Revue de presse

Nouvelle-Calédonie : Macron évite habilement les pièges… mais ne règle rien (G. Chevrier, atlantico.fr , 6 mai 18)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social. 7 mai 2018

Atlantico : Le déplacement d’Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie pour la commémoration du 30e anniversaire de l’assaut de la grotte d’Ouvéa, et à 6 mois du référendum sur l’indépendance de ce territoire, soulève des enjeux politiques et géostratégiques importants. Quel bilan peut-on faire de cette visite du président ?

Guylain Chevrier : À six mois d’un référendum sur l’indépendance de l’archipel, la visite du chef de l’Etat recouvrait des enjeux conséquents. Non seulement au regard de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, mais de l’idée de la République qui pouvait en ressortir. Il planait encore ses propos polémiques exprimés pendant sa campagne électorale, qualifiant de « crime contre l’humanité » la colonisation. Il se trouve qu’avec ce référendum on parle de processus de « décolonisation », comme d’ailleurs les accords qui ont suivi les événements de 1988 (la prise d’otages de gendarmes par des indépendantistes à la grotte d’Ouvéa) y font référence. Ce qui n’est pas sans piquant si on fait retour à l’histoire, puisque la Nouvelle-Calédonie n’est plus une colonie depuis les débuts de la IVe République, mais une collectivité territoriale française. Ce sont les revendications indépendantistes d’une minorité qui ont amené la France à identifier le processus en cours à une « décolonisation », face au risque insurrectionnel agité par celle-ci.

La Nouvelle-Calédonie a un statut tout à fait unique, avec des institutions qui prennent en compte dans la représentation propre à un gouvernement local, les élus de la population et les chefs coutumiers. L’instance représentative locale, le Congrès, à même un pouvoir législatif. Il existe aussi une triple citoyenneté unique en son genre issue de l’accord de Nouméa : néocalédonienne, française et européenne. Dans l’article 2 de cet accord il est prévu ainsi que « l’un des principes de l’accord politique est la reconnaissance d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci traduit la communauté de destin choisie et s’organiserait, après la fin de la période d’application de l’accord, en nationalité, s’il en était décidé ainsi », et donc en cas d’indépendance par référendum. On comprend que l’actuel chef de l’Etat marchait dans ce contexte déjà sur des œufs.

Dans cette continuité, il avait prévenu qu’il "n’avait pas à prendre position" quant au choix des Calédoniens, qui devront dire le 4 novembre s’ils veulent que "la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante". "Ce n’est pas au chef de l’État de prendre position sur une question qui est posée aux seuls Calédoniens", a-t-il cru devoir affirmer devant le « gouvernement de la Nouvelle-Calédonie », les élus, les chefs coutumiers, les représentants de la société civile et les responsables économiques. A s’exprimer ainsi, il a poussé encore un cran plus loin les choses, comme si la Nouvelle-Calédonie n’était pas avant tout encore à ce jour française, et donc dans une République dont le président est le chef et dont il est censé défendre selon notre constitution l’intégrité territoriale, tout du moins ici du point de vue du principe et des valeurs. Il a à cet égard donné un bien curieux exemple à ceux qui regardent cela de la France, issus de l’immigration, et s’interrogent sur leur place dans la République.

Pour faire bonne mesure, il a avancé que la France "ne serait pas la même sans la Nouvelle-Calédonie". Il aurait aussi pu dire que la Nouvelle-Calédonie sans la France ne serait pas tout à fait la même, alors que ses habitants bénéficient des bienfaits de l’égalité républicaine en matière d’éducation ou de santé. On a pu voir qu’il a surtout ainsi donné des gages de reconnaissance au culturalisme local où l’influence des indépendantistes prend racine, plutôt qu’à une République laissée dans la marge.

Contrairement à l’image cultivée d’un président de la République ayant su jouer avec subtilité en faveur d’une réconciliation, il n’a comme dans bien d’autres domaines rien réglé, en ne prenant en réalité sur rien position. On a ainsi surtout retrouvé tout l’art d’équilibriste du président, disant à chacun ce qu’il a envie d’entendre, comme en rendant un hommage égal aux gendarmes de la République morts lors de l’assaut de la grotte où certains d’entre eux avaient été pris en otage par des indépendantistes, et les morts parmi ces derniers. Ce qui a pu choquer. Il a une fois de plus lissé les problèmes, préservant ses marges de manœuvre pour l’action politique qu’il entend continuer de mener sans une épine dans le pied, ainsi que son propre avenir politique.

Au plan politique, et au regard de l’histoire complexe de ce territoire, quelles sont les principales questions qui se posent aujourd’hui au chef de l’Etat ?

On s’est félicité sans surprise du côté du député UDI, Les Constructifs, Philippe Gomès, considérant qu’Emmanuel Macron « a su trouver les mots justes pour parler de la France ». Sonia Backès, présidente des Républicains Calédoniens, a salué sur Facebook un « magnifique discours du président de la République ». Le parti à l’initiative de la marche bleu, blanc, rouge, qui a rassemblé vendredi 4000 personnes à Nouméa. Elle déplorait néanmoins le « peu de séquences qui peuvent valoriser ces Calédoniens qui veulent rester français ».

Autant dire que tout ceci n’aura nullement levé l’hypothèque du vieux clivage « pour ou contre l’indépendance » qui continue de structurer la vie politique calédonienne. Par exemple, la question du drapeau local et du nom du pays sont très controversés, notamment en raison de fortes divisions entre opposants et partisans de l’indépendance, les premiers restant en général attachés au seul drapeau français et à la dénomination de Nouvelle-Calédonie, tandis que les seconds se retrouvent généralement dans le drapeau dit « indépendantiste » et le nom de Kanaky.

La tension monte entre les deux camps [1]. Des policiers ont été appelés en renfort pour les séparer. D’un côté, plusieurs milliers de personnes en bleu blanc rouge entonnent à pleins poumons La Marseillaise. De l’autre, une poignée d’indépendantistes. Une femme éructe : "Ici, c’est un pays indépendant ! C’est un pays de kanaks, on n’a pas besoin de la France. C’est notre pays." Les insultes fusent, les esprits s’échauffent. Une manifestante de la manif en bleu blanc rouge explique à propos des Mélanésiens : "Il faudrait qu’ils travaillent, qu’ils fassent des études, et puis qu’ils arrêtent d’être délinquants !". Infirmière installée à Nouméa depuis 15 ans, originaire de Normandie, elle estime : "La France nous aide, paye l’éducation, paye la santé… Pourquoi on devrait cracher là-dessus ? Comment expliqueront-ils ça à leurs enfants ? Ils leur diront « On ne peut pas te soigner, pas t’opérer, ta mère va mourir car on ne peut rien faire contre son cancer. »"

Le président en évoquant la Nouvelle-Calédonie comme « une part de cette France-monde » et parce qu’elle « a apporté à toute la France des modèles », dont celui « d’accepter toute cette diversité », en insistant sur « une communauté pluriculturelle », a surtout valorisé un multiculturalisme qui est le modèle d’organisation sociale du libéralisme anglo-saxon, aux antipodes du modèle républicain égalitaire qui au contraire de séparer, favorise le mélange des populations. Ne devrait-on pas s’inquiéter de voir le président de la République prendre cette référence avec engouement, à contrepied de nos institutions et de notre conception du vivre-ensemble ?

Si le président de la République a voulu cette démarche de réconciliation en se référant aux Kanaks comme les premiers arrivants sur l’Archipel, les descendants d’Européens historiques souvent métissés, ou Caldoches (terme ayant une connotation péjorative, au même titre que le mot « Zoreilles », désignant les personnes d’origine métropolitaine) qui sont principalement d’origine française, ont aussi une histoire complexe. Ces derniers sont pour une part descendants d’anciens bagnards dont nombre d’entre eux ont été déportés là après l’écrasement de La Commune, ou de colons libres dont beaucoup d’Alsaciens-Lorrains qui ont fui l’Alsace ou la Lorraine après leur incorporation à l’Empire allemand en 1871, ainsi que des immigrants de La Réunion venus dans les années 1860 et 1870. Les choses ne peuvent ainsi se résumer à une opposition entre des ex-colons conquérants, « méchants occidentaux », et des ex-colonisés.

