9 novembre 2012
"Les anglicismes sont légion dans la langue française, et la presse en raffole. Un journaliste anglais s’en amuse. Petit inventaire.
Le 14e sommet de l’Organisation internationale de la francophonie s’est tenu du 12 au 14 octobre à Kinshasa. Cette organisation, qui défend les “valeurs humanistes attachées à la langue française”, regroupe 57 Etats membres situés pour la plupart en Afrique subsaharienne et de l’Ouest. Selon ses estimations, en 2050, 85 % des francophones du monde seront concentrés sur ce continent.
Le nombre des francophones est estimé aujourd’hui à 220 millions, ce qui fait du français la neuvième langue sur la planète et, bizarrement, la troisième langue sur Internet. Comme on nous l’a rappelé cet été, c’est aussi la langue officielle des Jeux olympiques.
L’Académie française, gardienne de la “langue de Molière”, s’efforce désespérément de ralentir les incursions de l’anglais, mais est-ce vraiment réaliste à l’ère d’Internet et de la mondialisation ? Même le journal le plus intellectuel, Le Monde, n’est pas épargné par l’anglomanie : il utilise des titres comme “Standing ovation à Aix” pour l’opéra Written on Skin, de George Benjamin et Martin Crimp, et “L’impressionnisme, cette machine à cash-flow” au sujet d’une exposition inaugurée récemment à Paris [“L’impressionnisme et la mode” au musée d’Orsay]. Il parle aussi allègrement de la manière dont “Barack Obama fait du forcing sur sa réforme de la santé”. Et un éditorial [“Tottenham-Clichy, les révoltés du ‘no future’”, août 2011] consacré aux émeutes londoniennes de l’été 2011 suggérait aux lecteurs : “Soyons fair-play !” Un clin d’œil à la presse britannique pour son traitement des émeutes de 2005 dans la banlieue parisienne. Mais les Français ont toujours pris plaisir, semble-t-il, à utiliser des mots et des expressions de la langue anglaise d’une manière inédite pour nous, comme dans “un restaurant de bon standing” ou “un long travelling sans gêne”. Certains de ces usages bâtards sont franchement laids : ainsi le mot “relookage” (du verbe “relooker”, qui signifie donner une nouvelle apparence) ou le verbe “remastériser”, comme dans la phrase “les albums des Beatles ont été remastérisés”.
On est désormais habitué à des mots comme “marketing”, “lobbying”, “lifting” (dans un article sur Poutine, on a pu lire “Avec son lifting, on dirait une vieille star du porno”), “casting” (on a parlé d’“erreur de casting” à propos de la nomination de la baronne Ashton à un poste à haute responsabilité au sein de l’Union européenne) ou “sponsoring”. On peut ajouter à la liste des termes comme “cloud computing”, “teasing”, “timing”, “fooding”, “leasing”, “coaching” et “scrapbooking”. Quant à Johannesburg, elle est la “ville-happening”.
J’aime tout particulièrement le verbe “snober”, de l’anglais to snub [rejetter, repousser, mais l’étymologie de snober reste floue], comme dans “Une partie du milieu musical français continue de snober le travail du compositeur américain John Adams” (Le Monde), qui sonne étrangement à l’oreille d’un Anglo-Saxon – même si le substantif “snob” date au moins de l’époque de Proust.
On a presque l’impression, parfois, que les locuteurs de la langue française ont baissé les bras, ainsi qu’en témoigne l’usage des verbes “interviewer”, “boycotter” (et le substantif “boycottage”), “squatter”, “cliquer”, “swinguer”, “surfer”, “zapper” (comme dans “il zappe mais ne surfe pas”).
La liste semble interminable : on rencontre aussi des expressions comme “le raider lord Rothschild”, “flash-back” et “flash-forward”, “fashion victim”, “has been” (le qualificatif utilisé par Le Monde pour dépeindre Tony Blair), “strip-teaseuse”, et mon favori, “hardeur” (avec un h muet, bien sûr), une star du porno supposée pleine d’ardeur.
Sur la rentrée littéraire de cette année, on a eu droit à “beaucoup d’auteurs confirmés sont dans les starting-blocks”. A propos d’un de ses auteurs [Michel Houellebecq], Teresa Cremisi, PDG du groupe Flammarion, a affirmé en novembre 2010 : “Cet écrivain, il ne faut pas le ‘starifier’ mais le lire.” Et même dans un prestigieux volume de la Pléiade, le lecteur est invité à “voir la table des copyrights”. Pourquoi ne pas utiliser “droit d’auteur” ?
Dans le domaine sportif, “le sprint est une question de timing”, entend-on dans la bouche du cycliste italien Alessandro Petacchi. Au tennis, on a le “tie-break” mais aussi le “passing shot” qui permet au tennisman Jo-Wilfried Tsonga de “breaker”. On parle également beaucoup de “challenge”, “burn-out”, “recordman”, etc.
Naturellement, les réseaux sociaux sont un terrain favorable aux anglicismes, avec des expressions comme “facebookiens”, “blogueurs”, “j’ai jamais tweetté”, “pour arrêter de recevoir cette newsletter, répondez simplement à ce mail”, ou, comme le disait un slogan électoral au début de l’année, “au lieu de geeker, va voter”."
Lire "Molière, oh my God !".
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales