Revue de presse

"Miracles à l’affiche" (B. Coulmont, Le Monde, 20 juin 15)

Baptiste Coulmont, sociologue, maître de conférences à l’université Paris-VIII. 23 juin 2015

"Placardées dans un quartier populaire de Paris, les publicités des Eglises évangéliques d’" expression africaine " témoignent des mutations que traverse le protestantisme. Décryptage

A une station de métro de Barbès, dans le 18e arrondissement de Paris, Château Rouge, quartier populaire, est un lieu de passage pour des migrants africains. -Depuis une quinzaine d’années, des publicités religieuses y recouvrent les murs aveugles et les palissades de chantiers. Ces images aux couleurs vives mettant en scène des pasteurs noirs jettent des mots tels que " croisade ", " prophète " et " miracle " au visage des passants. De façon simple et racoleuse, elles témoignent d’une -recomposition du monde protestant -datant de la fin des années 1990, quand des migrants venus d’Afrique subsaharienne ont créé des assemblées, généralement évangéliques, souvent instables et précaires – des Eglises " d’expression africaine ", comme il est d’usage de les désigner.

Les chercheurs évaluent à quelques centaines le nombre de ces Eglises dans les banlieues populaires de la région parisienne. D’après Sébastien Fath, sociologue des religions au CNRS, " elles opèrent souvent en large indépendance par rapport aux réseaux évangéliques déjà constitués ".Ce sont, la plupart du temps, des groupes de petite taille qui peuvent se désagréger si le pasteur qui les a fondés perd la confiance de ses fidèles. Ils s’adressent aux migrants africains et aux Antillais, mais d’une façon très différente des Black churches américaines. Ici sont mises en avant non la question de l’unité raciale ni la référence à l’Afrique, mais la France et la chrétienté. Les affiches de ces évangélistes parisiens reproduisent ainsi souvent la tour Eiffel, le drapeau tricolore ou l’Arc de triomphe.Mais ces groupes évangéliques sont aussi le lieu d’un cosmopolitisme noir : Sébastien Fath explique qu’ils forment le versant religieux d’une " afroculture transnationale " portée par des diasporas exportant musique, nourriture ou codes vestimentaires.

Pour le géographe Frédéric Dejean, de l’université de Montréal, cet affichage -ostensible répond à l’invisibilité des lieux de culte – entrepôts, hangars, salles de -conférence de Seine-Saint-Denis. Ces assemblées sont en concurrence, et l’affichage sauvage est une manière de capter un public. Certaines affiches sont d’ailleurs aussitôt arrachées par les rivaux, même s’il existe aussi des phénomènes d’alliance et d’entraide entre ces petits entrepreneurs de salut. Pourtant, loin des logiques habituelles de la concurrence, ces compositions -visuelles ne cherchent pas à se singulariser. La ressemblance entre elles est même frappante, comme si elles s’alignaient sur une formule stable, quels que soient l’Eglise et le moment de l’année.

Toutes mettent d’abord en scène l’efficacité professionnelle de leaders religieux dans la prise en charge des maux de ce monde. Réunions, conventions, séminaires, journées, conférences parfois : ces -entreprises religieuses cherchent à concilier individualisme capitaliste et discours théocentré. Le séminaire, c’est à la fois le -séminaire d’entreprise, celui que pratiquent les cadres dirigeants, et le lieu de formation théologique. C’est pourquoi, comme dans l’entreprise, la mobilité est valorisée. Car ces pasteurs " africains " exercent aussi dans d’autres pays européens : Allemagne et Royaume-Uni sont souvent mentionnés sur ces affiches.

En juillet 2014, ainsi, l’Eglise Sion Y.O.R. organisait " une journée de délivrance " sur le thème de " la percée ". Devant un paysage de montagne printanier, deux hommes -interpellent les curieux du regard. Celui qui se présente sous le titre de pasteur porte un col romain. L’autre, micro en main, est -" révérend patriarche " : il est en veste, mais sans cravate. A eux deux, ils présentent un équilibre entre sérieux et exubérance. La délivrance qu’ils promettent est une forme d’exorcisme, l’expulsion du Malin ici et maintenant. Toutes ces affiches intro-duisent la possibilité du surnaturel ici-bas : " Ces pasteurs-prophètes revendiquent une expertise thérapeutique " plus qu’une -promesse de vie après la mort,observe -Sébastien Fath.

Au menu, miracle et guérison : les sociologues parlent de " salut intramondain ". C’est devant un ciel d’orage que le centre de prière et d’étude La Bible d’or a placé ses orateurs. L’opération semble ambitieuse : là aussi, il s’agit de s’attaquer aux maux qui assaillent les fidèles. La manifestation s’étend sur quatre jours, avec une veillée de prière d’une nuit entière. La puissance invitante fixe l’objectif. Costume, cravate, il présente tous les signes de la réussite professionnelle, l’accoutrement du cadre supérieur. L’invité, un " apôtre ", brandit une bible et semble crier dans le micro. A ses côtés, des images montrent, devant une large assemblée, un homme en fauteuil roulant et un autre tenant trois ou quatre béquilles : le miracle en photo.

Sur ces affiches, le monde contemporain est le lieu d’une lutte. Ce sont des images de combat ou d’un univers après le combat. L’aigle, le feu, parfois la colombe et l’arc-en-ciel renforcent les postures viriles de ces hommes aux titres ronflants : évêque, docteur, révérend-pasteur, patriarche, voire cardinal… Quant aux femmes, elles ne sont pas absentes de ces mises en scène, mais occupent une position secondaire : plus rarement photographiées que les hommes, elles sont plus souvent chanteuses que pasteures."

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