19 septembre 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Protéger des jeunes « fragiles », dénoncer les œuvres « choquantes », limiter la liberté d’expression pour ne pas heurter : ce petit refrain n’a pas attendu la “cancel culture” des années 2010 et les réseaux sociaux. Retour sur un épisode qui a marqué les années 1980 aux États-Unis."
"[...] Le 31 mai 1985, un courrier du PMRC est adressé au président de la Recording Industry Association of America (Riaa), dont les membres représentent plus de 80 % des ventes de disques et de cassettes, qui reproche d’exposer la jeunesse « au sexe, à la violence et à la célébration des drogues et de l’alcool ». Pour y remédier, des préconisations sont listées. D’abord, un classement similaire à celui du cinéma : X pour le contenu à caractère sexuel, V pour « violent », D/A pour « drogue et/ou alcool » et O pour « occulte ». À cela s’ajoutent notamment « l’impression des paroles des chansons sur les pochettes des albums et des cassettes, afin que les parents puissent les lire avant de les acheter […] ; un système de classement également pour les concerts rock […] ; l’envoi systématique des paroles des chansons aux stations de radio en même temps que les disques […] » énumère Anne Benetollo dans Rock et Politique. Censure, opposition, intégration publié chez L’Harmattan en 1999. [...]
À près de quarante ans de distance, ce type de pensée magique et infantilisante émane non plus de mères « conservatrices » et de droite, mais d’étudiants et d’ados d’une gauche « progressiste » qui pourraient être leurs petits-enfants. À partir des années 2010, dans les campus états-uniens, sur les réseaux sociaux et dans certains groupes militants, apparaissent des trigger warnings (avertissements destinés à mettre en garde contre des contenus susceptibles de heurter) et autres safe spaces (espaces sûrs), signalant une stratégie d’évitement de ce qui pourrait causer une réaction émotionnelle vive.
Au lieu de cultiver l’intelligence et le bon sens et de s’en remettre au débat contradictoire et à l’esprit rationnel, « conservateurs » d’hier et « progressistes » d’aujourd’hui prônent l’effacement ou l’évitement de ce qui est perçu comme « offensant ». Comme si le libre arbitre et l’éducation ne suffisaient pas pour discerner ce qui théâtralise le mal ou un imaginaire fantasmatique du réel ; comme si des idées et images délibérément outrancières pouvaient contaminer des esprits au point de les conduire à des violences – un « danger » pour la société qu’il faudrait alors prévenir. [...]
LA CENSURE, DE L’ÉGLISE AU CAMPUS
Dans The Coddling of the American Mind (2018), Jonathan Haidt et Greg Lukianoff, un psychologue social et un activiste américains, cherchent à éclairer les causes de la « fragilité » ressentie par beaucoup de jeunes nés après 1995. Surprotection parentale, surestimation du risque et des « traumas », intensité sans précédent de l’activité numérique : un terreau propice à des biais cognitifs (surgénéralisation, catastrophisme, pensée dichotomique, attribution de pensées…) et, in fine, au « sécuritarisme » (safetyism) apparu sur les campus universitaires. L’enjeu : protéger des personnes émotionnellement « fragiles » de ce qu’elles perçoivent comme des « menaces » (idées incluses), au moyen de l’annulation d’événements (cancel culture) d’espaces sûrs (safe spaces). Ironie de l’histoire : ces préconisations portées par des jeunes « progressistes » se croyant de gauche l’étaient, quarante ans plus tôt, par des mères de famille « conservatrices »."
Lire "Parents Music Resource Center : quand la "cancel culture" aux États-Unis était de droite".
Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques "Cancel culture" dans Liberté d’expression : culture dans Liberté d’expression
Etats-Unis : culture et Etats-Unis : "politiquement correct" dans Etats-Unis d’Amérique (note du CLR).
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