Revue de presse / tribune

N. Baverez : « La grande confrontation : les démocraties contre les régimes autoritaires » (L’Opinion, 13-14 mai 22)

Nicolas Baverez, avocat, essayiste, auteur de "L’alerte démocratique" (L’Observatoire, 2020). 27 mai 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"La liberté politique, dont l’avènement fut célébré à tort après l’effondrement de l’Union soviétique, redevient l’enjeu central du XXIe siècle. La démocratie, après avoir triomphé des sociétés d’Ancien Régime au XIXe siècle et des totalitarismes au XXe siècle, affronte désormais les empires autoritaires. La confrontation est directe depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

L’après-guerre froide n’aura été qu’un entre-deux guerres et 1989 une paix manquée, à l’égal de 1918. Libérées de la menace existentielle que représentait le soviétisme, les démocraties ont cédé à la démagogie et à la démesure. Elles ont perdu le contrôle de l’ordre mondial en enchaînant les guerres perdues, du capitalisme avec le krach de 2008, de la protection de leur population avec l’épidémie de Covid. La déstabilisation des classes moyennes par la mondialisation et la révolution numérique a provoqué une vague populiste qui a jeté le discrédit sur leurs institutions et leurs valeurs. Fragilisées par leur crise intérieure, elles se sont désunies, du Brexit au travail de sape effectué par Donald Trump contre le libre-échange et l’Otan.

Le recul des démocraties, dont le nombre depuis 2012 a diminué de 42 à 34 nations qui ne gouvernent plus que 13 % de la population mondiale, a été accompagné d’une poussée des empires autoritaires. La Russie a évolué de la démocrature vers la dictature, la multiplication des interventions militaires en Crimée, en Syrie et en Afrique allant de pair avec la dévolution du pouvoir à vie pour Vladimir Poutine ainsi qu’avec l’institutionnalisation du mensonge et de la terreur.

Sous l’impulsion de Xi Jinping, le totalitarisme chinois s’est durci et a affirmé avec agressivité ses ambitions sur Taïwan et la mer de Chine tout en normalisant brutalement Hong-Kong. Les deux empires ont entrepris d’exporter leurs modèles, Moscou par les armes, Pékin via les Nouvelles routes de la Soie, et noué une alliance formalisée par l’accord du 4 février 2022.

Alexis de Tocqueville soulignait que les démocraties étaient vulnérables face aux régimes autoritaires mais que, si elles échappaient à un effondrement rapide, elles disposaient de formidables ressources qui leur laissaient de grandes chances de vaincre sur la durée. La pandémie de Covid et la guerre d’Ukraine pourraient lui donner raison.

La Chine, qui est à l’origine de l’épidémie, a voulu ériger sa stratégie zéro Covid en symbole de sa supériorité. Or elle enferme le pays dans une impasse, contraignant à confiner 350 millions de personnes sans endiguer la contamination. Le pouvoir absolu et le culte de la personnalité aboutissent ainsi à une catastrophe sanitaire, économique et sociale.

La Russie misait sur une guerre éclair qui devait consacrer sa supériorité militaire et précipiter le déclin de l’Occident. Elle se trouve mise en échec sur le plan militaire, économique avec la chute de 15 % du PIB, diplomatique avec la mise au ban des nations développées, stratégique avec sa dépendance face à la Chine. Pour Pékin, le coût de l’amitié sans limite avec Moscou devient très élevé, alors que l’économie est en plein ralentissement du fait du krach immobilier, de la reprise en main idéologique des secteurs de la finance, de la technologie et de l’enseignement et de la mise à mal de la stratégie zéro Covid.

Dans le même temps, loin d’être humiliées et abattues, les démocraties résistent. L’Ukraine, avec le soutien économique et militaire de l’Occident, démontre qu’il est possible de contrer la violence extrême des autocrates. Les États-Unis et l’Europe ont réagi avec une vigueur et une unité inattendues pour mettre en place un système de sanctions internationales sans précédent et s’engager dans une stratégie de réarmement sous l’égide de l’Otan qui a retrouvé sa raison d’être. L’Union s’est réveillée et travaille à restaurer une dissuasion militaire efficace face à Moscou tout en s’émancipant de sa dépendance énergétique. L’Amérique voit sa position renforcée tant au plan économique, avec la relance des secteurs de l’énergie, de l’armement et de l’agriculture, qu’au plan stratégique avec le renouveau de ses alliances.

Pour être entrées non préparées, fragilisées et divisées dans la grande confrontation avec les empires autoritaires, les démocraties sont loin d’être défaites. Raymond Aron affirmait : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition, c’est qu’elles le veuillent ». Le vouloir, c’est élaborer et appliquer une stratégie globale d’endiguement des autocraties – associant suprématie militaire et technologique, réduction de la dépendance économique, dialogue avec les sociétés civiles, coopération avec les géants du sud. Le vouloir, c’est surtout réinventer la démocratie et restaurer sa promesse de prospérité, de bien-être et de sécurité pour tous les citoyens, afin de désarmer le poison populiste qui constitue le meilleur allié des autocrates."

Lire "« La grande confrontation : les démocraties contre les régimes autoritaires » – par Nicolas Baverez".


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier L’Opinion, 9e anniversaire : La liberté, notre combat (13-14 mai 22) (note du CLR).


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