11 janvier 2009
La question de l’attribution des grades universitaires (la collation des grades) a toujours été considérée comme essentielle dans notre pays. Depuis 1880, le débat est tranché. Le monopole de l’Etat dans la collation des grades, élément déterminant de la reconstruction de l’Université républicaine, a désormais un fondement constitutionnel qui « s’impose au législateur » ainsi que l’a rappelé le Conseil d’Etat lorsqu’il a rendu son avis sur le projet de loi sur l’enseignement supérieur, devenu loi Savary du 26 janvier 1984. L’article 15 de cette loi (article L 613 1 du Code de l’éducation) est formel : « L’Etat a le monopole de la collation des grades et des titres universitaires ». En clair, le baccalauréat, la licence, le master et le doctorat, qui peuvent être préparés dans des établissements publics ou privés en vertu de la liberté de l’enseignement garantie aux citoyens, ne peuvent être délivrés que par des établissements publics.
Or, en catimini, un communiqué officiel, appelé en toute simplicité « communiqué technique » (consultable sur le site du ministère des Affaires étrangères) indique que « Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes a reçu, ce 18 décembre, Mgr Dominique Mamberti, secrétaire pour les Relations du Saint-Siège avec les Etats ». A cette occasion, ajoute le communiqué, « ils ont signé un accord sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur entre la France et le Saint-Siège, dans le cadre de la Convention de Lisbonne du 11 avril 1997 et du processus de Bologne. Cet accord a pour objet de reconnaître la valeur des grades et des diplômes canoniques (théologie, philosophie, droit canonique) ou profanes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur catholiques reconnus par le Saint-Siège et de faciliter les différents cursus universitaires ».
Cet « accord », conclu dans un relatif silence médiatique, est la suite logique d’une opération de vaste envergure qui vise à saper les fondements d’une laïcité que le chef de l’Etat considère comme « épuisée ». Ce projet de modification de la loi du 18 mars 1880 sur la collation des grades universitaires était annoncé depuis le fameux discours du Latran du 20 décembre 2007. Le Président de la république y disait alors que « la République maintient les congrégations sous une forme de tutelle […] en répugnant à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissements d’enseignement supérieur catholique, en n’accordant aucune valeur aux diplômes de théologie […] Je pense que cette situation est dommageable pour notre pays » [1].
Le problème, c’est que l’accord signé par le Quai d’Orsay ne porte pas seulement sur les diplômes canoniques mais aussi sur les diplômes « profanes » c’est-à-dire les diplômes du droit commun. Le journal La Croix du 19 décembre s’en félicite et considère que cet accord « revient sur une situation d’infériorité de l’enseignement catholique vieille de plus d’un siècle ». Une partie des catholiques considère donc toujours qu’appliquer la loi républicaine est se placer en « situation d’infériorité » ! Plus encore, le même journal précise que « cet événement diplomatique est revêtu, de par son objet et son contenu, d’une charge extraordinaire au plan symbolique : la fin d’un régime d’exclusion vieux de cent trente ans, lorsque les premiers gouvernements laïques de la France avaient réservé la délivrance des diplômes supérieurs à des établissements publics. Désormais, les titres et grades délivrés par des établissements catholiques, pourvu qu’ils soient reconnus par le Saint-Siège, pourront être validés par l’État. C’est une petite révolution ». En effet ! Encore que le mot « révolution » soit ici parfaitement inapproprié et détourné. Il s’agit plutôt d’une restauration conservatrice et cléricale puisqu’il s’agit de revenir à la loi de 1875 sur la liberté de l’enseignement supérieur, votée sous l’Ordre moral et sous la présidence de Mac-Mahon.
Comme le fait remarquer la Conférence des présidents d’université dans une lettre ouverte au président de la République le 5 janvier 2009, « si la reconnaissance des diplômes canoniques délivrés par les institutions catholiques relèvent bien du processus de Bologne, notamment parce qu’elle n’entre pas en concurrence avec les diplômes nationaux, celles des diplômes profanes délivrés par les instituts catholiques s’impose tellement peu que l’Union des établissements d’enseignement supérieur catholique n’était semble-t-il pas informée selon La Croix du 19 décembre dernier ! Quelle nécessité d’avoir ajouté cette clause provocatrice, qui constitue un précédent inacceptable, et qui ne peut que soulever les protestations de l’ensemble de la communauté universitaire, soucieuse de défendre les valeurs laïques et républicaines ». La conférence des présidents d’universités ajoute que « ce type d’accord international conduit à rappeler que chaque institut catholique français est, de droit, une implantation universitaire étrangère qui serait, pour tout ce qui concerne le pilotage et l’accréditation des formations, une émanation directe du Vatican. Est-ce bien l’objectif visé par la démarche ? »
Le monopole de la collation des grades universitaires, totalement compatible par ailleurs avec la liberté de l’enseignement, a jusqu’à présent permis que notre pays échappe à un phénomène que l’on connaît aux Etats-Unis où, par exemple, des universités religieuses délivrent des diplômes à forte connotation créationniste, diplômes de même valeur que ceux des universités publiques. La France y échappe, mais pour combien de temps encore ?
J.-P. Delahaye
[1] Lire Sarkozy au Latran (20 déc. 07) : “L’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur” dans Sarkozy au Vatican (déc. 07) dans la rubrique Sarkozy et la laïcité de notre Revue de presse (note du CLR).
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