31 mars 2020
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Malgré un contexte troublé par le coronavirus, le scrutin de dimanche dernier a montré un peu partout en France une multiplication des tentatives de séduction des électeurs musulmans. Par des candidats musulmans eux-mêmes, mais aussi par une partie de la gauche et des écologistes.
Par Judith Waintraub
En novembre 2019, Bernard Rougier était reçu au ministère de l’Intérieur, en même temps que Bruno Retailleau et Xavier Bertrand. Christophe Castaner avait invité l’universitaire à venir lui parler des « territoires conquis de l’islamisme », son livre du même nom, et voulait entendre les arguments des deux élus en faveur de l’interdiction des listes communautaires aux élections. Participaient notamment à la réunion le secrétaire d’État Laurent Nuñez et la ministre de la Justice Nicole Belloubet. En quittant la Place Beauvau, le patron des sénateurs Les Républicains et le président des Hauts-de-France étaient plutôt optimistes. Retailleau pensait même que Castaner, Nuñez et Belloubet partageaient son inquiétude face à un islam politique qu’il voyait tenter de « prendre le contrôle des esprits et des territoires ».
Discours victimaire
Cinq mois et un discours d’Emmanuel Macron contre le « séparatisme islamiste » plus tard, les municipales font office de révélateur : jamais autant de listes émanant de mouvements qui réclament des accommodements, petits ou grands, avec l’islam, ne se sont confrontées au suffrage universel. Jamais autant de candidats, de gauche et de droite, n’ont pactisé avec des adversaires déclarés de notre modèle républicain, qui mènent croisade contre les lois d’interdiction des signes religieux ostentatoires et de la burqa [1], ou dénoncent une « islamophobie d’État » qui gangrènerait la population française. Autant de thèmes dont il faut préciser qu’ils sont mis, la plupart du temps, en sourdine jusqu’à l’issue du scrutin, l’objectif étant de séduire au-delà d’un électorat déjà communautarisé.
L’Union des démocrates musulmans français (UDMF), répertoriée comme un parti « communautariste » par le ministère de l’Intérieur et explicitement visée par la proposition de loi de Retailleau, n’a pas eu cette habileté. C’est sans doute pour cette raison qu’elle a présenté ou soutenu moins de dix listes au lieu de la cinquantaine qu’elle espérait sous sa bannière « Agir pour ne plus subir ». À titre de comparaison, le Parti animaliste, lui, a réussi à exister dans une quarantaine de communes. L’UDMF a obtenu son meilleur score dans les Hauts-de-Seine, à Clichy-la-Garenne, avec 3,15 % des suffrages. Son secrétaire général Jean-Marwaan Préau n’en a recueilli que 0,12 % dans le 5e arrondissement parisien.
Nagib Azergui, président fondateur de l’UDMF, impute cet échec à la campagne « de calomnies et d’intimidations » lancée contre son parti après les européennes, où la liste qu’il conduisait à Maubeuge avait devancé celles du PS et des Républicains. Au niveau national, lors de ce scrutin, l’UDMF n’avait recueilli que 0,13 % des suffrages, mais en dépassant 10 % de voix dans une cinquantaine de bureaux de vote et 15 % dans une vingtaine. À Mantes-la-Jolie, dans le quartier du Val-Fourré, il était monté à 16,74 % des voix.
L’UDMF mise sur un discours victimaire pour séduire l’électorat musulman. On peut lire sur son site que « l’islamophobie est le mal de la décennie depuis les attentats du 11 septembre 2001 » et que ce phénomène s’est « encore accentué avec les attentats contre Charlie Hebdo ». Nagib Azergui ne craint pas d’affirmer que « la France est devenue une véritable fabrique de haine envers les musulmans ». Les programmes des candidats UDMF aux municipales étaient un mélange de propositions écolo-gauchistes, dans des proportions variables selon les villes. On y trouvait tout de même des constantes comme l’abrogation des lois sur le voile et la burqa [2], discriminantes selon eux à l’égard des musulmanes. Ou la réclamation du droit de vote des étrangers extracommunautaires aux élections locales.
« Islamophobie »
Rien de tel dans le programme de la liste « Le vrai changement pour Garges » de Samy Debah à Garges-lès-Gonesse, dans le Val-d’Oise, également qualifiée de « communautariste » par le ministère de l’Intérieur. Ce professeur de lycée (public) de 48 ans a réussi son pari en arrivant en deuxième position dimanche. Prédicateur du mouvement fondamentaliste musulman Tabligh dans sa jeunesse, il a aussi organisé des tournées de conférences de Tariq Ramadan, mais il est surtout connu pour avoir popularisé le concept d’« islamophobie » à travers l’action du mouvement qu’il a fondé en 2003, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), proche des Frères musulmans. En mars 2015, deux mois après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, il dénonçait un « racisme d’État contre les musulmans qui ressemble étrangement à ce qu’on a pu connaître dans les années 1930 » à la tribune d’un colloque « contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire » coorganisé à Saint-Denis par le CCIF et des organisations d’extrême gauche. Aucun des orateurs n’y avait évoqué les dangers de l’islamisme.
