Revue de presse

P. Kessel : « La laïcité, sans qualificatif, est l’outil de la fraternité » (ladepeche.fr , 6 jan. 18)

Patrick Kessel, président d’honneur du Comité Laïcité République. 6 janvier 2018

"Après le choc des attentats de Charlie, il y a trois ans, la laïcité a-t-elle avancé ou reculé dans notre pays ?

On pourrait dire les deux : on a pu assister à la naissance du mouvement « Charlie » à un moment où l’on jugeait qu’il y avait trop de rigidité, trop de dureté dans la laïcité. Or, que je sache, la laïcité n’a jamais tué personne, elle. En revanche, au cœur de la République, des caricaturistes, des dessinateurs, des policiers, des juifs ont été assassinés par la barbarie. Curieusement, on dirait que certains aujourd’hui, l’ont oublié. S’il y a des menaces pour la République, ce n’est pas de la faute à la laïcité. La laïcité a pour vocation de faire vivre ensemble des gens de plus en plus différents par leurs origines et leurs convictions, leur culture. Le seul moyen de les faire vivre ensemble, c’est qu’ils vivent en tant que citoyens avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. La leçon n’a pas été tirée partout.

Où est-ce que cette leçon a été oubliée ?

Elle a été oubliée par certains, à droite, comme à gauche et cela divise la société française, y compris au sein de ses familles politiques. Ainsi, à droite, on retrouve les chiraquiens, comme François Baroin, qui sont attachés à la laïcité. En revanche, lorsque Laurent Wauquiez défend les crèches de Noël dans les mairies, c’est une entorse à la laïcité. Comment expliquer à une jeune fille musulmane qu’il faut qu’elle retire son voile à l’école, mais que, le jour où elle doit aller se procurer des papiers administratifs à la mairie, et qu’elle découvre une crèche dans sa mairie, elle devrait accepter cette représentation religieuse ? Cette droite-là détourne la laïcité et nous montre le visage d’une France blanche catholique, apostolique et romaine !

Et à gauche ?

Une partie de la gauche a joué le jeu du communautarisme, en espérant gagner les voix des musulmans : elle s’est trompée, car les musulmans, sont des Français qui votent aussi bien à droite qu’à gauche. Mais il existe une autre gauche, laïque, dans laquelle je me reconnais, qui défend l’universalisme et pas le communautarisme. C’est-à-dire qui exige l’égalité des droits et des devoirs sans différentiation. Et, en premier lieu, sans différenciation entre les hommes et les femmes. Notre société, plus que jamais, a besoin de liberté, d’égalité et de laïcité pour pouvoir avoir la fraternité, et non pas des droits différenciés comme dans le communautarisme.

C’est un constat récent ?

Non. Souvenons-nous de Régis Debray, qui il y a 30 ans, nous mettait déjà en garde. C’était l’époque où l’on prônait le droit à la différence, dans une société un peu monolithique, culturellement. Et il est vrai que chacun d’entre nous a le droit de vivre sa différence. Je préférerais d’ailleurs que l’on parle, plutôt que de différence, de singularité. Ainsi, il est parfaitement normal que les homosexuels puissent vivre une vie de couple comme tout un chacun. Mais Régis Debray nous disait : attention ! la reconnaissance de la différence comme un droit, cela débouchera à la différence des droits ! Et c’est là tout le contraire de la République, qui a été faite pour que, quel que soit l’individu, quelle que soit sa naissance, sa couleur, sa religion, sa philosophie, tous soient libres et égaux en droit. Le mouvement qui s’est amorcé depuis une trentaine d’années, avec un côté strass et paillettes pour la modernité, est en réalité extrêmement conservateur : c’est à cela qu’une partie de la gauche et de l’ultra gauche a adhéré.

Pour quelles raisons ?

Parce qu’elles considéraient que le communautarisme est aujourd’hui ce qui remplace la lutte des classes. Que les minorités réunies sont en quelque sorte la nouvelle classe ouvrière.

Quelle doivent être les orientations à prendre aujourd’hui ?

Il faut combattre ce qui est une fracture culturelle par l’éducation, dans le creuset républicain de l’école publique. Pour que des petits Syriens, des petits Maliens, des petits Occitans, des petits Bretons se considèrent, une fois adultes, comme des citoyens français : c’est l’universalisme de la laïcité. Et cet universalisme est fortement contesté par le communautarisme. Ainsi, certains réclament ici des heures de piscines pour les femmes, d’autres, des aménagements dans les enseignements… Il faut siffler la fin de la récré ! Mon ami Charb revendiquait le droit au blasphème, alors que, dans le monde, les religieux font pression pour que le blasphème soit interdit. Ces mêmes religieux veulent interdire l’avortement, le divorce, le mariage pour tous ou le droit à mourir dans la dignité. Mais la violence ne vient pas de la laïcité qui n’oblige personne à avorter ou à divorcer. La laïcité permet simplement à chacun de choisir en toute conscience.

La laïcité s’oppose donc aux religions ?

Non, la laïcité n’est pas antireligieuse. Elle est neutre, elle donne à chacun la liberté de croire ou ne pas croire. Mais ce sont les clergés qui exercent des pressions, pour imposer leurs points de vue. La France est un exemple dans le monde, avec cette notion de laïcité. La Grande-Bretagne avait favorisé le communautarisme et elle en revient. L’Allemagne doit reconnaître l’échec de sa politique d’intégration. La laïcité, n’est ni « ouverte », ni « agressive ». La laïcité est, sans qualificatif, l’outil de la fraternité.

Recueilli par Dominique Delpiroux"

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