Contribution

Mourir dans la dignité : quels sont les obstacles ? (G. Arcizet)

par Guy Arcizet 24 juin 2014

Les pages qui suivent ne sont qu’une réflexion issue d’une expérience de 40 années de médecin généraliste en Seine-Saint-Denis, mûries dans un parcours associatif et solidaire. Elles ont pour but de nourrir les positions du CLR, sans prétention à donner, dans les conclusions surtout, une voie définitive.

« La plus volontaire mort, c’est la plus belle. La vie dépend de la volonté d’autrui, la mort de la nôtre »
Montaigne

Quelques remarques

La fin de vie ressort bien sûr de la philosophie. Elle a de tout temps été dans la préoccupation des humains, qui l’ont envisagée dans l’art, l’iconographie ou les écrits. Mais on ne saurait oublier le pragmatisme qui oblige à penser que pour chacun, le vrai problème se situe au niveau de sa propre mort, que le reste est littérature.
De nos jours ce souci métaphysique se double d’une question sociale et juridique.

Les progrès de la science médicale transforment un grand nombre de maladies en affections chroniques qui préservent plus la longévité que la qualité de la vie. Se pose donc de manière plus aigüe cette question de la fin de vie, surtout quand le sens de cette “survie“ échappe.

Il n’est pas question ici de placer le débat sur le plan d’une morale, religieuse ou autre, mais de donner à chacun les possibilités d’accomplir son destin selon ses propres conceptions, en toute liberté et respect de la dignité de la personne humaine.

D’autre part, l’évolution de nos sociétés démocratiques, où le Droit écrit est toujours plus complexe et donne un part croissante au juridique dans la sphère publique, oblige à un constat : la complexité de l’Humain se plie difficilement à la rigidité de la Loi, laquelle ne pourra jamais envisager toutes les circonstances particulières, ni respecter toutes les morales ou toutes les métaphysiques.

Nous sommes là au cœur même de l’aporie de la Laïcité qui oblige dans la sphère publique chacun à faire fi de sa morale personnelle par respect pour celle des autres, tout en adoptant une posture éthique commune qui protège la dignité de tous. Mais nous entrons aussi dans le domaine très controversé, et l’on comprend bien pourquoi, d’un spiritualité commune à tous, pour ne pas dire laïque, qui conduit à prendre position.

Nous poserons donc en postulat la nécessité de faire évoluer la loi Leonetti, ne serait-ce que pour protéger ceux qui veulent l’appliquer.

La loi Léonetti de 2005 a été un progrès. Allant trop loin pour les uns, pas assez pour les autres, elle a eu le mérite d’ouvrir un débat qui est loin d’être terminé. Elle a ouvert un dialogue public, certes, mais aussi éclairé le dialogue singulier entre le malade et son médecin, quand auparavant celui-ci était occulté par le non-dit voire la clandestinité.

Cependant son application reste problématique, car se sont fait jour un certain nombre d’obstacles. De plus, éveillant les consciences, elle a révélé dans le débat un certain nombre de circonstances où elle est insuffisante. Les cas récents se multiplient, quand, par exemple le sort de Vincent Lambert, cloué sur son lit d’hôpital en état végétatif chronique depuis cinq ans, reste en suspens.

La loi du 22 avril 2005 précise bon nombre de points qui étaient dans la proposition de loi initiale. Il n’est pas inutile d’en énumérer les principaux.

Article 1
« Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. » 

Article 2
« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. » 

Article 6
« Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l’avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical.
 
« Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. » 

Article 7
« Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment.

« A condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement la concernant.
 
« Un décret en Conseil d’Etat définit les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées. » 

Article 9
« Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical.

« Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. » 

Article 11
« Ils[les services de l’établissement hospitalier] identifient les services au sein desquels sont dispensés des soins palliatifs et définissent, pour chacun d’entre eux, le nombre de référents en soins palliatifs qu’il convient de former ainsi que le nombre de lits qui doivent être identifiés comme des lits de soins palliatifs. » 

Article 12
« Le projet médical comprend un volet “activité palliative des services. Celui-ci identifie les services de l’établissement au sein desquels sont dispensés des soins palliatifs. Il précise les mesures qui doivent être prises en application des dispositions du contrat pluriannuel mentionné aux articles L. 6114-1 et L. 6114-2.
 
« Les modalités d’application du présent article sont définies par décret. » 

Article 15
« En application du 7° de l’article 51 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, une annexe générale jointe au projet de loi de finances de l’année présente tous les deux ans la politique suivie en matière de soins palliatifs et d’accompagnement à domicile, dans les établissements de santé et dans les établissements médico-sociaux. »

Quels sont les obstacles à l’application de cette loi, les mêmes qui le sont à son évolution ?

Les soins palliatifs

À l’heure actuelle on évalue à 1400 le nombre de cas analogues à celui de Vincent Lambert, c’est-à-dire de malades inconscients qui n’ont pas ou peu de “chances“ de recouvrer une vie autonome et/ou consciente. Or le “parc“ de lits de soins palliatifs est au dessous de 1100. C’est dire que pourraient être exclus du bénéfice de ces lits les malades en fin de vie conscients et autonomes mais dans des états de souffrance et de déchéance intellectuelle et physique où leur dignité n’est plus préservée.

Le personnel des lieux de soins palliatifs, plutôt bien formé pour ce qui est des soins de nursing et des thérapeutiques de la douleur, n’a ni la formation, ni le suivi nécessaire sur le plan psychologique pour aborder ces patients avec la part d’objectivité indispensable. Ce qui le conduit à projeter sur le malade un certain nombre de ses fantasmes ou d’être dans une attitude purement caritative et compassionnelle où le désir du sujet traité est occulté voire détourné. Dans ce domaine la liberté absolue de conscience du malade n’a plus de sens.

Les Directives Anticipées et la désignation de la personne de confiance existent pourtant. L’hôpital en tient compte, surtout pour savoir qui prévenir lors d’un problème. Mais les directives anticipées n’ont pas force de loi et l’administration hospitalière ne prévoit pas de formulaire obligatoire concernant ces directives, ce qui est un des manques de la loi Léonetti.

Quant aux CRUQ (Commission des Relations avec les Usagers et de la Qualité de la prise en charge) elles doivent participer à l’accréditation des centres de soins, mais leurs réunions sont rares et leurs conclusions souvent exposées à posteriori.

Les familles

Evidemment désemparées, voire déchirées, elles ne trouvent ni l’information ni le soutien nécessaire qui pourraient les aider à étayer leur jugement. Cette assertion ne tient pas compte des cas individuels de soignants concernés et efficaces qui remplissent cette tâche difficile.

Mais le plus souvent, les familles ne se posent pas la question. « Elles attendent toujours un miracle », raconte Régis Aubry, chef du service de soins palliatifs du CHU de Besançon, et président de l’Observatoire national de la fin de vie.

« L’organisation familiale restante s’est structurée autour de la personne qui en est souvent devenue l’élément central. Il existe plus de demande en faveur de prouesses techniques et médicales qui permettraient de la retrouver telle qu’elle était avant l’accident », que de demande d’« euthanasie », selon une contribution de l’Espace éthique de l’AP-HP et du Centre ressources francilien du traumatisme crânien, remise fin 2012 à la mission de réflexion sur la fin de vie lancée par François Hollande (citée par Le Monde du 14 février 2014)

L’obstination déraisonnable

Le pouvoir de décision, dans l’arrêt des soins et du traitement, continue à appartenir au(x) seul(s) médecin(s), et le malade reste bien souvent soumis à un pouvoir médical absolu. Récemment, l’intervention du Conseil d’État à mis en lumière l’insuffisance de la loi et l’on imagine mal que, dans l’avenir cette instance soit sollicitée en permanence alors que les cas d’espèce vont se multiplier.

La mort, dans l’imaginaire collectif en Occident, continue à être considérée comme un échec. Il n’est pas rare de voir des familles culpabilisées, même quand des directives anticipées existent, et qu’il s’agit d’arrêter l’alimentation et l’hydratation. Mais cet arrêt contribue à laisser mourir de faim et de soif, ce qui est difficile à justifier même compte tenu des thérapeutiques de sédation. Il y a là un aveuglement déraisonnable qui, à lui seul, suffirait à ce que, dans ces cas, soit utilisée l’euthanasie. « De fait de nombreuses euthanasies se font encore mais la peur des sanctions fait que l’on reste dans le non-dit, le sous-entendu et que les gens meurent seuls laissant la famille dans l’interrogation ... » constatent des observateurs.

On doit, en toute impartialité, faire la part de la croyance religieuse dans la fin de vie. Il faut affirmer, sans ambiguïté, le droit pour chacun à préserver et dire sa croyance, dans les circonstances où il se trouve confronté à sa propre fin. Ce qui permet de dire aussi qu’il n’est pas acceptable que cette croyance soit érigée en règle générale, en dogme, et appliquée aux autres. C’est pourtant ce qui se passe quand les soignants sont des religieux institutionnels, dont on doit dire qu’ils sont souvent impliqués dans les structures de soins palliatifs. On ne saurait faire de cette observation une règle absolue mais considérer qu’il y a là un obstacle réel et fréquent, voire rédhibitoire à l’évolution de la loi et à la prise en considération de la libre volonté de chacun. Pour être complet, la persistance dans la pensée fantasmatique commune de ce mode de conception, même oubliée la religion, doit être aussi considérée.

