparence banal, à laisser de côté préjugés aveuglants et leçons de morale condescendantes, à nous déniaiser jour après jour, à interviewer sans complaisance ni connivence, à truffer nos papiers de références farfelues (Gérard Majax) et d’expressions baroques (bernique !) et surtout, à débattre, débattre, débattre, toujours débattre, en toute liberté et sans craindre, jamais, d’être jugé ou renvoyé dans les cordes.
Tu n’as jamais eu peur du renouveau, qu’il s’agisse des jeunes débarqués dans ta rédaction ou du web dans lequel tu t’es lancé corps et âme. En reprenant Marianne2007, puis Marianne2, avec un détour par l’inventif Vendredi fondé avec ton complice Rosselin, tu as su t’embarquer dans la grande aventure du Net, alors que tant de journalistes de ta génération n’y voient encore aujourd’hui qu’un espace incohérent, incontrôlable, et si loin de la « noblesse » du papier. Tu as été visionnaire. Et surtout, tu nous as fait partager ton inépuisable curiosité, celle dont on devrait toujours faire preuve pour tenter de nouvelles équipées, ouvrir de nouveaux chemins et aborder l’information comme un terrain de jeu formidable, loin du bruit assourdissant des infos répétitives et prémâchées qui s’accumulent dans nos médias.
De ce placard dont on t’a filé les clés, tu as su faire l’un des plus libres et riches laboratoires en ligne. Combien de blogueurs – tant méprisés et décriés à l’époque et si présents aujourd’hui sur tous les médias en ligne – te doivent leur première présence dans un média « officiel » ? Combien de jeunes – et de moins jeunes – journalistes sont passés par Marianne2 avant d’aller essaimer ailleurs, ou simplement à l’étage du dessus ? [...]
Nous revendiquons le surnom de « bébés Cohen » qui te déplaît tant mais que, par réaction, nous affectionnons encore plus. On sait que tu dois détester ce ton mièvre et ces déclarations qui t’ont toujours mis mal à l’aise. Tu exècres tellement ces séances d’autocélébration dans lesquelles la profession s’enferme si souvent. Pardonne-nous de t’infliger ça. [...]"
Lire "Philippe…".
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