Revue de presse

N. Polony : « Des femmes d’honneur » (lefigaro.fr/vox , 12 jan. 18)

Natacha Polony, journaliste, auteur de "Changer la vie : pour une reconquête démocratique" (L’Observatoire). 14 janvier 2018

"L’année 2018 s’ouvre sur une étrange cacophonie. À l’origine de ce déferlement, un texte signé dans Le Monde par des femmes dont le moins qu’on puisse dire est que leur vie n’est pas un modèle de soumission au patriarcat. Catherine Robbe-Grillet, Peggy Sastre, Abnousse Shalmani, Catherine Millet, Sarah Chiche pour les auteurs, et, parmi les signataires, Catherine Deneuve, Joëlle Losfeld, Cécile Guilbert… Ces femmes, pourtant, se font traîner dans la boue…

Leur crime ? Avoir exprimé leur liberté de penser, face à l’unanimisme planétaire. Avoir mis en avant quelques nuances, comme la différence majeure qui existe entre une agression sexuelle (du viol à la simple main aux fesses dans les transports en commun, déjà sanctionnée par la loi) et l’expression d’un désir non validé par le préalable consentement de l’autre. Bref, ces dames ont exprimé leur crainte de voir s’imposer ce qui existe déjà aux États-Unis, en Suède ou ailleurs, les contrats avant toute relation amoureuse, la pudibonderie outrée, la réécriture des oeuvres d’art ou la censure de celles qui ne correspondraient pas à ce nouvel esprit du temps, tout entier tourné vers le fantasme d’être humains transparents à eux-mêmes et guidés par la définition collective d’un Bien obligatoire.

On peut contester les mots qu’elles ont choisis (comme le verbe « importuner »), certaines tournures qui pouvaient être mal comprises, on peut surtout déplorer les déclarations des deux ou trois, parmi les cent signataires, sur lesquelles se sont focalisés les médias pour mieux taire la parole mesurée de toutes les autres, mais le débat qu’elles posent est nécessaire pour que cette immense cause de la lutte contre les violences faites aux femmes ne soit pas accaparée par une minorité outrancière.

Hélas, de débat, il n’y en eut guère. Elles ont été accusées de minimiser les violences sexuelles, de « perpétuer la culture du viol ». Pure diffamation face à un texte qui jamais ne laisse entendre qu’une agression sexuelle serait acceptable mais qui tente de distinguer entre l’acte et le ressenti de celle qui le subit, entre le fait qu’une main aux fesses dans les transports est en effet une agression, et le fait qu’une femme peut ne pas le vivre comme un traumatisme.

Elles se sont vues reprocher par certaines d’être « blanches et bourgeoises », de ne pas prendre en compte le sort des « travailleuses pauvres et femmes racisées ». Derrière ces femmes blanches indignes, le spectre de l’homme blanc hétérosexuel, vecteur de toutes les infamies. L’historienne Michelle Perrot les accuse de « manque de solidarité » : une femme doit penser en tant que femme, et comme les autres femmes. Et comme à chaque fois, les mêmes qui niaient toute tentation de criminaliser les hommes et la séduction finissaient par expliquer que la galanterie n’est qu’une expression de la domination masculine.

La violence des réactions ne fait qu’illustrer la puissance d’un mouvement qui récuse toute nuance, toute dissidence. On ne peut donc pas se réjouir que des femmes se révoltent contre les agressions sexuelles tout en souhaitant préserver ces rapports de séduction qui font le sel de la vie ? Il semble que non. Une militante féministe le démontrait cette semaine sur un plateau de télévision. N’y a-t-il pas confusion entre expression du désir et harcèlement ?, interrogeait le journaliste : la tribune du Monde parle de « baiser volé »… Un baiser volé ? Cinq ans de prison. Pardon, mais le baiser volé d’un homme que l’on connaît, dont on entretient peut-être le désir, tout en ne souhaitant pas aller plus loin, parce que l’âme humaine est complexe… ce n’est tout de même pas la même chose que le geste ignoble et libidineux d’un inconnu dans les transports en commun ! Si, cinq ans. Le propre des militants est de ne jamais s’extraire de la doctrine.

Tant d’intransigeance sert-elle les femmes, en particulier les plus vulnérables ? Le but d’une société démocratique n’est pas de dicter le Bien mais de mettre en place les outils d’émancipation qui permettront à chacun d’exercer sa liberté, et donc de ne plus souffrir d’une domination, quelle qu’elle soit. Les conditions économiques et sociales qui organisent la précarité des femmes ne leur donnent pas les armes pour ne plus dépendre d’un harceleur, quand il est leur patron. Elles ne leur donnent pas la force psychologique de se relever d’une agression et de ne pas se sentir à jamais victime.

C’est à cela qu’il faut oeuvrer collectivement : mettre en place les conditions d’une émancipation véritable des filles. Par le savoir, par l’ambition, par l’égalité économique et la protection sociale de leurs droits, autant que par la protection de leur liberté de circuler et de se vêtir comme elles l’entendent. Une émancipation qui leur permettra de poursuivre en justice les agresseurs et de remettre à leur place les hommes dont le désir les importune seulement (ce qui est différent). Une émancipation qui leur permettra de jouir de la vie et d’affronter le risque de l’autre sans craindre de subir.

Et les hommes, qu’en pensent-ils ? La plupart se taisent pour éviter le pilori. Dommage. Un débat dans lequel tant de personnes évitent d’exprimer leur véritable pensée est clairement antidémocratique. La liberté des femmes et l’amour des hommes valent mieux."

Lire "Natacha Polony : « Des femmes d’honneur »".



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