Note de lecture

Ph. Pujol - Marseille : la chute du système Gaudin (G. Durand)

par Gérard Durand. 21 janvier 2022

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Philippe Pujol, La Chute du monstre. Marseille année zéro, éd. Seuil, 2019, 288 p., 19 €, rééd. Points, 2021, 7,70 €.

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Même si vous n’avez pas une confiance folle envers les politiques, ce livre vous fera un choc. Comment est-il possible qu’un homme ait pu être élu, puis réélu dans une ville où il n’a connu que des échecs, ou plutôt qu’il a totalement négligée avec un cynisme devenu comme une seconde nature et un art consommé dans l’art d’éliminer l’un après l’autre tous ceux pouvant lui faire de l’ombre.

Philippe Pujol est journaliste, il a reçu en 2014 le prix Albert Londres pour sa série d’articles sur les quartiers shit parue dans La Marseillaise, il a aussi publié un premier livre sur le système Gaudin, La Fabrique du monstre. Il nous parle ici de la chute de ce même système plus de vingt ans plus tard sur le ton du Trop c’est trop !

Le système Gaudin repose sur trois principes. Sa soumission au syndicat FO local qui lui assure en retour un soutien massif. Une servilité envers les gros promoteurs immobiliers qui feront la Marseille moche en construisant de grands ensembles qui se paupérisent à peine le béton sec. Enfin la vassalisation des incompétents, une république des « chacapans », mot marseillais qui désigne les incompétents sans scrupules. Gaudin place ses chacapans dans de nombreuses fonctions clés, pendant que, dans l’ombre, les postes sont doublés par des personnes compétentes. L’auteur précise, donne des noms, comme celui de cet ancien pizzaiolo repéré pour sa capacité à séduire mais dont ses collègues disent qu’il est tellement peu compétent qu’il en devient vite méchant, c’est même sa fonction.

Mais le temps est impitoyable. Même les records de durée sont faits pour être battus et doivent arriver à leur terme. Pour Gaudin la fin a commencé lors de l’effondrement des deux immeubles de la rue d’Aubagne et les huit morts de cette catastrophe. Elle a mis sous les projecteurs ces immeubles vétustes jusqu’à l’inhabitable où se réfugie un sous prolétariat dans des appartements insalubres dont beaucoup sont propriété de marchands de sommeil proche de la mairie, voire de conseillers municipaux. Qui dit catastrophe dit enquêtes, conduites par des fonctionnaires indépendants qui font découvrir qu’il y a dans Marseille quatre mille immeubles de ce type soit un total de plus de quarante mille logements. Certains ont dû être évacués d’urgence et leurs occupants relogés à grands frais dans des hôtels pour de longues périodes.

Chaque page du livre fait ressortir de nouvelles turpitudes et de nouvelles compromissions. Abandon total de l’entretien des écoles, où les élèves doivent apprendre en évitant les rats. Gaspillage inimaginable de fonds publics comme dans la prétendue rénovation de la rue de la République dissimulant de fait une opération spéculative. Multiplications des avantages en nature pour les affidés, Marseille bat tous les records de voitures de fonction, avec plus de mille véhicules. Multiplications des centres d’« influence », comme la franc-maçonnerie ou le Cercle des nageurs, sans oublier les cercles catholiques. Enfin, pour faire bon poids, bourrage des urnes à chaque élection, dont l’auteur nous indique même le mode d’emploi.

La limite a été atteinte lors des dernières élections municipales et le clan Gaudin battu. Philippe Pujol nous dit que la page est tournée et que la ville va connaître une époque plus faste. Souhaitons qu’il ait raison, sans toutefois oublier que la victoire de cette nouvelle équipe est en partie due à une belle magouille politicienne qui a consisté à faire élire une candidate populaire qui quelques semaines après son élection démissionna au profit de son premier adjoint qui, habitué du système, avait moins de chances de l’emporter. Les habitudes ont la vie dure.

A lire, au moment où Marseille devient l’un des principaux centres d’intérêt de la vie politique, comme une belle leçon sur la façon dont fonctionne notre démocratie.

Gérard Durand


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