Revue de presse

"Mort de Lucien Neuwirth, auteur de la loi sur la pilule contraceptive" (lemonde.fr , 26 nov. 13)

28 novembre 2013

"Lucien Neuwirth, dont Le Figaro a annoncé la mort mardi 26 novembre à l’âge de 89 ans, est un de ces rares parlementaires qui dans l’histoire ont donné leur nom à une loi. Falloux, Jules Ferry et Debré ont attaché les leurs à la réforme de l’éducation nationale, Pasqua et Joxe à l’immigration, Simone Veil, alors ministre, à l’avortement. Lucien Neuwirth, surnommé par ses contemporains "le père la pilule", aura eu le mérite, après un combat obstiné et homérique, d’être l’homme qui, permettant pour la première fois librement l’usage des contraceptifs, a fait évoluer les mœurs et pacifié sur ce plan la société française. Car en 1965 il n’était pas facile de convaincre le Parlement du bien-fondé d’une telle transformation des comportements.

Et pourtant Lucien Neuwirth, député gaulliste de la Loire depuis 1958, n’hésite pas à s’attaquer à un tabou, en voulant abroger la loi de 1920 qui interdit toute propagande et toute utilisation des moyens de contraception. Il s’était forgé la conviction de cette nécessaire abrogation lorsqu’il était devenu à 23 ans, après la Libération, conseiller municipal de Saint-Etienne siégeant à la commission des divorces et de l’aide sociale. Il y découvre que de nombreux drames conjugaux sont causés par l’arrivée d’un enfant non désiré. Il se souvient qu’au cours d’un voyage aux Etats-Unis il avait appris que les préservatifs et les spermicides étaient en vente libre dans les pharmacies. Mais les notables du conseil municipal ne prennent pas au sérieux cette tocade de leur jeune collègue. Une fois élu député son projet le reprend. Il s’informe du combat que mènent les associations de planning familial, des groupes de femmes encore mal organisés et de quelques rares médecins. Il rencontre le Dr Pierre Simon qui vient de publier un ouvrage sur la sexualité des Français et dont l’autorité est reconnue. Le grand maître de la Grande Loge de France apporte aussitôt son soutien au franc-maçon Lucien Neuwirth. Ce dernier choisit le 18 mai 1966, jour anniversaire de sa naissance, pour déposer une proposition de loi et créer une commission spéciale pour l’étudier.

"UNE VAGUE D’ÉROTISME VA MENACER LE PAYS"

Il a gagné une première bataille, mais pas la guerre. Car s’il recueille de nombreux soutiens, Lucien Neuwirth est la cible d’attaques multiples. Les lettres anonymes injurieuses, les menaces, l’exclusion de sa fille de 13 ans d’une institution religieuse de Saint-Etienne, les critiques de ses propres amis politiques se succèdent. Il s’obstine, ce qui est bien dans sa manière, et va voir de Gaulle, son idole, pour qui il a même donné sa vie et au nom duquel il mène toute son action depuis l’adolescence. A l’Elysée, le général le convie à déjeuner et l’écoute lui dire : "Vous avez donné le droit de vote aux femmes. Donnez-leur maintenant le droit de maîtriser leur fécondité." Le général observe un long silence et lui répond enfin : "C’est vrai, transmettre la vie, c’est important. Il faut que ce soit un acte lucide. Continuez !"

Le principal obstacle était levé. Mais ce n’est qu’au printemps 1967 que Georges Pompidou, alors premier ministre, lance au député de la Loire : "Alors Neuwirth vous allez être célèbre : le général vient de faire inscrire votre proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée." Les obstacles franchis grâce à de Gaulle avaient été nombreux car non seulement le premier ministre était réticent mais l’ancien garde des Sceaux, Jean Foyer, y était franchement hostile. En revanche le ministre des affaires sociales, Jean-Marcel Jeanneney, y était favorable. L’Eglise avait aussi fait le siège du gouvernement et des parlementaires. A partir du 1er juillet 1967, les débats furent passionnés. Un sénateur demanda même la Haute Cour pour Lucien Neuwirth, tandis qu’un député gaulliste prédit qu’"une vague d’érotisme va menacer le pays" !

UNE BATAILLE À L’ORIGINE DÉSESPÉRÉE

En première lecture à l’Assemblée la loi est votée à main levée par la gauche comme par la droite, seuls quelques députés de la majorité exprimant leur hostilité. La "Loi Neuwirth" fut promulguée par le président de la République le 28 décembre 1967 sous le nom de "loi relative à la régulation des naissances".

Le député de la Loire dut encore guerroyer pour que les décrets d’application ne dénaturent pas le sens de sa réforme. Il s’opposera jusqu’en 1974 au combat en retardement que lui livrera Jean Foyer devenu ministre de la santé. C’est donc tout naturellement qu’il soutint ensuite comme rapporteur à l’Assemblée nationale du projet de loi de Simone Veil sur l’interruption volontaire de grossesse qui s’inspirait des mêmes impératifs d’humanité et de responsabilité. [...]

C’est tout naturellement qu’il se présente aux élections législatives à Saint-Etienne et qu’il y est élu, comme il le sera ensuite sans interruption jusqu’en 1981. Il sera tour à tour secrétaire général du groupe UNR puis questeur de l’Assemblée nationale pendant dix-neuf ans. Après avoir été emporté par la "vague rose" de 1981 au profit d’un socialiste, Lucien Neuwirth conserve cependant sa présidence du conseil général et devient six ans plus tard sénateur de la Loire.

LA PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR ET LES SOINS PALLIATIFS

A ce poste, il cherche de nouveau à faire évoluer la société sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Son mandat est marqué par le vote, à son initiative, de deux textes important : loi sur la prise en charge de la douleur et celle sur les soins palliatifs. Lucien Neuwirth veut "une médecine technique et humaniste, qui prenne en considération l’homme en même temps que sa maladie".

En 1995, la loi sur la douleur, qui porte son nom, enjoint les établissements de santé à mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour la prendre en charge. C’est la rencontre d’un malade en phase terminale, mais qui ne souffrait pas, aux Etats-Unis, en 1993, qui lui a ouvert les yeux sur le retard français en la matière. Et aussi un drame personnel. En 1996, sa femme meurt d’un cancer. Il l’a accompagnée jusqu’au bout.

En 1999, il poursuit dans cette voie, avec sa loi fondatrice sur les soins palliatifs, "extraordinairement insuffisants" en France, dit-il. Elle affirme le principe du droit à ces soins palliatifs et à un accompagnement pour toute personne malade dont l’état le requiert. Ironie de l’histoire, sa dernière intervention dans le débat public avant son retrait de la vie politique nationale, en 2001, concerne la contraception. Personnalité irrécusable, il est choisi par la commission des affaires sociales du Sénat comme rapporteur de la proposition de loi sur la pilule du lendemain NorLevo. Lucien Neuwirth doit à nouveau se battre. Il défend le texte, et l’améliore, en faisait voter la gratuité de cette pilule. Comme en 1967, les débats sont passionnés. Il reçoit des lettres d’injures, contenant peu ou prou les mêmes arguments qu’à l’époque. Il s’en amuse. Subir de telles attaques en 2000 lui a donné, dit-il, "un coup de jeune".

Ayant marqué sa trace dans l’Histoire avec et pour de Gaulle, dans la société avec ses lois sur la contraception, il n’oublia pas sa ville – sans en avoir jamais été le maire – et son département. Devenu un notable important, le "lieutenant" Neuwirth avait toujours conservé son visage rond et lisse, son assurance sans agressivité et une générosité toujours amicale et souvent fraternelle."

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