4 juillet 2014
"Pendant le ramadan, le droit du travail continue de s’appliquer dans toutes ses subtilités. Si la liberté religieuse est garantie, elle doit s’accommoder du pouvoir de direction du chef d’entreprise. Un vrai travail d’équilibriste pour concilier les demandes des uns et les exigences des autres, qu’un dialogue dans la durée doit assurer.
Avec le ramadan qui a débuté cette semaine, voici revenu le temps des interrogations sur la compatibilité entre le fait religieux et l’entreprise. D’autant que le feuilleton judiciaire autour de la crèche Baby-loup, loin d’avoir clarifié la situation, l’a plutôt embrouillée, en en faisant une décision pour ou contre le port du voile sur le lieu de travail, quand les juges de la cour de cassation n’ont statué que sur la question de savoir si une crèche privée pouvait se prévaloir du principe de laïcité (qui ne concerne que l’Etat et ses représentants). Bienvenue dans le monde de la complexité.
Une entreprise étant un lieu privé, la liberté religieuse y règne. Faire ou ne pas faire le ramadan est une question de liberté de conscience. Autrement dit, le salarié fait ce qu’il veut, mais il ne peut pas parce qu’il fait le ramadan demander un traitement différencié.
Car, comme toujours en droit, cette liberté n’est pas totale, elle doit s’articuler avec d’autres principes, eux-aussi essentiels. "Les droits fondamentaux comme la liberté de conscience connaissent des limites si elles sont objectivement justifiées et proportionnées au but recherché", explique Yves Tallendier, avocat associé chez Capstan.
Et le même détaille la situation paradoxale qu’implique ce droit ambigü parce que cherchant à concilier plusieurs principes essentiels. Si un salarié, explique en substance l’homme de l’art, demande des congés pour le ramadan, son employeur peut les lui accorder, mais officiellement pas pour cette raison. Car la religion des salariés, les pratiques qu’il observe ou pas, cela ne le regarde pas d’un point de vue légal.
Face à cette complexité, la réaction des entreprises s’apparente à un "Courage fuyons" général ou presque. Celles que nous avons contactées répondent d’un poli "nous n’avons pas de problème chez nous". A croire que personne ne pratique le ramadan, ou que la loi, telle qu’elle est, atteint son objectif. Ou alors que la peur d’être stigmatisé coupe toute envie de prise de parole. [...]
La réponse de Bouygues Construction est d’autant plus méritoire, même si elle reste très théorique. L’entreprise renvoie à un guide "religion et entreprise" distribué aux responsables RH et manager, qui n’est pas diffusé à l’extérieur mais dont nous avons pu consulter quelques extraits : "La finalité pour le manager est de privilégier le vivre-ensemble en créant un cadre qui permette à la fois à l’entreprise d’atteindre ses objectifs et d’être performante et à ses salariés de s’épanouir et de se sentir reconnus." Au manager donc de concilier comme il le peut les principes contradictoires et de trouver ce difficile équilibre.
Difficile mais pas impossible et surtout pas isolée. Cette méthode, pour l’avocat spécialisé, n’est vraisemblablement pas la plus mauvaise. "Entreprises et salariés réussissent manifestement à trouver des solutions pour le moment. Il y a un vrai écart entre le bruit médiatique sur ces questions et la réalité de la pratique. Les appels sur ce sujet représente moins d’1 % de ceux que je reçois", explique Yves Tallendier. Outre les débats passionnés qu’elle susciterait, une Loi sur la question risquerait de figer les situations, là où un peu d’écoute et de bon sens suffit.
Tant pis pour l’esprit cartésien qui aime une règle universelle, place aux arrangements locaux. Comme dans cette entreprise du BTP qui "adapte ses horaires de travail", réduisant la pause déjeuner à 20 minutes (le minimum légal), pour que les salariés qui le souhaitent puissent partir plus tôt. Chez Paprec, une entreprise qui a fait parler d’elle en mettant une place une charte de la laïcité, qui, aux dires des spécialistes, flirte avec la légalité, Sylviane Troadec, la directrice générale chargée des ressources humaines et de l’industrie explique la position de l’entreprise sur le sujet : "nous demandons aux équipes de s’organiser entre elles avec une règle : que cela ne pose de problème pour le service."
Concrètement, cela veut dire que si certains veulent réduire la pause déjeuner et partir plus tôt, cela peut-être possible si les autres membres de l’équipe sont d’accord, et si, bien sûr, ce changement d’horaires n’empêche pas de réaliser le travail quotidien nécessaire. Et d’ajouter que l’entreprise fait de même le 24 décembre quand certains demandent à partir plus tôt pour préparer le réveillon ou la messe de minuit.
Là où la question devient épineuse et où personne n’a vraiment de réponse définitive c’est si la pratique nuit à la santé au travail. Le guide de Bouygues Construction indique ainsi que "des restrictions à la liberté religieuse peuvent être admises face à des impératifs de santé et de sécurité." Ce genre de formulation se réfère en général, aux salariés qui ne voudraient pas porter un casque parce qu’il a une coiffe rituelle. Ou une femme dont le voile lui ferait courir un danger sur une chaîne automatisée.
Mais là encore il convient de mesurer ses actes. En imaginant un salarié fatigué par les jours de jeûne et les nuits courtes ("en fin de ramadan, on constate une plus grande fatigue au sein des équipes ", admet Sylviane Troadec) au point de se mettre en danger, l’employeur serait mal inspiré d’intervenir sur la question de l’absence de repas diurnes. "On ne peut évidemment pas forcer un salarié à manger ou à boire. Le fait même de les inciter à le faire serait très risqué car l’employeur rentrerait alors dans une sphère où il n’a pas à aller", prévient sans ambiguité Yves Tallendier. [...]"
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