Revue de presse / tribune

Pascal Boniface, "« Bwana » au marché en train de sélectionner les bons esclaves" (Fatiha Boudjahlat, lepoint.fr , 21 oct. 24)

(Fatiha Boudjahlat, lepoint.fr , 21 oct. 24). Fatiha Boudjahlat, enseignante et essayiste, Prix national de la Laïcité 2019 22 octobre 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

JPEG - 5.1 ko

Lire "« Muslim d’apparence » : Pascal Boniface, le récidiviste".

LA CHRONIQUE DE FATIHA BOUDJAHLAT. Les propos du fondateur de l’Iris, Pascal Boniface, visant le maire PS de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, s’inscrivent dans une idéologie racialiste.

Par Fatiha Boudjahlat

Il y a les bons Arabes : musulmans tonitruants et électeurs captifs. Et les mauvais Arabes, les faux, ceux qui ne sont pas captifs de la gauche : les faux musulmans ou « musulmans d’apparence », selon la dernière trouvaille sémiologique du chercheur Pascal Boniface. Derrière cette expression, il y a toujours en creux la disqualification et le procès en légitimité de l’Arabe de service, comprendre l’Arabe au service des Blancs.

Si vous vous piquez de sociologie et de littérature en mode Reader’s Digest, vous parlez de "native informant" [informateur indigène, NDLR], le « Nègre de maison » docile et policé, complice du système oppressif, contre le « Nègre des champs », insoumis et sauvage, dans son jus. Ce cadre spatiotemporel du champ de coton est conforté par le tweet de Pascal Boniface visant Karim Bouamrane, le maire socialiste de Saint-Ouen, trop républicain à son goût.

Le marqueur identitaire des musulmaniaques

Dans son dernier tweet puant, voilà « Bwana » [le Blanc colonialiste, NDLR] au marché en train de sélectionner les bons esclaves. Bwana décide de qui est un vrai Arabe, et cela passe par l’ostentation musulmaniaque et la critique d’Israël : « Est-il un exemple de la méritocratie ? » se demande-t-il. « Alors bravo ! Ou instrumentalisé façon un muslim [sic] d’apparence qui ne critique pas Netanyahou et donc bénéficie d’une grosse promo médiatique. J’attends de voir. »

Comme souvent chez Boniface, il y a toujours ces relents antisémites, ce lien de causalité entre la puissance médiatique et les jui… pardon, les sionistes. Netanyahou = juifs = lobby possédant les médias : c’est l’axiome des imbéciles et des obsessionnels antisémites. Chez les bourgeois comme lui, il faut aussi toujours chercher l’amertume du déclassement. Il ne se remet pas de n’être plus invité, lui, le Iago, le toutologue de la géopolitique, sur les ondes de France Inter et de France Culture.

C’est quoi au juste un « muslim d’apparence » ? Boniface parle de « muslim » plutôt que de « musulmans », parce que ce terme des quartiers est un marqueur identitaire utilisé par les musulmaniaques pour se désigner entre eux. Il ne porte pas de robe de prière, de qamis, il est juste… arabe. Mais pour les faire voter d’un bloc, rien n’est plus efficace que de flatter et d’encourager la fibre religieuse, que de considérer les quartiers comme des territoires consulaires de la terre promise de LFI, la musulmanie.

Une entreprise de disqualification de Karim Bouamrane

Boniface est l’auteur de la note stratégique conseillant au PS de laisser tomber l’électorat ouvrier blanc, acquis à l’extrême droite, au profit de celui des quartiers. Mélenchon n’a pas dit autre chose lors d’une manifestation : il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers (il n’y a pas de jeunes dans les quartiers ?), « tout le reste, on perd notre temps ». L’obsession palestinienne et la critique de la police et de la laïcité suffisent à faire voter d’un bloc dans les quartiers.

Karim Bouamrane était invité sur France 2 face à Léa Salamé dans son talk-show du samedi soir. Il a osé dire que l’importation du conflit israélo-palestinien relevait d’abord de la stratégie politique communautariste de LFI. Le courage est de son côté tant cette position de bon sens peut lui coûter cher électoralement. Il n’y a rien de facile et que des coups à prendre à inscrire sa parole et ses actes dans l’universalisme républicain, dans les pas d’une gauche qui aime la France.

L’entreprise de disqualification se met alors en branle : Nègres de maison, « collabeur » ou le plus policé « musulman d’apparence ». Et forcément, l’Arabe qui n’est pas indigéniste est forcément instrumentalisé, son agentivité est niée. Il porterait la parole de son maître blanc. Pascal Boniface fait mine de découvrir le maire de Saint-Ouen, pour donner à penser qu’il serait issu de la Star Academy de la politique, qu’il serait la dernière coqueluche, alors qu’il a un parcours politique local de plus de vingt ans et qu’il vient de réunir une grande foule pour lancer son mouvement, en présence d’Anne Hidalgo et de François Hollande.

La facilité réside dans le discours anti-France et anti-République. La facilité est du côté de LFI et de ces intellos hors sol, comme Aurélien Bellanger et Pascal Boniface, qui veulent retraditionnaliser les enfants d’immigrés coupables de les concurrencer socialement et intellectuellement. Eux ont renoncé à politiser les quartiers, ils veulent juste en faire des électeurs captifs et des armes mobilisables pour le grand soir qui émoustille les bourgeois des centres-villes.

Il n’y a rien de facile et que des coups à prendre à inscrire sa parole et ses actes dans l’universalisme républicain. On est traités de Nègres de maison, de « collabeur », de harki, de traître à sa race. Karim Bouamrane a répondu de manière élégante en citant son parcours politique, qui ne se réduit pas à être un Arabe et à cracher sur Israël. Car c’est là la seule identité, le seul CV qui intéresse LFI et les racialistes.

« Muslim d’apparence » : après 3h d’émission, après 30 ans d’engagement à gauche ; élu de la République depuis 1995, voilà comment un chercheur me qualifie et se disqualifie définitivement. La lutte contre l’essentialisation continue ! Vive la République ! Vive la France ! https://t.co/Wp7P3MHKzg

— Karim Bouamrane (@karim_bouamrane) October 20, 2024

D’ailleurs, Rima Hassan est allée de son propre tweet faisant du maire de Saint-Ouen un autre imam Chalghoumi, figure moquée et honnie parce que imam tenant un discours républicain. Ce n’est plus l’extrême droite qui nie l’individualité au profit de la figure unique de l’Arabe. C’est l’extrême gauche qui tient un registre du bon Arabe, forcément musulman voyant, forcément anti-France. Électoralement, ça marche. C’est destructeur, mais ça marche.



Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales