Natacha Polony, auteur de "Ce Pays qu’on abat" (Plon). 22 mars 2015
"[...] Les djihadistes qui tirent à l’arme automatique sur des enfants à l’entrée d’une école juive, des dessinateurs, des clients d’un supermarché kasher, des policiers ou des touristes, ne poursuivent qu’un seul but : imposer un ordre totalitaire qui s’appuie sur une lecture littéraliste d’un texte religieux dont ils nient toute historicité. On ne le répétera jamais assez : cette idéologie repose sur la négation de l’Autre dans l’espace et dans le temps. L’Autre, ce contemporain qui a le mauvais goût de nourrir une autre vision du monde, mais aussi l’Autre en ce qu’il se manifeste dans un passé, une Histoire qui par son existence même remet en cause la prétention à l’éternité.
On ne le répétera jamais assez puisque certains, visiblement, n’ont pas envie que cela soit répété. Quel message envoie donc aux Français et au monde un président de la République qui, dans une interview de onze pages accordée au magazine Society, où il use et abuse de la référence au 11 janvier, évite soigneusement de nommer le mal ? Pas la moindre analyse proposant à la nation une réponse commune.
La réponse, pourtant, nous est suggérée par cette démocratie tunisienne qui tant bien que mal maintient le cap malgré les difficultés économiques. Malgré, surtout, le chaos que nous, Occidentaux, avons installé dans la Libye voisine. Cette réponse, c’est la laïcité. La laïcité dont on fait des chartes affichées dans les écoles, dont on explique à grand renfort de lyrisme qu’elle est la garante du « vivre ensemble », mais dont on se garde bien de définir concrètement ce qu’elle implique.
La Tunisie, pour sa part, a vu comment se détricotait sa laïcité quand, sous le gouvernement Ennahda, islamiste « modéré » (la Turquie nous montre depuis quelques années ce que ce concept a d’oxymorique), elle a vu surgir des niqabs dans ses universités et des milices baptisées « comités de protection de la révolution », ces tentatives de « colonisation des âmes » que dénonçait le poète Abdelwahab Meddeb.
Il ne s’agit pas, bien sûr, de se dresser contre les croyances des uns et des autres, de lancer des guerres électoralistes contre des enfants qui, dans les cantines, ne voudraient pas manger de porc et à qui l’on proposait jusqu’à présent du poulet. À l’heure où les authentiques ennemis de la laïcité réclament des menus halal ou kasher, c’est leur offrir sur un plateau des croyants désormais faciles à persuader que la laïcité se fait contre eux. Non, la laïcité n’est pas un chiffon rouge mais le plus beau des étendards, celui des valeurs non pas occidentales mais universelles.
Invitée au « Grand Journal » de Canal + au lendemain de l’attentat de Tunis, Zineb El Rhazoui, journaliste à Charlie Hebdo, lançait cet appel :
« Il est grand temps de sortir d’un certain pathos, d’un certain discours de pleurnicherie sur la compréhension de l’autre, qui n’est en réalité que la compréhension du radicalisme et la normalisation du radicalisme. Il est grand temps de tendre la main aux laïques, à ceux qui se battent dans ces pays-là, qui connaissent la réalité de l’intégrisme, qui l’ont parfois payé très cher. Ces gens-là sont isolés. C’est sur ces gens-là qu’il faut mettre la lumière et non pas sur des gens qui pleurent d’être stigmatisés derrière une barbe ou une burqa. »
Zineb El Rhazoui, survivante menacée de mort, sait mieux que quiconque que si nous lâchons sur ces principes, sur cette certitude que nos valeurs d’ouverture, d’égalité hommes-femmes et de respect de la liberté de penser, de rire et de ne pas croire, sont universelles, si nous nous excusons de préférer notre mode de vie à leur cauchemar totalitaire, nous sommes morts."
Lire "La laïcité ou la mort".
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