Revue de presse

Pascal Bruckner : « Le “privilège blanc” est une notion dangereuse et mensongère » (lefigaro.fr , 22 déc. 20)

Pascal Bruckner, philosophe, auteur d’ "Un Coupable presque parfait" (Grasset, 2020). 1er janvier 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Pascal Bruckner, Un Coupable presque parfait. La construction du bouc émissaire blanc, éd. Grasset, 2020, 352 p., 20,90 e.

"L’écrivain analyse l’entretien accordé par Emmanuel Macron au magazine L’Express.

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LE FIGARO. - Dans un entretien donné à L’Express, le président de la République, Emmanuel Macron, a admis l’existence d’un « privilège blanc », qui est « un fait ». Que vous inspire cette saillie ? Le privilège blanc est-il un « fait » ?

Pascal BRUCKNER. -« Privilège blanc » est une notion importée du monde anglo-saxon et qui s’applique à des sociétés ségrégationnistes comme l’Afrique du Sud ou les États-Unis d’Amérique avant la révolution des droits civiques. Il suppose une minorité dominante qui dénie leurs droits aux autres citoyens au nom d’une prétendue supériorité ethnique ou raciale. Mais en Europe, majoritairement de peau claire, cette notion est une « ineptie dangereuse », comme l’a bien dit la socialiste Corinne Narassiguin, elle-même d’origine réunionnaise, car elle camoufle les rapports économiques ou sociaux. Que Macron soit un privilégié, fils de bonne famille, élève des meilleures écoles, banquier et politicien d’élite, est exact. Qu’il soit blanc n’ajoute rien à ces atouts dans un pays démographiquement « caucasien » à 90 %.

Y a-t-il un privilège noir en Afrique, un privilège chinois à Pékin, un privilège asiatique en Thaïlande ou Corée ? Les « gilets jaunes » sont-ils des privilégiés par ce que blancs par rapport aux millionnaires du football antillais ou afro-descendants, les agriculteurs, les employés, les ouvriers sont-ils favorisés parce que « leucodermes » ? Dans ce cas, de quoi se plaignent ces « salauds de pauvres » incapables de reconnaître leurs avantages ? Racialiser les rapports sociaux, c’est reconduire les discriminations que l’on prétend combattre ou dissimuler celles qui existent déjà : par exemple déduire une doctrine de la couleur de peau et parler de « pensée blanche » est le geste même du vieux racisme « scientifique » du XIXe siècle. L’épiderme, la biologie déterminent les opinions, les comportements malgré soi : on se croirait dans Tintin au Congo mais renversé. Ce néoracisme antiraciste est un terrible contresens.

Le fait qu’un homme politique ne puisse plus aujourd’hui faire autrement que d’avaliser l’idée de privilège blanc n’est-il pas le signe que la pensée indigéniste a profondément pénétré nos imaginaires ?

Nous (c’est un nous collectif) avons mis trois ans à persuader le président du danger de l’islam politique et c’est un bon point. Faudra-t-il trois ans de plus pour l’écarter des thèses décoloniales ou indigénistes venues des États-Unis ? Macron est un homme brillant mais affecté parfois du complexe de Zelig, ce personnage de Woody Allen qui devient ceux qu’il croise : Noir avec les Noirs, femme avec les femmes, obèse avec les gros. Le président veut tellement plaire à ses interlocuteurs qu’il parle, pense et réfléchit comme eux. Son spectre idéologique, ouvert à la manière d’un éventail, accorde une place à chaque famille de pensée sans voir les contradictions. Ainsi peut-il expliquer à Ouagadougou que le colonialisme est derrière nous et vouloir restituer certaines pièces de musée à l’Afrique ou présenter des excuses à l’Algérie. Il fait allégeance à tant de maîtres divers qu’il égare le commun des mortels. L’idéal républicain n’est pas compatible avec le multiculturalisme car ce dernier enferme les personnes dans leurs origines et les transforme en fatalité. Le racisme classique transformait la biologie en destin. L’antiracisme raciste également. Chacun est prisonnier de sa couleur de peau, de sa culture d’origine, de ses croyances. Bref, il retombe dans les travers qu’il prétend dénoncer

Le président de la République a confié à Pascal Blanchard le soin de mener une commission qui a pour objectif d’élaborer un carnet de noms de rue reflétant la diversité qui sera ensuite soumis aux maires. Que pensez-vous de cette proposition ?

Je n’ai pas les compétences de cet historien mais il faut noter que son engagement en faveur d’une République multiculturelle et postraciale aux côtés notamment de Rokhaya Diallo et de Lilian Thuram indique des orientations idéologiques assumées, très éloignées de la République une et indivisible. Je ne suis nullement opposé à ce qu’on donne à Toussaint Louverture, Abdel Khader, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Édouard Glissant, pour n’en citer que quelques-uns, des noms de places ou de rues qui d’ailleurs, pour beaucoup, existent déjà. La mairie de Paris a inauguré à juste titre en septembre un jardin Solitude du nom de cette mulâtresse (1772-1802) qui incarna la résistance des esclaves de Guadeloupe contre Napoléon. Attention toutefois aux gadgets, au paternalisme de la bonne volonté qui a poussé par exemple le New York Times à écrire « Noir » en majuscule et « blanc » en minuscule comme si cette humiliation typographique allait miraculeusement changer la vie des Afro-Américains.

Donner des noms issus de la « diversité » pour employer la novlangue actuelle aux rues et places de certains quartiers n’améliorera en rien la vie de leurs habitants : la satisfaction symbolique ne remplit ni le portefeuille ni les estomacs. Les individus en démocratie veulent être reconnus oui mais comme des personnes singulières, jugés selon leurs mérites propres et non déduits de leurs origines, de leur pigmentation. C’est le sens de l’émancipation républicaine qui promeut un universel de la pluralité et non de l’uniformité. Si on oublie ce principe fondateur, on s’embarque dans la quincaillerie idéologique des fanatiques de la Race, du Genre et de l’Identité qui enferment chacun dans sa particularité et rendent impossible l’idée d’un Nous collectif."

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