19 décembre 2015
"[...] Ma conviction, la voici : quand le peuple et la classe politique parlent du Front national, ils ne parlent pas de la même chose.
Qu’est-ce que le Front national pour le peuple, et notamment pour la fraction du peuple qui vote pour lui ? Un parti de classe, plus populaire et plus prolétarien que le Parti communiste ne le fut jamais au faîte de sa splendeur : 46,5 % des ouvriers, 41,5 % des employés, 41,4 % des chômeurs, une place croissante chez les paysans et une forte domination chez les jeunes (34,8 % chez les 18-24 ans). Le vote du Front national représente l’idéal rêvé de la sociologie bipolaire du marxisme : l’alliance du prolétariat et des classes moyennes contre les classes dirigeantes. A l’inverse, la « résistance » républicaine, comme dirait Jean-Christophe Cambadélis, est constituée par les cadres moyens et supérieurs, les patrons, les bobos, les intellectuels à haut revenu.
Sociologiquement, nous sommes dans la lutte des classes du milieu du XXe siècle. Et le programme du Front national, revu par Marine Le Pen et Florian Philippot, ne dément pas cette posture : défense de l’emploi et des services publics, retraite à 60 ans, protectionnisme, hostilité à l’Europe libérale, laïcité. C’est, à des détails près, le programme de la CGT, du Parti communiste et du Front de gauche. La seule différence notable porte sur l’immigration et la sécurité ; c’est là, à n’en pas douter, que se fait la décision chez les électeurs : 28 % pour le FN, contre 4 % au Front de gauche, soit un rapport de un à sept. C’est dire que c’est là le point décisif ; il ne sert à rien de tenter de l’escamoter en se retranchant derrière le conditionnement économique et social.
A l’inverse, qu’est-ce que le Front national pour la classe politique ? Un parti fasciste ou protofasciste. Depuis quelques jours, on entend beaucoup évoquer Vichy, la Résistance, les bruns - c’est-à-dire le nazisme. C’est en brun que le FN est représenté sur les cartes en couleurs du Monde. Au soir du premier tour, on a même avancé que le FN était contraire à notre Constitution : en ce cas, il faut l’interdire au plus vite.
En finira-t-on un jour avec cet increvable antifascisme inventé lors du congrès d’Amsterdam (1932) par Willy Münzenberg, qui était quelque chose comme le ministre de la Culture du Komintern et le nonce apostolique de Staline auprès des infidèles ? Voilà bientôt un siècle qu’on nous le sert à toutes les sauces. Inénarrable couteau suisse multi-usage, témoin de la paresse d’esprit et de l’ignorance crasse de gens qui n’en persistent pas moins à se prétendre intellectuels.
L’antifascisme universel n’est pas seulement inopérant. Il est néfaste, car il dispense de réfléchir à la nature des phénomènes nouveaux que nous rencontrons. A quoi bon analyser ce qui se passe, à la façon de Marx ou de Tocqueville, de Max Weber ou de Raymond Aron, de Gramsci ou de Furet, puisque de toute façon on retombera toujours sur une variante du fascisme de papa ! Aujourd’hui, le néoantifascisme de ces frères ignorantins s’appelle dénonciation de ce racisme et de cette islamophobie, dont on accable les électeurs du Front national, et plus généralement le peuple. Voulez-vous que je vous le dise ? Le vote Front national est pour partie croissante une réponse au mépris dans lequel les élites tiennent aujourd’hui le peuple, et le clivage que l’on a vu éclater dimanche soir était, hélas, un clivage de classe. Il pouvait pourtant espérer, ce peuple, que l’admirable sang-froid dont il fait preuve depuis janvier, son refus de répondre aux provocations, à la violence émanant de l’islamisme radical, lui vaudraient quelque satisfecit. Pas du tout. Nos professeurs de morale attendent toujours le pogrom antimusulman qui justifierait rétrospectivement la suspicion dans laquelle ils tiennent depuis des années les classes populaires. [...]"
Lire "Pas d’amalgame !".
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