« Le terme d’islamophobie a précisément pour fonction d’empêcher de distinguer islam et islamisme », rappelle Bernard Rougier. Samy Debah, qui a quitté le CCIF en 2017 pour se présenter aux législatives dans le Val-d’Oise, a fondé toute sa stratégie sur cette confusion volontaire. « Pourquoi est-ce qu’on préjuge que ma liste sans étiquette sera communautaire ? Parce que je suis Samy Debah. Ce n’est ni plus ni moins qu’un préjugé raciste », a-t-il déclaré au Parisien quand le ministère de l’Intérieur a fait savoir que les candidats du « Vrai changement pour Garges » bénéficieraient de toute l’attention de ses services.
Entrisme
Dans cette ville de 43.000 habitants minée par la délinquance et le trafic de drogue, l’ex-président du CCIF a fait de la sécurité sa priorité absolue, en promettant s’il était élu d’« exiger le retour du commissariat » et de développer la police municipale pour qu’elle puisse fonctionner « jour et nuit ». Il n’est nulle part question de « racisme d’État » ou de voile islamique dans son programme, très fortement teinté de vert -le troisième de liste, Dean Nguyen, est issu d’Europe Écologie Les Verts. « Samy Debah n’a plus besoin de mettre en avant un agenda de défense de l’islam, parce que cet électorat lui est acquis et qu’il a besoin de ratisser plus large », explique Bernard Rougier. Fort des 55 % de voix qu’il avait obtenues sur la ville de Garges-lès-Gonesse aux législatives, quand il s’était présenté face au socialiste François Pupponi, et des divisions de la droite et de la gauche locales, ce candidat sans étiquette a consolidé son implantation.
La stratégie de Samy Debah est résumée sur le site du Parti des Indigènes de la République (PIR) dans un texte de soutien à ce qu’il appelle les « listes autonomes “communautaires” ». Pour le PIR, les candidats de « l’immigration postcoloniale » sont soumis à une pression des organisations politiques traditionnelles qui les oblige à « réformer leur discours pour ne pas “donner d’armes à l’adversaire”, intégrer un volet sécuritaire à leurs programmes afin de donner des “gages”, rester flous sur leur vision économique générale, ou donner un rôle central à la “diversité” européenne dans leurs listes en insistant sur le caractère “républicain” et mixte de leurs projets ». Un vrai guide de l’entrisme pour les nuls !
Outre Samy Debah, le PIR soutenait Abdelaziz Hamida à Goussainville, également dans le Val-d’Oise, et Hadama Traoré à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Abdelaziz Hamida est arrivé en tête dimanche. Élu en 2014 sur la liste du maire sortant divers gauche mais passé dans l’opposition en cours de mandat, il a attiré l’attention des services de renseignements qui s’interrogeaient sur ses liens éventuels avec des mouvances radicales. Il les conteste en bloc et se présente comme un fervent défenseur de la laïcité. Quant à Hadama Traoré, il s’est fait connaître en tentant d’organiser en octobre dernier une manifestation de soutien à Mickaël Harpon, l’islamiste qui a perpétré l’attentat à la préfecture de police de Paris. L’événement a été interdit et une enquête préliminaire a été ouverte notamment pour « apologie du terrorisme ». Ce qui n’a pas empêché Traoré de se présenter en cinquième position sur une liste « Démocratie représentative - citoyenne intergénérationnelle » qui a obtenu 3,9% des voix.
Ambiguïté
Sofienne Karroumi, un ex-adjoint de la mairie communiste d’Aubervilliers, a réussi, lui, à se placer deuxième derrière l’UDI qui, à la surprise générale, a relégué la maire sortante PCF en troisième position. Il se présente comme un « républicain » mais selon l’hebdomadaire Marianne, il est surtout proche de l’Association des musulmans d’Aubervilliers.