L’approche de la sortie de l’Accord de Nouméa attise les risques d’affrontement autour d’un retour des contentieux historiques qui ont été à l’origine d’un état insurrectionnel en Nouvelle-Calédonie. Une situation qui suppose des acteurs politiques d’une maturité certaine pour éviter le pire qui est peut-être à venir, alors que le « Non » à l’indépendance est donné comme très majoritaire à près de 60% face à des indépendantistes qui, comme minorité, risquent de rejeter le processus démocratique pour repasser à l’action violente. Il faudra alors autre chose qu’un président communiquant laissant la République en chemin pour faire face aux difficultés qui s’annoncent.

Quels sont les intérêts géopolitiques français dans le Pacifique ? La perte du territoire calédonien serait-elle synonyme d’une perte majeure de souveraineté dans le Pacifique ?

La Nouvelle-Calédonie avec ses quelques 278 000 habitants (2016) fait figure de micro-Etat, mais dans un espace géopolitique très concurrentiel, avec les puissances riveraines que peuvent être entre autres l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La France, ici comme dans d’autres espaces géopolitiques, joue sa carte face à l’influence anglo-saxonne, avec les Etats-Unis qui ne sont jamais bien loin comme au Guam où ils disposent d’une base stratégique militaire ou encore, des États qui y sont associés comme les îles Marshall…

Constitué historiquement sur le temps long, cette terre française dans le pacifique est un atout indéniable pour le rayonnement de la France, mais aussi comme antenne des évolutions de cette région qui est dans une proximité à la fois avec l’Australie et les puissances économiques asiatiques. Les enjeux géopolitiques se croisent aussi avec des enjeux d’influence économique dont on ne peut les dissocier, et qui convoquent l’intérêt de l’ensemble des habitants de la Nouvelle-Calédonie.

Au plan économique, quel est le potentiel de ressources de la Nouvelle-Calédonie, sa capacité à résister à l’influence des puissances asiatiques dans les zones océaniennes ?

Les pays de la Mélanésie ont des économies essentiellement agricoles et touristiques, alors que la Nouvelle-Calédonie a une importante activité minière et métallurgique autour du Nickel. Elle est classée au 78ème rang mondial. L’économie de la Nouvelle-Calédonie est l’une des plus fortes et des plus dynamiques de l’outre-mer français grâce notamment au Nickel dont elle détient 20 à 30% des réserves mondiales. Son PIB est estimé à 7,165 milliards d’euros, soit un PIB par habitant élevé de 28.005 € supérieur à ceux de pratiquement tous les États et territoires du Pacifique insulaire. Elle connait une bonne croissance économique et un taux de chômage de moins de 10% à Nouméa pendant qu’il peut atteindre plus de 30% dans des zones rurales.

L’agriculture est relativement peu développée du fait du manque de terre cultivable et d’un mode de production propre à une culture traditionnelle. L’élevage par contre est bien implanté. L’aquaculture de la crevette est un secteur en développement vers les marchés porteurs d’Europe ou du Japon. Le tourisme y est encore peu développé au vu du potentiel de l’Archipel.

Concernant la « Communauté pacifique » rassemblant les Etats et territoires du Pacifique insulaire, il existe un potentiel de développement où interagissent injection de capitaux par des grandes puissances tutélaires et développement local. Dans la perspective d’une indépendance, on peut douter de la véritable capacité de petits pays comme la Nouvelle-Calédonie à faire face aux multinationales comme aux grandes puissances influentes dans la région, en se mettant en dehors de la France.

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