Est aussi en filigrane la question non résolue de la propriété du corps. À qui notre corps appartient-il ? En a-t-on la libre disposition ? Il est clair que jusqu’au XVIIIe siècle il est admis que le corps fait à l’image de Dieu, appartient à Dieu. Par la suite la question est occultée ou reçoit des réponses partielles, comme lors du servage ou lors de l’utilisation de l’ouvrier à des fins productivistes. De nos jours on serait tenté d’attribuer cette propriété aux assurances qui spéculent sur la vie et ont dans leurs contrats des clauses où l’interruption volontaire de la vie n’est pas considérée comme cause légitime de mort.

Le traitement de la douleur

Premier élément à prendre en considération, la notion de douleur rédemptrice, qui sous-tend bien des attitudes de soignants. Dans ma génération de médecins commençant à exercer dans les années 1960, il n’était pas rare d’entendre certaines infirmières préconiser des curetages sans anesthésie, chez les femmes qui avortaient, “pour leur apprendre“.

On aimerait croire que cette attitude a complétement disparu. Cependant, certaines réticences des soignants à appliquer efficacement les médications posent questions quand elles ne sont explicables par aucune raison technique, ou sont seulement justifiées par le besoin de ne pas nuire. Ne pas nuire à un être humain qui vit ses derniers instants, en tentant de le soulager ? On sent bien l’absence totale de sens à ces attitudes, seulement sans doute l’obéissance à certaines croyances métaphysiques, de manière consciente ou pas.

Mais aussi de nombreuses souffrances physiques ou psychiques ne sont pas soulagées du fait de la méconnaissance des traitements convenables. Le traitement de la douleur semble souvent bien appliqué lors d’une intervention ponctuelle mais beaucoup moins en traitement à long terme et sur les personnes en fin de vie, parfois aussi du fait de problématiques structurelles : difficulté d’obtenir de la morphine dans les pharmacies locales le week-end, transfert vers les seuls hôpitaux de l’ hypnovel, alors que l’on préconise le maintien à domicile des patients. Il faut parfois menacer de poursuites pour l’on soulage efficacement.

Conclusion

Qui, une fois encore ne saurait être définitive, mais servir de base à une interpellation des pouvoirs publics, au nom de la Laïcité et de la Dignité Humaine.

Devraient être précisées par la loi :

  • 1°) les conditions de saisie des Comités d’éthiques hospitaliers. À l’heure actuelle ces modalités sont floues et l’accès à cette saisie souvent réduit aux médecins ou au personnel hospitalier. Elles doivent être étendues aux patients et à leur famille et réalisables en urgence.
  • 2°) Les décisions du comité d’éthique doivent avoir force exécutoire. Et permettre ainsi l’application de la loi dans toute sa dimension. Ces décisions doivent considérer et légitimer les Directives Anticipées. Celles-ci doivent être établies dans un cadre légal concernant leurs circonstances d’écriture, le délai de validité etc. Il est clair que le médecin hospitalier traitant du malade peut évoquer une clause de conscience quand les conclusions du comité d’éthique le heurtent. Il doit pouvoir alors transmettre le dossier à l’un de ses collègues.
  • 3°) Les avis du comité doivent engager la responsabilité de ses membres. Il doit donc être indépendant de la puissance qui gère l’établissement, lorsqu’il s’agit de centres privés confessionnels subventionnés.
  • L’ensemble de ces trois articles peut être exécutoire à court terme.
  • 4°) À moyen terme doit être envisagée une modification de la loi dépénalisant la fin de vie volontaire et réhabilitant le terme d’euthanasie qui continue à être assimilé par certains de manière perverse à celui d’eugénisme. Ceux-ci essaient simplement, pour des raisons liées à des idéologies religieuses ou autres, qui ne devraient pas avoir force de lois dans le champ public, de s’opposer à toute évolution. Nous le disions dans le préambule, une telle loi ne pourra jamais satisfaire tout le monde. Mais elle devra donner et donnera à chacun un champ libre d’expression de sa volonté. Sans doute faudra-t-il dans un premier temps limiter son champ d’application à des adultes conscients et éclairés, par exemple, comme ont eu la sagesse de le faire nos cousins belges. Il sera difficile de convaincre les lobbyistes des religions. Mais le but n’est pas là. Au delà de la nécessaire protection des individus et de leur différence dans le cadre de la laïcité se pose le problème de la réalité et des limites de l’Humanisme dans le cadre des démocraties. Il s’agit bien de la survie des systèmes politiques que nous défendons.

Guy Arcizet


Comité Laïcité République
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