Revue de presse

"Menaces persitantes sur la laïcité à l’hôpital" (Marianne, 28 mars 24)

(Marianne, 28 mars 24) 1er avril 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

""Gêne hiérarchique", errements administratifs, prosélytisme : la laïcité toujours menacée à l’hôpital

Par Hadrien Brachet

Selon les données exclusives obtenues par « Marianne », plus d’une centaine d’établissements de santé ont été confrontés à des atteintes à la laïcité en 2023. Mais ces chiffres restent partiels et le dispositif pour y répondre présente des failles, malgré les préconisations d’un rapport rédigé par l’urgentiste Patrick Pelloux il y a deux ans.

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"Gêne hiérarchique", errements administratifs, prosélytisme : la laïcité toujours menacée à l’hôpital

Par Hadrien Brachet

Selon les données exclusives obtenues par « Marianne », plus d’une centaine d’établissements de santé ont été confrontés à des atteintes à la laïcité en 2023. Mais ces chiffres restent partiels et le dispositif pour y répondre présente des failles, malgré les préconisations d’un rapport rédigé par l’urgentiste Patrick Pelloux il y a deux ans.

« C’est toujours le célèbre "pas de vagues" ! » En cette matinée de mars, un soleil de printemps baigne la terrasse du café parisien où s’attable Patrick Pelloux. Une météo qui n’est guère de taille à calmer la colère du médiatique médecin urgentiste, habitué des coups de gueule sur l’état du système de santé. Cette fois, l’ex-chroniqueur de Charlie Hebdo s’indigne des maigres suites données à son rapport sur la radicalisation à l’hôpital.

Remis en 2022 à la demande d’Olivier Véran, alors ministre de la Santé, ce document d’une soixantaine de pages pointait « un faible nombre de signalements » d’agents radicalisés, mais relevait des « atteintes à la laïcité » en milieu hospitalier : non-respect de la neutralité des personnels, discriminations de patients en fonction de leur genre et prosélytisme. « Il faut arrêter l’angélisme », alertait à l’époque Pelloux. Sauf que, deux ans plus tard, le médecin estime que son rapport est resté lettre morte. « La laïcité n’intéresse plus », dénonce-t-il.

Une chose est sûre : on est encore loin de la quantification transparente et exhaustive du phénomène par les pouvoirs publics, comme le réclamait le rapport. Non sans difficulté, Marianne a fini par obtenir des données du ministère de la Santé issues des signalements provenant du terrain. Ainsi, en 2023, 118 établissements ont fait remonter au moins une atteinte à la laïcité… parmi les 869 établissements de santé ou médico-sociaux qui ont répondu au baromètre du ministère. Si la majorité des faits constatés de la part des agents concernent le port de signes religieux ostensibles, des prières dans les établissements ou des actes de prosélytisme ont aussi été recensés.

Bémol de cette première indication : le taux de retour est insuffisant. À titre de comparaison, en 2022, la France comptait 1 338 hôpitaux publics, auxquels s’ajoutent des milliers d’Ehpad publics. Difficile dès lors d’avoir une idée précise des dérives. De même, si l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France indique à Marianne n’avoir reçu aucun signalement pour atteinte à la laïcité en 2023, elle précise que « cela ne signifie pas qu’il n’y en ait pas eu, car ces cas peuvent être gérés directement au niveau de [...] chaque établissement ». Dans ces conditions, comment mener une action publique efficace ?

Chez les soignants, déjà sous tension au quotidien, on peine toujours à se mettre d’accord sur l’ampleur du phénomène. « Il y a assez peu de problèmes », estime par exemple Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), avant de nous communiquer par écrit le ressenti d’une dizaine de praticiens. « On sent qu’il faudrait peu de choses pour que cela devienne un vrai souci », nuance néanmoins l’un d’eux, en fonction au sein de l’AP-HP.

Quant à Mathias Wargon, chef du service des urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, sans nier des difficultés, il juge le rapport Pelloux « un peu caricatural ». Réponse de l’intéressé : « Il y a des gens qui ne veulent pas voir les attaques contre la laïcité. »

À bas bruit, sur le terrain comme dans les administrations, des voix appellent à ne pas sous-estimer des atteintes à la neutralité chez les personnels hospitaliers. « Dès que l’on aborde ce sujet, je perçois de façon systématique une grande gêne dans la hiérarchie, soupire un cadre de santé, référent laïcité de son établissement, confronté à des cas de port de signes religieux ostensibles par des soignants. Les gens ont l’impression que, s’il n’y a pas de troubles à l’ordre public, ça peut être accepté. »

« Le problème est persistant, soupire Isabelle Lévy, déjà auteure en 2011 de Menaces religieuses sur l’hôpital (Presses de la Renaissance). Il y a des responsables de services qui considèrent qu’ils ont tellement de problèmes de recrutement qu’ils sont obligés de fermer les yeux sur certains points. » Récemment, cette spécialiste des liens entre laïcité et soins assure avoir été contactée par une secrétaire, rapportant le cas d’une médecin de son service, voilée, qui refusait d’exécuter des examens médicaux sur des hommes. « On n’aurait jamais dû l’embaucher », estime Isabelle Lévy.

Autre phénomène documenté : l’utilisation par des soignants de tenues professionnelles, comme la charlotte ou le calot, pour contourner l’interdiction du port de signes religieux ostensibles. « Un grand nombre de situations faisant état d’un usage détourné de tenue professionnelle (calot, charlotte) en lieu et place du voile ou turban est mis en évidence, reconnaît le ministère de la santé. Ces atteintes à la laïcité concernent fortement les étudiants en soins infirmiers dans le cadre de stages d’application. » Accommodement raisonnable ? Pas pour l’AP-HP qui, faisant le constat d’une pratique « assez générale sur l’ensemble des sites hospitaliers », a dû préciser dans son guide de la laïcité, publié en décembre, que le port de charlottes en dehors du bloc opératoire pouvait constituer un « comportement fautif ».

Autre grosse entorse, selon une source dans un ministère : la présence « d’associations cultuelles prosélytes » dans les couloirs des hôpitaux. Les patients, contrairement aux agents, bénéficient de la liberté d’exercer leur culte. Mais la souffrance, voire la période de fin de vie les placent parfois dans une position de fragilité dont certains groupes peu scrupuleux aimeraient bien profiter. Parmi eux, les mouvements évangéliques, qui seraient particulièrement actifs. « Dans les salles d’attente des services on retrouve, très souvent, des prospectus, raconte le référent laïcité cité plus haut. Le prosélytisme à l’hôpital est une réalité. »

Or, force est de constater que la réponse des pouvoirs publics a toujours ses angles morts. « Les solutions apportées par les politiques ne sont pas concrètes », regrette Isabelle Lévy. Certes, au ministère de la Santé, on se réjouit d’avoir clarifié la mission des aumôniers hospitaliers – qui ont pour inter­diction de se livrer à du prosélytisme – avec la signature en janvier d’une nouvelle charte multiconfessionnelle, ou encore d’avoir développé la Journée de la laïcité (le 9 décembre). On confie également qu’une circulaire sur la protection fonctionnelle (contre les injures, violences, menaces) des agents est en cours de préparation.

Mais, au-delà des belles résolutions, le dispositif comporte encore des failles. Malgré la loi contre le séparatisme, qui rend obligatoire la formation à la laïcité des fonctionnaires, le nombre d’agents formés reste « faible », de l’aveu même du ministère. Le rapport Pelloux avait pourtant pointé que les formations étaient « peu visibles et peu connues des agents ». « Quelques mois après l’assassinat de Samuel Paty, il y a eu une émotion collective mais ça n’a pas été suivi d’effet », regrette notre référent laïcité.

Idem, justement, pour ces référents qui œuvrent au sein des établissements. Leur fonction a été instaurée par la loi contre le séparatisme, mais ils ont souvent peu de temps à y consacrer et restent difficilement identifiés par leurs pairs… voire par les administrations centrales. « La direction générale de l’offre de soins (DGOS) ne dispose pas de chiffres précis sur l’évolution du nombre de référents laïcité dans ces établissements depuis l’entrée en vigueur de la loi », pointe un rapport d’information du Sénat publié début mars.

Il faut dire que le monde de la santé n’échappe pas au millefeuille administratif : les dispositifs s’empilent, sans réelle coordination. « Les ARS sont happées par quantité de circulaires du ministère », soupire Bernard Nuytten, consultant, ancien directeur d’hôpital. Quant à la signature systématique d’une charte de la laïcité lors de l’embauche des soignants, recommandée par le rapport Pelloux, elle n’a pour l’instant pas vu le jour.

« Cette obligation n’est pas mise en œuvre, car elle ne peut concerner que les agents publics exerçant dans un établissement de santé (et non les autres agents publics) », justifie-t-on au ministère. Où l’on assure qu’« est à l’étude le moyen de rendre obligatoire la signature de cette charte à l’ensemble de la fonction publique ». Autant dire qu’on n’y est pas encore. « Il y a des effets d’annonce puis on passe à autre chose », lâche, désabusée, une référente laïcité en exercice dans l’ouest de la France. Détourner l’attention de la douleur, dans un secteur qui peine à recruter, plutôt que soigner en profondeur."


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Hôpital dans Travail,
Rapport "Pelloux" sur la radicalisation à l’hôpital (mars 2022) dans les DOCUMENTS (note de la rédaction CLR).


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