Président d’honneur du Comité Laïcité République. Intervention au Colloque du CLR « La laïcité en actes », Paris, 17 nov. 12. 24 novembre 2012
Proposition 80 de François Mitterrand, proposition 50 de François Hollande, non numérotée chez Nicolas Sarkozy, car entre octobre 2005 et mai 2007 il avait changé d’avis.
Droit de vote des étrangers aux élections locales : que d’inepties on profère en ton nom !
Cela n’a échappé à personne, ce serpent de mer de la vie politique française vient de reprendre une certaine vigueur.
Certains –souvent à gauche- s’acharnent à ériger cette promesse trentenaire en une avancée démocratique considérable, quelque chose qui aurait à voir avec les plus grandes pages de conquêtes des libertés démocratiques dans notre pays.
Toujours à gauche, certains préfèrent s’appuyer sur la géographie : la plupart des pays autour de nous le font, il faut donc le faire, nous disent-ils.
D’autres encore mettent en avant l’argument moral : ne pas tenir ses promesses, ce n’est pas bien, proclament-ils. Et ne pas les tenir depuis 30 ans, c’est moralement très mal.
D’autres, plus pragmatiques ou plus cyniques, déploient l’argument financier : c’est une réforme qui ne coûte rien et qui fera beaucoup parler, on ne pourra pas nous dire qu’on n’a rien fait. On pourra encore s’en prévaloir dans 30 ans.
D’autres encore, qui ont retenu quelques enseignements de l’histoire du suffrage censitaire, affirment : les étrangers paient l’impôt, il est normal qu’ils votent.
Tournons nous de l’autre côté de l’échiquier politique.
A l’extrême droite pour commencer. D’abord déplorons que la droite républicaine aille trop souvent y puiser son inspiration doctrinale. La conception que nous avons, nous autres républicains et laïques, est aux antipodes de ce que l’extrême droite a toujours défendu en matière de nationalité et de citoyenneté, c’est-à-dire le droit du sang. J’ajouterai que le Front national a très longtemps défendu une conception de la citoyenneté qui bafoue le principe d’égalité des citoyens devant la loi, à savoir le suffrage familial, un des dadas de Jean-Marie Le Pen. Dans ce système, le chef de famille dispose d’un nombre de droits de vote proportionnel au nombre de membres de la famille. Il a jadis été en vigueur en Espagne et au Portugal. Leurs dirigeants d’alors s’appelaient Franco et Salazar.
Venons-en à la droite républicaine. L’UMP a notamment lancé une pétition qui clame son opposition au droit de vote des étrangers. Il y est avancé toute une série d’arguments. Certains sont recevables, d’autres moins, d’autres pas du tout. Ainsi, la droite agite souvent la réciprocité : en gros, nous disent-ils, on ne va pas accorder le droit de vote aux élections municipales aux Algériens car nos ressortissants en Algérie ne peuvent pas voter aux municipales là-bas. Avec des arguments pareils, dans 50 ans, on peut parier que rien n’aura changé. Pour l’UMP, il faut surtout faire feu de tout bois pour s’opposer, mais ne rien proposer. Statu quo.
Or, nous avons la faiblesse de penser que des mauvaises réponses sont apportées à droite et à gauche à une question pertinente, qui est celle de l’extension de la citoyenneté à ceux qui en sont privés. Nous pensons que cela mérite une vraie réflexion, n’en déplaise à la droite, mais que les termes du débat son très mal posés, n’en déplaise à la gauche.
La réalité, c’est que depuis 30 ans, les étrangers sont hélas pris en otage du débat par une gauche et une droite qui convoitent des suffrages sur leur dos. Dans cette affaire, nous sommes sur un champ politique miné : miné par l’électoralisme, miné par les raccourcis, miné par les caricatures, miné par les anathèmes, miné par les contre-vérités.
Il y a aussi des éléments de contexte. Même si ce sont les principes qui nous guident et non l’air du temps, comme républicains, nous devons veiller à la cohésion nationale et à la paix civile. Nous ne voudrions pas que ces débats se fassent sur le dos des étrangers et que des apprentis sorciers fassent rejaillir sur eux les conséquences d’un électoralisme à courte vue, qu’ils soient pour ou contre cette mesure.
Ainsi le droit de vote différencié marqua en Irlande du Nord le début de la guerre civile dans les années 60. Bien sûr, une tout autre logique était à l’œuvre : elle établissait une distinction entre propriétaires et locataires qui excluait du vote local plus du quart du corps électoral. L’abolition de cette discrimination en matière de droit de vote était une des revendications du Northern Ireland Civil Rights Association, qui organisa des manifestations pour les droits civiques en 1968-1969. Certes, le parallèle a ses limites, mais ne négligeons pas le potentiel de division et de tension qu’une telle loi introduirait au sein de notre corps social.