D’autres candidats pour le moins ambigus ont été repérés par Mohamed Louizi. Cet ancien Frère musulman combat l’islamisme depuis qu’il s’est libéré de son emprise. Sur son blog, Écrire sans censures !, où il promeut un « islam apolitique », il relève notamment le cas de Karim Amrouni à Roubaix. Cet ex-macroniste a en particulier pris en position éligible sur sa liste « Roubaix en commun » un Français d’origine turque qui est, selon Louizi, un « relais de la propagande de l’AKP d’Erdogan sur les réseaux sociaux ». Il est arrivé deuxième dimanche, mais très loin derrière le premier. Le site Onvousvoit.fr, créé par un collectif laïc à l’occasion des municipales, a de son côté consacré un article fouillé au candidat « indépendant » Brahim Charafi, ancien membre de l’UDI. Cet imam, aumônier à la prison de Rouen, où il affirme combattre la radicalisation, est aussi gérant d’une librairie musulmane rouennaise qui propose les œuvres complètes de Tariq Ramadan, de prédicateurs des Frères musulmans et de certains auteurs de référence des djihadistes au milieu d’ouvrages vantant le voile. Il se présentait à Saint-Étienne-du-Rouvray, la ville où le père Hamel a été égorgé par deux islamistes en juillet 2016. Le PCF a réussi dès le premier tour à garder la mairie avec un nouveau candidat qui a réuni presque 80 % des suffrages, mais la liste Charafi est arrivée deuxième avec 13,68 % des voix.
« Mieux-disant islamique »
Les « veilleurs » de la laïcité signalent aussi une multitude de cas de candidats qui ne sont pas issus de réseaux musulmans mais qui fraient avec eux par clientélisme. EELV, champion en la matière avec La France insoumise et une partie du PCF, soutenait des listes avec des candidates voilées à Strasbourg, à Laval, ou encore à Tourcoing, où se présentait le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin. Ce dernier a été élu dès dimanche, mais le clientélisme des écolos n’a pas empêché une poussée verte au niveau national. Strasbourg en est le meilleur exemple. En revanche, le candidat de La République en marche qui présentait une femme voilée à Marseille est arrivé cinquième dans son secteur et Violette Spillebout, tête de liste LREM à Lille, a dû se contenter de la troisième place derrière EELV, malgré de nombreux clins d’œil à l’électorat musulman pendant la campagne. Elle a notamment pris comme numéro 2 Ali Douffi, qui a publiquement soutenu la Marche contre l’islamophobie à Paris le 10 novembre dernier.
Saluée comme « un tournant inattendu mais bienvenu » par le PIR, cette manifestation a scellé la dérive des écolos et d’une partie de la gauche, qui s’y est associée. Le « revirement de position » de Jean-Luc Mélenchon enthousiasme particulièrement le PIR, qui érige le leader de La France insoumise en « exemple emblématique » de la rupture avec « un laïcisme républicain civilisateur et tombant souvent dans un chauvinisme universaliste-blanc ». « En se joignant à la Marche, la gauche de Benoît Hamon, EELV et La France insoumise ont envoyé un message qui voulait dire “ne faites pas vos propres listes, venez sur les nôtres”, traduit Bernard Rougier. Derrière, il y a toute une négociation, parfois avec des listes concurrentes entre elles. C’est le “mieux-disant islamique” qui l’emportera, celui qui prendra le plus de candidats issus des quartiers, ou qui promettra le plus en termes d’embauches, de cantines halal, de locaux pour des écoles non confessionnelles… On se retrouve alors dans beaucoup de communes à forte concentration de population immigrée avec des listes où le communautarisme est dilué, invisible, comme celle du communiste François Asensi à Tremblay-en-France ou celle de Christian Bartholmé qui, après avoir été directeur de cabinet de l’UDI Jean-Christophe Lagarde à Drancy puis adjoint de son ami Stéphane de Paoli à Bobigny, brigue sa succession à la mairie. » Les liens du trio Lagarde-Bartholmé-Paoli avec le gang des barbares, qui a assassiné Ilan Halimi, ont été racontés par la journaliste Ève Szeftel dans Le Maire et les Barbares. Elle montre que la gauche radicale n’est pas la seule à se compromettre par électoralisme et que ce n’est pas toujours payant : c’est un candidat du PCF qui est arrivé en tête à Bobigny au premier tour, avec plus de 10 points d’avance sur Christian Bartholmé."
[1] Il n’y a pas de "lois d’interdiction des signes religieux ostentatoires et de la burqa", mais les Loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public et Loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux à l’école (note du CLR).
[2] Il n’y a pas de "lois sur le voile et la burqa", mais les Loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public et Loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux à l’école (note du CLR).
Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Elections : listes communautaires, "Les Territoires conquis de l’islamisme" de Bernard Rougier et dans les Initiatives proches Mohamed Louizi ("Ecrire sans censures !") (note du CLR).
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