Revue de presse

N. Geerts : "Les dessous du hijab de running" (lalibre.be , 27 fév. 19)

Nadia Geerts, écrivaine et militante laïque. 27 février 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La décision récente de Décathlon France de commercialiser un hijab de running – ou pas, en tout cas pas en France, mais si quand même, et puis plutôt pas – oppose comme d’habitude les gentils partisans de la liberté des femmes de se voiler si elles le souhaitent aux méchants empêcheurs de sortir de chez soi dans la tenue de son choix. Débat mal embouché, s’il en est, mais qui n’est en réalité que la énième resucée d’un débat que l’on rejoue sans fin depuis 1989 et l’affaire du voile à Creil.

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Souvenons-nous : en 1989, trois collégiennes étaient exclues de leur établissement scolaire pour avoir refusé d’enlever leur voile à l’école. Précision importante : cette affaire précède la loi d’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école, que la France n’adoptera qu’en 2004. Le principal de l’école qui prend cette décision d’exclusion n’a donc pas à sa disposition un arsenal législatif qu’il lui suffirait d’appliquer. Et la mesure d’exclusion n’intervient donc qu’après une tentative infructueuse de négociation avec les trois jeunes filles, auxquelles il est proposé de troquer leur voile contre un bandana qui couvrirait leur cheveux, mais dégagerait le cou et serait moins explicitement religieux. Ce que les jeunes filles refuseront, avec les conséquences que l’on sait.

Pourquoi ce rappel d’une histoire ancienne ?

Parce que l’ « affaire Décathlon » illustre une nouvelle fois la même stratégie islamiste, à l’œuvre dans toutes une série d’affaires qui, depuis l’affaire de Creil, ont mis l’islam au centre du débat public : burkini, menus halal, prières de rue, etc. ne sont en réalité que les sempiternelles variations sur un même thème, celui de l’islamisation de la société.

Avec le hijab de running, la vraie question n’est pas de permettre aux femmes musulmanes de pratiquer le jogging. Elles le peuvent déjà, quantité d’accessoires – que l’on trouve au rayon running ou au rayon cyclisme – permettant de se couvrir la tête et/ou de se protéger le cou, par temps froid ou par temps chaud, certains accessoires permettant même de faire d’une pierre deux coups. Le problème de ces accessoires ? Ils ne sont pas assez visiblement islamiques, c’est tout. N’importe quelle femme, n’importe quel homme peuvent les porter, et ils ne contribuent donc en rien à rendre l’islam visible.

Or, l’obsession des islamistes, c’est ça. Il faut qu’à aucun moment, ni le musulman, ni la société dans laquelle il vit n’oublient la religion. Il faut, en un mot comme en cent, que tous les secteurs de la vie soient islamisés, du sport à la cuisine en passant par l’école et le monde du travail évidemment.

Cette entreprise est l’exact contraire du processus de sécularisation par lequel se caractérisent nos sociétés démocratiques modernes – mais aussi par lequel sont passés beaucoup de pays musulmans, comme en témoignent les photos anciennes de femmes iraniennes, algériennes, égyptiennes et autres cheveux au vent... avant que les islamistes ne prennent le pouvoir. La sécularisation se caractérise par le fait que la religion définit de moins en moins « l’économie du lien social » comme le dit Marcel Gauchet. Autrement dit, sans nécessairement cesser d’être croyants, les individus sécularisés ne se réfèrent plus avant toute autre chose à la religion pour poser leurs choix, qu’il s’agisse d’embrasser une profession, de choisir un partenaire amoureux, d’organiser un repas entre voisins ou de s’installer dans un autre pays.

C’est bien cette sécularisation qu’honnissent les islamistes, pour qui la religion doit nécessairement infiltrer et régenter tous les secteurs de la société. Et c’est pour cela que le bandana de la collégienne ne suffit pas, pas plus que ne suffit le bonnet pour couvrir les cheveux de la joggeuse : elles peuvent alors, l’espace d’un instant, oublier qu’elles sont d’abord et avant tout des musulmanes pieuses, se voir et se vivre comme élèves, comme sportives, comme femmes tout simplement.

Lutter contre cette pernicieuse entreprise de désécularisation est difficile, car on ne peut évidemment interdire la commercialisation d’un hijab de running ou le développement de rayons hallal dans les rayons des supermarchés. Ce serait pourtant une grave erreur de banaliser ces phénomènes. Car si le hijab de running est commercialisé en France, en Belgique, au Maroc au ailleurs, cela aura une conséquence immédiate : celle de rendre beaucoup plus difficile, pour les femmes qui jusqu’ici pratiquaient leur sport avec une simple tenue de sport non-religieuse, de ne pas acheter et porter cet objet. Exactement de la même manière qu’il devient plus difficile à une musulmane pratiquante de se baigner en maillot de bain classique s’il existe un burkini, tellement plus « islamique »…

Le résultat, c’est un renforcement de l’emprise religieuse sur le corps des femmes. Parce qu’il faut être très naïf pour croire qu’il y a, quelque part sur la terre, des femmes qui ne pratiquent pas le jogging jusqu’ici, faute de hijab du même nom, et qui voient comme une annonce libératrice l’arrivée de cet accessoire sur le marché : la réalité, c’est que les femmes qui jouissent de suffisamment de liberté pour pouvoir courir en rue – ce qui n’est certainement pas le cas de toutes les femmes musulmanes – le font déjà, avec ou sans voile. Que celles qui le font avec un voile se rendent probablement vite compte que ce n’est pas très confortable, mais qu’il est parfaitement possible de remplacer ce fichu voile par un accessoire non-islamique, mais tout aussi couvrant.

C’est très exactement ce premier petit pas vers une sécularisation minime qu’il fallait à toute force éviter, et Décathlon – après Nike ! – s’en fait le complice. "

Lire "Les dessous du hijab de running".



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