Revenons aux arguments avancés ici ou là.
On nous dit parfois que tout cela ne mérite pas un tel débat, car il s’agit simplement d’attribuer un droit à des étrangers non-communautaires que les ressortissants de l’Europe des 27 exercent déjà. Mais quelle en est la réalité ?
Les étrangers communautaires votent en effet depuis 1994 aux européennes et 2001 aux municipales ; ils ne peuvent être ni maires ni adjoints. Ils sont exclus des élections cantonales, régionales, législatives, présidentielles.
C’est ce modèle là qu’il s’agit d’étendre ? Pour nous, cette citoyenneté au rabais ne peut pas sérieusement être considérée comme un progrès.
On nous dit aussi : il faut leur permettre de s’intégrer. Mais on voudrait démontrer aux étrangers qu’ils ne sont décidément pas comme les autres qu’on ne s’y prendrait pas autrement en ne leur accordant un droit que pour des élections qu’on considère en réalité comme mineures. Même pas les cantonales ! On nous dit intégration ? Je réponds discrimination.
Autre argument, de nature économique : les étrangers paient leurs impôts, nous dit-on. Outre que cela nous renvoie de façon discutable au suffrage censitaire tant prisé au début du XIXe siècle, cet argument ne tient pas.
D’abord, s’il s’agit de retenir comme principe de la citoyenneté le paiement de l’impôt, rappelons que près d’un Français sur deux n’y sont pas assujettis.
Mais l’argument-massue est plus souvent celui-là : les étrangers paient des impôts locaux, taxe d’habitation - et taxe foncière s’ils sont propriétaires - il est donc normal qu’ils participent aux élections locales. Admettons. Mais ceux-là mêmes qui s’acquittent de l’impôt local seraient-ils exonérés de l’impôt sur le revenu, national celui-là ? Bien évidemment non. On décréterait donc que seule la taxe foncière et la taxe d’habitation donnent accès à la citoyenneté mais pas l’impôt sur le revenu !
Ces arguments sont absurdes, spécieux, ineptes. On cherche des justifications intellectuellement malhonnêtes à l’édification d’une citoyenneté à géométrie variable.
Nous pensons pour notre part que la citoyenneté doit être la même pour tous. Et c’est ce qui nous distingue à la fois des uns et des autres. Le droit de vote attribué aux étrangers aux élections locales instituerait une pleine et entière citoyenneté pour les nationaux, une sous-citoyenneté pour les autres. Elle porte en germe une conception différentialiste de l’organisation sociale et pourrait être de nature à aggraver le communautarisme. Qu’on ne nous dise pas que ce sont là des fantasmes agités par l’extrême droite.
Nous devrions en effet tirer quelques enseignements de l’histoire. Gaston Defferre, par sa loi cadre du 23 juin 1956, concrétisa une citoyenneté égale en Algérie française entre "indigènes" et "Européens" en supprimant le système du "double collège", une funeste invention qui distinguait les droits de vote des uns et des autres. Avant 1956, les Européens avaient un droit de vote supérieur aux Algériens « de souche ». Tout cela fut bien sûr balayé par l’indépendance voulue par de Gaulle, mais cette expérience de collèges différenciés pour des catégories distinctes de citoyens ne nous parait pas une source d’inspiration très heureuse, c’est un euphémisme.
Pourtant, on a parfois l’impression qu’aucune leçon n’a été tirée de l’histoire. On peut ainsi lire qu’un think-tank qui se dit « progressiste » prône rien moins qu’une « citoyenneté musulmane ». Mais qu’est ce donc que renvoyer, comme au temps de la colonisation, des personnes à raison de leur naissance dans une catégorie, ou plutôt une sous-catégorie ? On est bien loin de l’aspiration universaliste. Avec des théories pareilles, on nous renvoie encore et toujours à cette obsession des racines, de la « souche », du « sang » qui devraient déterminer les individus dès leur naissance dans une catégorie dont ils ne peuvent pas s’extraire.
Ce même think-tank complète son dispositif intellectuel et politique. Une fois le droit de vote des étrangers aux élections locales acquis, il s’agit d’élaborer une « nouvelle coalition » à gauche. Selon lui, les classes populaires sont irrémédiablement « lepénisées », et doivent être abandonnées à l’abstention, à l’extrême droite ou à la droite. Cette nouvelle coalition électorale, donc, doit à l’avenir être constituée de l’alliance des classes moyennes « éclairées » avec les immigrés, rebaptisés « populations issues de la diversité ». Et certains des promoteurs de cette stratégie expliquent déjà publiquement que c’est d’ailleurs l’assurance de la victoire de la gauche aux prochaines élections…
Nous ne sommes pas naïfs : chacun sait que des groupes, des associations, des courants, des écoles de pensée, prônent un différentialisme institutionnalisé en France, un « développement séparé » au nom de l’irréductible différence entre « souchiens » et « Indigènes », entre les « gaulois » et les autres. Le Grece et le Club de l’Horloge en ont rêvé, des courants – y compris de gauche ! – sont prêts à le faire.
