« La gauche, la droite... et la laïcité », 8 fév. 14

Philippe Foussier : "Au Parlement de prendre ses responsabilités" (Colloque du CLR, 8 fév. 14)

Propos de clôture de Philippe Foussier, Président d’honneur du Comité Laïcité République, au Colloque du CLR « La gauche, la droite... et la laïcité », 8 fév. 14. 8 février 2014

Madame et Messieurs les ministres, mesdames et messieurs les parlementaires et élus,
citoyennes, citoyens, chers amis,

Le panorama que vous avez dressé tout au long de cette journée témoigne d’une réalité et le fait même que des groupes politiques ou religieux souhaitent remettre en cause la laïcité le confirme : il y a bien, en France, un problème avec la laïcité. On peut naturellement esquiver, comme on met la poussière sous le tapis. Mais avons-nous encore le droit de tergiverser, de finasser, d’échanger à coup d’arguties et de raisonnements juridiques sophistiqués ?

Notre société est traversée de tensions et la persistance d’un vote en faveur de l’extrême droite constitue un symptôme clair du sentiment d’impasse dans lequel se trouvent beaucoup de nos concitoyens. Nous voyons aussi depuis quelques années le débat public capté par tout ce que les extrémismes produisent de pire : les intégrismes religieux s’agrègent – on l’a vu à propos du débat sur la journée de retrait à l’école –, des convergences entre courants d’extrême gauche et d’extrême droite se concrétisent de plus en plus au nom d’un prétendu « antisionisme » et ce sont en réalité tout ce que notre pays compte comme courants opposés aux Lumières qui contestent la laïcité et son corollaire, l’égalité des droits, qui sont des remparts à la fois contre le communautarisme et le différentialisme.

Hélas, au service de la fin de cette conception universaliste, républicaine, égalitaire, il y a des courants qui se situent dans le champ démocratique et qui militent – eux aussi – pour une société des droits différenciés : les cinq rapports publiés en novembre dernier sur le site du Premier ministre en vue d’une "refondation de la politique d’intégration" relevaient globalement de cette philosophie. On trouve aussi trace de cette volonté dans des organismes tel que le très distingué think-tank Terra Nova qui souhaite nous vendre rien moins que la « citoyenneté musulmane », une resucée repeinte en rose pâle du « développement séparé », autrefois promu et institutionnalisé en Afrique du Sud. D’autres associations, obsédées par la couleur de peau ou les origines ethniques, s’inscrivent aussi dans cette logique de l’irréductible différence entre hommes et femmes issus d’origines religieuses ou géographiques différentes. Aurions-nous pu imaginer il y a 40 ans que le GRECE et le Club de l’Horloge auraient un tel succès idéologique, bien au-delà même de leur champ d’influence à la droite de la droite ?

Pour l’anecdote, je vous invite aussi à suivre de près les prochains débats sur les class actions, à savoir les actions judiciaires collectives. Destinée à l’origine à mieux protéger les consommateurs dans des litiges avec de grands groupes économiques, cette procédure, bien insérée dans le contexte d’extrême judiciarisation de la société américaine, a fait son arrivée en France à la faveur d’une loi sur la consommation. Jusque-là, rien à dire, sauf peut-être à contester l’idée que la justice ne s’applique pas individuellement mais collectivement, mais n’ouvrons pas ici ce débat. La nouveauté, c’est que cette procédure est désormais récupérée par des groupes de pression qui militent ouvertement pour un communautarisme institutionnalisé. Le Parlement est en effet saisi d’une proposition de loi pour introduire dans notre droit le concept de class action en matière de discrimination. Cela signifie que des « groupes de personnes » vont pouvoir porter plainte pour discrimination. Qui va définir les critères d’appartenance à ces groupes ? Chacun a déjà entendu parler des procédures déjà intentées par le CRAN par exemple contre l’Etat français pour réparation des séquelles de l’esclavage. Par le biais de cette disposition juridique anodine et inspirée par de bons sentiments, nous risquons demain d’avoir une justice communautarisée, premier pas vers une institutionnalisation du différentialisme. Ce sont les mêmes qui veulent introduire des statistiques ethno raciales pourtant chassées de notre droit depuis la fin du régime de Vichy, ce sont les mêmes qui veulent introduire la notion de « diversité » en lieu et place du principe d’égalité dans la Constitution, qui manœuvrent pour que cette disposition aboutisse.

Mais si nous sommes tous d’accord sur le diagnostic, il nous faut aussi tracer des perspectives. Nous avons établi le fait que l’absence de clarté faisait le jeu des adversaires de la République, qu’ils relèvent du champ politique ou du fondamentalisme religieux. C’est vrai par exemple sur la question des crèches, que l’affaire Baby Loup met en lumière depuis 2008. Et ce ne sont pas les controverses juridiques de haut vol entre les différentes juridictions qui vont nous convaincre du contraire. S’agissant d’un autre problème, celui des accompagnatrices de sorties scolaires, là aussi, le flou profite aux adversaires de la République et ce n’est pas l’avis du Conseil d’Etat du 23 décembre dernier qui va là aussi nous convaincre du contraire. Le flou n’en est que pire ! Le maintien de la circulaire Chatel n’est qu’un pis aller car on sait que, selon les pressions qu’exercent des parents ou des groupes religieux dans telle ou telle école, les chefs d’établissement sont confrontés à eux-mêmes, de la même manière que les principaux de collèges l’étaient sur la question des signes religieux entre le calamiteux recours au Conseil d’Etat de 1989 et la loi de mars 2004. C’est la clarté qu’il nous faut. C’est la clarté aussi qu’il faut pour définir une politique d’intégration – qu’il convient très certainement d’adapter dans ses modalités et dans son ampleur – mais sans jamais faire droit aux revendications communautaristes ou différentialistes, comme le rapport Tuot ou les cinq rapports placés sur le site de Matignon l’ont illustré. Sur tous ces sujets, le terrain est miné. Tout exécutif – de droite ou de gauche – qui prendra une initiative sera plombé par le jeu politique qui consistera pour l’opposition soit à s’opposer soit à surenchérir.

C’est parce que nous considérons qu’il y a danger pour la République qu’il nous semble devoir faire appel à des procédures sortant de l’ordinaire. Nous faisons ici appel au sens des responsabilités de tous les républicains, de droite comme de gauche, pour que le principe de laïcité continue à irriguer notre République. Elle n’appartient pas à un seul camp. Et dans la mesure où tout gouvernement sera de toute manière contesté dans sa façon d’aborder les questions, c’est au Parlement qu’il nous semble devoir prendre ses responsabilités. Nous demandons donc au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat de constituer – l’un ou l’autre – une mission d’information sur le modèle de la mission Debré de 2003, pour aboutir à des préconisations qui seront définies de façon concertée entre la majorité et l’opposition. C’est cela – avec le rapport de la commission Stasi – qui a permis d’aboutir à la loi du 13 mars 2004 sur les signes religieux à l’école, votée à une écrasante majorité du Parlement. C’est cette procédure qu’il faut réutiliser pour clarifier les choses sur la neutralité dans les crèches ou pour les sorties scolaires. Préservons nos enfants du prosélytisme religieux. Et politique ! Retrouvons l’inspiration de Jean Zay, ministre du Front populaire, qui en 1937, par sa fameuse circulaire abrogée par Pétain et ses sbires, garantissait que les enfants soient préservés de tout prosélytisme religieux, politique et même philosophique !

C’est donc en ces circonstances au Parlement de prendre ses responsabilités comme il l’a si bien fait en 2003 et aussi dans la préparation de la loi de 1905, dont il faut rappeler que c’est le travail parlementaire en amont qui a permis l’adoption de cette loi d’équilibre à laquelle nous sommes à juste titre tant attachés. La laïcité est le bien commun de tous les républicains, elle est garante de la paix civile et de l’émancipation, elle n’est pas une opinion mais bien plus que cela : la liberté d’en avoir une. C’est donc cet appel solennel que nous lançons aujourd’hui à MM. Claude Bartolone et Jean-Pierre Bel, dans l’enceinte même de l’Assemblée nationale. Les républicains ne peuvent plus, ne doivent plus laisser la laïcité être récupérée par ses ennemis et piétinée par ses adversaires. C’est à une solution de sagesse, de conviction et de courage que nous appelons les parlementaires républicains.



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