Revue de presse

P. Kessel : « Le débat sur la laïcité est caricaturé » (ladepeche.fr , 14 sept. 16)

Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 1er octobre 2016

"Lundi à 20h30 à l’université Champollion
La Fédération Tarn de la Ligue de l’enseignement, le Cercle Condorcet tarnais et l’association Jaurès Espace Tarn sont à l’origine de la conférence qui sera donnée le lundi 19 septembre, à Albi, par Patrick Kessel. Elle aura lieu à partir de 20h30 dans l’auditorium de l’université Champollion, place de Verdun. Entrée gratuite.

« Il n’y a pas de problème de laïcité en France ». En réitérant ses propos après les attentats de Paris, en novembre dernier, Jean-Louis Bianco, le président de l’Observatoire de la laïcité, croyait sûrement bien faire. Il a contribué à diviser des défenseurs de la loi de 1905 au moment même où l’extrême droite instrumentalisait ce pilier de la République pour mieux rejeter les migrants (sous-entendu musulmans) porteurs de tous les maux mais surtout suspects, forcéments suspects, d’être des terroristes en puissance.

Très vite, Patrick Kessel a alors mis les pieds dans le plat pour dénoncer ceux qui « caricaturent la laïcité en force antireligieuse alors qu’elle garantit la liberté de pratiquer un culte ou de n’en pratiquer aucun » et « aussi de les contester » [1]. [...]

On n’a jamais autant parlé de laïcité depuis la fin de la 2e Guerre mondiale, vous devriez vous réjouir...

La pédagogie, c’est l’art de la répétition. Mais pour le coup, il est temps de remettre les points sur les I. Aujourd’hui, les fondamentaux de la laïcité sont remis en question et contestés, par l’extrême droite comme par les promoteurs d’un communautarisme qui revendique le droit à la différence. À quelques mois de la présidentielle, il faut nous assurer que la laïcité ne devient pas un sujet pour nourrir les enjeux électoralistes. Si rien est fait, c’est l’extrême droite qui risque d’en profiter.

Quelle est la différence entre votre opposition au burkini et celle des élus Républicains ou du Front national qui ont alimenté la polémique cet été  ?

Sur le burkini, le débat n’est pas purement juridique. La loi de 1905 s’applique d’abord aux services publics et aux fonctionnaires. Mais dans ce cas, c’est le principe de la République indivisible et sociale qui n’est pas suffisamment défendu. Quand des intellectuels de gauche se font les porte-parole du communautarisme au nom du social et du rejet de la xénophobie, ils se trompent. Ils nous mettent dans un schéma absurde où même l’antiracisme est retourné contre lui-même. On joue à front renversé. Bien sûr qu’il y a une fracture sociale en France, mais ceux qui ne voient qu’elle oublient qu’il y a aussi une fracture culturelle de plus en plus forte  ; on l’a vu avec le refus de certains jeunes de respecter la minute de silence dans les écoles après l’attentat de Charlie Hebdo. La question fondamentale de la laïcité et de la République, c’est l’universalisme. Tous les hommes et les femmes, quelle que soit leur couleur ou leur religion, sont libres et égaux en droit. Vivre ensemble, ce n’est pas mettre chacun à part dans une communauté. Avant d’être croyant ou pas croyant, chacun est un citoyen, dans un service public comme sur une plage. Philosophiquement, le burkini est une provocation en termes de valeurs, et d’abord pour les femmes. Regardez jusqu’où va l’instrumentalisation. Le mot burkini vient du mot bikini qui, il y a 40 ans, était un combat d’émancipation des femmes. Aujourd’hui, on retourne le mot car le burkini, c’est l’enfermement des femmes. Il s’inscrit dans une longue liste de provocations sur l’égalité en droit, et d’abord entre hommes et femmes. Il révèle une idéologie politique régressive, conservatrice et parfois même fascisante.

Certains sautent vite le pas de la fracture culturelle que vous évoquez au choc des civilisations... Vous comprenez que des défenseurs d’une laïcité qualifiée d’apaisée évoquent un « fondamentalisme laïque » dangereux pour le vivre ensemble en entendant votre position  ?

Non, c’est oublier que nous faisons face à un retour du religieux qui se présente de plus en plus en force politique. On l’a vu avec le mariage pour tous, et on le voit à travers les fondamentalistes musulmans. Comme quoi, cela ne concerne pas que l’islam.

Comment avez-vous réagi aux critiques contre Elisabeth Badinter quand elle a déclaré qu’il faut « défendre la laïcité sans avoir peur d’être traité d’islamophobe »  ?

Elle a raison. J’ai été traité d’islamophobe moi aussi. Alors que, comme elle, ma vie est un engagement permanent contre le racisme. J’assume ce combat-là. Aujourd’hui, la confusion est telle dans les esprits, surtout à gauche, que l’on ne peut plus rien dire. Le combat antiraciste, pardonnez l’expression, c’est avoir le courage de dire à un blanc, à un musulman, à un juif, à un athée, qu’il est con quand il est con  ! À partir de là, bien sûr, il ne faut pas donner l’impression de stigmatiser les musulmans. Ce ne sont pas les copains des islamo-fascistes. Dans le monde, ils en sont même les principales victimes.

Finalement vous renvoyez dos à dos communautaristes et xénophobes  !

La défense de la laïcité se joue en effet sur ces deux fronts. A force d’aller de compromis en compromis, on rentre dans la compromission. On l’a vu en Corse, le grand danger, c’est l’affrontement des communautés. C’est la paix civile qui est en question quand les communautés sont chauffées à blanc. Car les différences génèrent la fragmentation de demain. N’oublions pas que la France est aussi le pays de la Saint-Barthélémy. Et à cet égard, la laïcité est un rempart contre l’extrême droite qui souffle sur les braises. Défendre la laïcité, c’est défendre l’éthique de la rencontre, du dialogue, du vivre ensemble. Je dirais même du métissage. L’extrême droite veut revenir à une conception de l’identité qui se définit par le sang et la couleur de peau. Son histoire témoigne qu’elle a toujours défendu une identité française blanche, catholique, apostolique et romaine. Ce n’est pas elle qui peut défendre l’universalisme et la liberté absolue de conscience. Tout ce qu’elle fait, c’est instrumentaliser les peurs.

Le fait est que son discours, aujourd’hui, est audible pour beaucoup de gens  !

Le but de l’extrême droite est d’aller chercher une partie de la gauche pour arriver au pouvoir. Je pense à un penseur politique israélien, Zeev Sternhel, qui a montré que le fascisme arrive à gagner quand une partie de l’électorat de gauche, déçue par ses élus, bascule dans le populisme. C’est le danger qui nous guette. Sauf qu’avec l’extrême droite, il y a toujours un ticket aller, mais jamais un ticket retour. C’est pour ça que je défends une laïcité au centre de la philosophie des lumières, à l’opposé de celle dont prétend parler l’extrême droite.

La laïcité, c’est quoi finalement pour vous ?

C’est simple, c’est la liberté absolue de conscience, l’égalité des droits et des devoirs entre tous, ajouté à une fraternité basée sur la liberté et l’égalité."

BÉATRICE DILLIES

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