Revue de presse

"Nos lycéens sont-ils devenus trop cons pour passer le bac philo ?" (Marianne, 23 juin 22)

27 juin 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le niveau des élèves de terminale invités à plancher en ce mois de juin sur d’ambitieux sujets de dissertation inquiète. Le symptôme d’une crise plus générale de l’enseignement qui interroge sur la pertinence de maintenir l’épreuve de philosophie dans sa forme actuelle.

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[...] Il faut s’attarder un instant sur les intitulés des sujets de la sacro-sainte dissertation, tellement ambitieux, exigeants, voire ronflants : « Les pratiques artistiques transforment-elles le monde ? », « Revient-il à l’État de décider de ce qui est juste ? »… À la lecture, une autre interrogation – pas vraiment philosophique, cette fois – vient à l’esprit : soit les lycéens font preuve d’une maturité d’esprit étonnante – et pas toujours manifeste lors des repas de famille ! –, soit l’Éducation nationale entretient le mythe du « bachelier-honnête homme », capable de penser par lui-même.

« Il y a un aspect symbolique, reconnaît Audrey Jougla, professeure de philosophie et essayiste. L’épreuve de réflexion de quatre heures fait partie du rite initiatique du bac. » Éric Deschavanne, lui aussi enseignant au lycée et vice-président du Collège de philosophie de la Sorbonne, complète : « C’est devenu un résidu de ce qu’était le lycée classique. La terminale était l’“année de philosophie” censée couronner les humanités et des études intellectuellement très poussées. » Spécificité française héritée des collèges jésuites du XVIIIe siècle, la philosophie s’est invitée dès la création du baccalauréat sous le premier Empire, l’époque des premiers lycées et d’une éducation d’élite réservée à une poignée de Français. Avant que la discipline ne devienne le symbole de l’exigence républicaine et laïque d’élever des citoyens libres et dotés d’une pensée critique. « La raison d’être de la philosophie était d’incarner une alternative à la culture religieuse estime Éric Deschavanne. Avec comme référence la grande philosophie rationaliste des Lumières. »

Un temps révolu ? « Aujourd’hui, cet exercice de réflexion personnelle ne s’ajoute plus à une large somme de connaissances et à une solide culture générale acquises par les élèves au cours de la scolarité, regrette Éric Deschavanne. Et cela sans compter les lycéens qui ne savent plus écrire. » Une inquiétude que partage Audrey Jougla : « En terminale, les difficultés ne sont pas tant liées à la maturité qu’à l’instrument principal qui fait défaut à de nombreux élèves : le français et la capacité à mener une démonstration. »

Cet affaiblissement de la maîtrise de la langue chez les élèves remonte à loin, dès le primaire. Soumis à une même dictée dans le cadre d’une étude, un échantillon d’élèves de CM2 faisait en moyenne 17,8 erreurs en 2015 contre 14,3 en 2007 et 10,6 en 1987. « Même en terminale, je suis obligée de refaire du français avec mes élèves regrette Audrey Jougla. Certaines tournures de phrase ne sont pas comprises, des constructions de rhétorique ou d’argumentation ne sont pas du tout maîtrisées. » Un véritable handicap pour des élèves censés être capables de répondre à des questions aussi conceptuelles qu’existentielles, telles que « Savoir, est-ce ne rien croire ? » ou « L’inconscient échappe-t-il à toute forme de connaissance ? »

Au bac général, les élèves ont quatre heures pour rendre soit une dissertation, pour laquelle ils peuvent choisir parmi deux sujets, soit un commentaire de texte. « S’il y a toujours quelques excellentes dissertations, dans certains lycées on a une masse de copies du bac complètement informes » jure Éric Deschavanne. Obligeant ­correcteurs et commissions d’harmonisation à revoir d’année en année leurs exigences. « On ne peut plus noter comme il y a cinq ou dix ans, pointe Audrey Jougla. Les barèmes ne sont plus du tout les mêmes. La notation s’est adaptée. »

Au point de se demander si la marche n’est pas devenue trop haute pour nos grands ados. À moins que ces résultats bien plus hétérogènes ne soient une conséquence inévitable de la démocratisation de l’enseignement secondaire, rendant incomparable le bac d’antan et sa formule actuelle, destinée à ce qu’il soit obtenu par l’ultramajorité d’une classe d’âge. En 1980, 25,9 % d’une génération obtenait le diplôme, contre… 87 % en 2020. Avec un nombre bien plus important de candidats, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que le niveau soit plus variable et, surtout, il serait difficile d’en déduire que les futurs adultes seraient devenus plus cons que leurs aînés, qui étaient une minorité seulement à passer le bac… Les bourdieusiens argueront que la philosophie n’était en outre que l’apanage d’élèves favorisés, pas plus intelligents que les autres, mais simplement familiers d’une culture générale bourgeoise.

Pas totalement inexact, sans nul doute, mais insuffisant pour ignorer les inquiétudes des profs de philo. Pour Éric Deschavanne, la philosophie en terminale est « le réceptacle de la crise plus générale de l’enseignement ». Son analyse : « La démocratisation s’est accompagnée d’une transformation historique de rupture avec la tradition et d’approfondissement de l’individualisme. Le rapport aux références culturelles ­héritées du passé s’est transformé au profit d’une forme de focalisation sur le présent. » Modifiant peu à peu le rôle de l’école et reléguant les humanités au rang d’objets de curiosité vieillots. « L’enseignement général n’est plus qu’une préparation aux différents types de savoir-faire, dans une finalité pragmatique consistant à pouvoir s’insérer dans le monde du travail, estime le philosophe. L’exigence culturelle désintéressée a disparu. »

Du Jean-Claude Michéa dans le texte. Prophète, celui qui fut professeur de philosophie au lycée Joffre à Montpellier depuis la fin des années 1970 décrivait déjà en 1999, dans l’Enseignement de l’ignorance le délaissement progressif des humanités à l’école, au profit d’une instruction utilitaire conforme à l’ordre économique. « On aurait le plus grand mal, par exemple, à déduire la décision ­d’enseigner le latin, le grec, la littérature ou la philosophie, des contraintes particulières de l’accumulation du capital » ­ironisait l’intellectuel.

Dans ce contexte, le maintien de la dissertation de philosophie coûte que coûte ne relève-t-il pas du cache-misère ? « Renoncer à l’épreuve de philo signerait symboliquement la mort du bac, glisse Éric Deschavanne. Ce serait signer le crime. » Autrement dit, la dissert de philo ne s’apparenterait quasi plus qu’à une coquille vide destinée à s’autoconvaincre que l’ambition de l’école française n’a pas reculé. [...]"

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Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Bac dans Ecole : sélection dans Ecole (note du CLR).


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