29 septembre 2012
"C’est bien connu, les Français adorent se plaindre. Mais, en cette rentrée, ça frôle la pathologie, constate ce correspondant italien. Au cinéma, dans les livres, à la radio, un seul leitmotiv : la déprime.
Nicolas Sarkozy voulait une “France forte”, Hollande avait promis de “réenchanter le rêve français”. Pourtant, de retour de vacances, nos cousins se retrouvent en pleine déprime. Soyons clairs : la grogne [1] passe pour une caractéristique nationale dans ce pays cyclothymique où des périodes de sombre découragement et de mélancolie fulgurante alternent avec des rêves de gloire et des bouffées de grandeur, ce pays capable de tout sauf de se résigner à la normalité.
Mais cet automne semble bien placé sous le signe du mécontentement. L’économie va mal, le seuil symbolique des trois millions de chômeurs a été dépassé, l’euro est à bout de souffle et de nouvelles vagues de licenciements et de délocalisations sont annoncées.
Même s’ils refusent de l’admettre, à commencer par François Hollande, les Français savent que l’Etat social auquel ils sont attachés (parce qu’il fonctionne bien mieux qu’en Italie, pour le même tarif) n’est plus viable. Résultat : la cote de popularité du tout nouveau président est en chute libre, 11 points perdus au mois d’août [soit 44 % de jugements favorables selon le baromètre Ipsos]. Hollande, à vrai dire, n’est pas responsable d’une situation dont il a largement hérité. Mais il semble à court de solutions pour en sortir. La crise des idées s’est répercutée sur l’optimisme des ménages. Les perspectives nationales sont tout sauf encourageantes : selon les derniers sondages, 68 % des Français se disent pessimistes pour leur avenir [sondage Ifop].
La culture, dans l’un des rares pays à la prendre encore au sérieux, reflète ce mal-être. Prenez une autre des exceptions françaises les plus typiques : la rentrée littéraire, ce raz de marée de romans qui s’abat sur les rayons des librairies en septembre, véritable tsunami littéraire de plus de 500 nouveaux titres [646 livres sont sortis entre août et octobre]. Les deux ouvrages les plus prometteurs, en termes de ventes et en prévision des prix littéraires, sont tout sauf optimistes. Les Lisières, d’Olivier Adam [éd. Flammarion], a déjà été vendu à plus de 70 000 exemplaires.
Son protagoniste, alter ego de l’auteur, largué par sa femme avec qui il vivait en Bretagne, revient sur les lieux de son enfance en banlieue parisienne et découvre, naturellement, combien les lieux se sont dégradés. A dire vrai, tout a empiré : sa mère perd la tête, son père, ex-communiste, est tenté par le Front national (et donc, vu de gauche, timbré lui aussi), la périphérie est peuplée de classes moyennes appauvries et délogées du centre-ville, les classes défavorisées sont reléguées plus loin encore, alors que sur les écrans défilent les images de Fukushima et du tsunami. Ambiance.
Autre best-seller, autres désastres. Le sujet d’Une semaine de vacances de Christine Angot [éd. Flammarion] est l’inceste. La scène d’ouverture montre le père bourreau posant une tranche de jambon sur son sexe et proposant à sa fille de la manger. A droite, c’est-à-dire au Figaro, journal qui ne brille guère par son objectivité (depuis que les socialistes sont au pouvoir, il pleut tous les jours sur la France, plus personne n’ose rire et même le camembert a perdu sa saveur), on s’interroge : “La culture française est-elle déprimée ?” Le critique Charles Dantzig tire à vue sur le “populisme littéraire” auquel les auteurs français s’abandonnent (“J’appelle populisme littéraire une fiction destinée à flatter des sentiments hargneux”). Michel Houellebecq, fondateur du courant “déprimiste” de la République des lettres, a toujours peint le désespoir avec ironie. Aujourd’hui, alors que les réserves d’ironie semblent épuisées, seul demeure le désespoir.
Le cinéma se fait également l’écho de cette tristesse. A côté des incontournables comédies légères sentimentales, les maladies, physiques ou sociales, prolifèrent sur grand écran : c’est une litanie de chômeurs rongés par le désespoir et l’agressivité, sur fond de banlieues dégradées et violentes… Même la chanson a succombé au virus de l’anxiété : “La mélancolie c’est communiste / Tout le monde y a droit de temps en temps / La mélancolie n’est pas capitaliste / C’est même gratuit pour les perdants”, soupire le Breton Miossec (si son nom vous est inconnu, rassurez-vous : la variété française a tendance à vivre en autarcie et dépasse rarement les frontières de l’Hexagone). Et le populaire Benjamin Biolay de lui répondre : “Il n’y a plus de cosmos au-dessus de nos balcons / Il n’y a que des fosses, plus que des dalles de béton.
En France, depuis toujours, pleurer sur son sort est un sport national. Aujourd’hui, pourtant, c’est en train de dégénérer en pathologie. L’écrivain Michel Onfray parle de “haine de soi française” et l’explique ainsi [dans un article paru en août dans l’hebdomadaire Marianne] : “Les Français, qui furent longtemps des coqs juchés sur leur tas de fumier, sont devenus désormais des poulets de batterie.” Pourquoi pas ? Mais l’observateur étranger aura du mal à cacher sa perplexité. La France est peut-être bien déprimée, mais sûrement pas déprimante."
[1] En français dans le texte.
Comité Laïcité République
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