Pour toutes ces raisons, cette mesure est l’illustration même d’une fausse avancée démocratique. Nous proposons en revanche que soit ouverte aux étrangers résidant régulièrement en France la possibilité d’acquérir la nationalité française et donc la capacité d’en exercer pleinement les droits.
Selon quelles conditions ? Le texte de loi sur lequel travaille le Parlement depuis quelques années prévoit que les étrangers résidant régulièrement en France depuis 5 ans pourraient disposer du droit de vote aux élections municipales.
Nous, nous proposons, que, selon la même condition de durée, ils puissent acquérir le droit de vote à toutes les élections en obtenant l’ensemble des droits liés à l’exercice plein et entier de la citoyenneté, donc par l’acquisition de la nationalité. Nous pensons qu’ils sont dignes d’exercer la plénitude des droits et d’être des citoyens à part entière, non des sous-citoyens à qui on accorderait, comme une aumône, une petite partie des droits : la participation aux élections municipales.
La Constitution du 24 avril 1793, qui n’a hélas jamais été appliquée, stipulait : « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis, tout étranger de vingt et un ans, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout étranger enfin qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’Humanité est admis à l’exercice des Droits de citoyen français ».
Les temps ont changé, et nous ne pourrions reprendre à l’identique ce texte 219 ans après. Mais ses principes sont ceux auxquels nous devrions nous référer. Nous ne sommes pas naïfs, nous savons que certains refusent le droit de vote aux étrangers aux élections locales en invoquant l’acquisition de la nationalité tout en en restreignant considérablement les conditions d’accès. C’est ce qu’a mis en pratique M. Guéant lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.
Notre conception est tout autre. Nous pensons que lorsque les conditions de durée -5 ans- sont réunies, tout étranger qui en fait la demande et qui se reconnaît dans les principes de la République doit pouvoir accéder à la nationalité. La tradition généreuse de la République, celle qui s’illustra jadis par l’intégration dans la nationalité de Thomas Paine, d’Anacharsis Cloots et de nombreux anonymes, doit ressourcer notre pratique et notre doctrine.
C’est l’engagement patriotique - ce n’est pas pour nous un mot tabou - qui doit déterminer la nationalité et non l’ethnie, la couleur de peau ou l’origine. Un engagement, une adhésion, basés sur la « raison sensible », comme le dit Sophie Wahnich : un lien rationnel et affectif indissociable. Et nous ne sommes plus, bien heureusement, à l’époque où l’ouverture à la nationalité se faisait pour des raisons utilitaristes, comme à la fin du XIXe siècle. Car c’est en effet à la demande de l’état-major, pour tenter de pallier l’insuffisance numérique de l’armée française face à l’armée allemande, qu’est passée en 1890 la loi entraînant la naturalisation automatique des enfants nés en France de famille immigrée… afin qu’ils accomplissent le service militaire.
L’égalité des droits et des devoirs, c’est la seule position qui vaille. La citoyenneté se fonde sur l’idée que, par delà les différences entre les individus et les inégalités de la société concrète, toutes les femmes et tous les hommes sont égaux en dignité et qu’ils doivent être traités politiquement et juridiquement de manière égale. Le long combat pour l’égalité des droits a permis que soient progressivement abolies les restrictions à l’exercice du droit de vote. Nous avions le suffrage universel grâce à la Révolution française mais l’établissement d’un suffrage censitaire au début du 19e limita celui-ci. Et que dire de l’exclusion des femmes du droit de vote jusqu’à la Libération ? Que dire aussi de celle des militaires de 1872 à 1945 ? Et nous irions aujourd’hui recréer des catégories distinctes ? Ceux qui ont la plénitude des droits et puis les autres, les sous-citoyens, qui n’ont le droit de voter qu’aux élections municipales ? Un progrès ? Non, l’inverse. Un recul ! Un éloignement de l’aspiration à l’universalisme, à l’abolition des distinctions entre les individus qui doivent avoir la possibilité, définie par le législateur, d’acquérir l’entièreté des droits du citoyen. Nous ne voulons pas de citoyens de seconde zone, nous voulons des citoyens ayant une capacité pleine et entière à exercer leurs droits et leurs devoirs.
Assujettir les droits des citoyens à des règles particulières, c’est abandonner l’unicité de la loi de la République. Cette unicité de la loi, nous n’y sommes pas attachés par fétichisme doctrinal ou juridique borné, mais parce qu’elle est la garantie des mêmes droits, des mêmes responsabilités et des mêmes libertés pour tous. C’est cela l’égalité, c’est cela la laïcité, c’est cela la République.
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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