(L’Humanité, 19 juin 23) 19 juin 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"L’Élysée l’a confirmé ce dimanche 18 juin, à l’occasion d’un hommage aux résistants fusillés au Mont-Valérien, lors des commémorations de l’appel du 18 juin : Missak Manouchian et Mélinée entreront l’an prochain au Panthéon. À travers eux, ce sont tous les FTP-MOI, et tous les résistants communistes étrangers, qui sont reconnus. Il était temps.
Orphelin du génocide arménien, il avait traversé la Méditerranée en clandestin, pour débarquer à Marseille sans papiers, sans asile, sans ressources.
Il s’était épris de cette terre d’accueil, au point de mourir pour elle, pour ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité, dont il entretint la flamme dans la nuit de l’occupation nazie, avec des milliers d’autres résistants communistes étrangers.
Ce dimanche, à l’occasion d’une cérémonie commémorant l’appel du 18 juin, l’Élysée a confirmé l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, poète et ouvrier, commissaire militaire des FTP-MOI parisiens sous l’autorité de Joseph Epstein. Ce temple républicain accueillera ses cendres avec celles de son épouse Mélinée.
Dans un communiqué, la présidence de la République a salué la « bravoure singulière » et l’ « héroïsme tranquille » de ce résistant communiste, en soulignant l’intention de célébrer, à travers lui, le sacrifice de tous les FTP-MOI, pour « fédérer tous les combattants engagés dans la lutte contre le nazisme ». À cet égard, tous les résistants et otages fusillés au Mont-Valérien seront déclarés « morts pour la France ».
Il était temps. Après l’entrée au Panthéon des résistants Félix Éboué (1949), Jean Moulin (1964), René Cassin (1987), Jean Monnet (1988), André Malraux (1996), Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, Jean Zay (2015) et Joséphine Baker (2021), Missak Manouchian est le premier résistant communiste à être ainsi honoré.
Cela doit beaucoup à la mobilisation des descendants de réfugiés arméniens, toujours très attachés à la figure de ce héros, et à l’engagement de sa petite-nièce Katia Guiragossian, du sénateur communiste Pierre Ouzoulias, de l’historien Denis Peschanski.
Tous les trois étaient présents dimanche, dans la clairière du Mont-Valérien, où périrent 1 008 résistants français et étrangers, où furent exécutés, le 21 février 1944, vingt-cinq hommes, dont vingt-deux membres des FTP-MOI et parmi eux Manouchian.
La vingt-troisième, Olga Bancic, fut déportée en Allemagne pour être décapitée à Stuttgart, le 10 mai – le jour de son anniversaire.
Trois photographies prises à la dérobée par un sous-officier allemand en surplomb du champ de tir, remises en 2003 aux archives de la Défense, témoignent de la barbarie de cette mise à mort.
Des poteaux alignés sur la neige, sous des branchages transis de givre ; les silhouettes sombres des martyrs attachés, regards fixés sur leurs bourreaux ; face à eux, le peloton serré des soldats allemands casqués, longs manteaux noirs, fusils levés vers leurs cibles. Sur le cliché suivant, des têtes inclinées, des corps affaissés, les fusils des assassins baissés.
Cet acte de mémoire honore, par-delà Manouchian, des groupes armés qui surent fédérer une jeunesse éprise de liberté, héroïque, armée d’un courage inouï, entrée tôt dans la résistance : des étrangers, des apatrides, des Hongrois, des Polonais, des Roumains, des juifs ashkénazes jetés dans la clandestinité par la traque de la Gestapo et de ses supplétifs de Vichy, des républicains espagnols, des anciens brigadistes, des partisans ayant fui l’Italie de Mussolini, des Arméniens rescapés du génocide.
Les FTP-MOI ont signé des centaines d’opérations dirigées contre l’occupant : attentats, déraillement de trains, exécutions de dignitaires nazis impliqués dans les rafles de juifs. L’un de leurs faits d’armes les plus retentissants : l’exécution du général SS Julius Ritter, responsable du Service du travail obligatoire. Ils ont engagé une véritable guérilla urbaine pour déstabiliser l’occupant.
Au cours de l’année 1943, la fréquence de leurs actions de résistance était telle que les officiers allemands n’osaient plus se pavaner en uniforme dans les rues de Paris, de peur d’être pris pour cibles.
Les polices allemandes, épaulées par les services de Vichy, par la Milice, décidèrent alors d’unir leurs efforts pour traquer ces combattants. Le président de la Cour martiale, à propos du réseau qui sera a posteriori baptisé groupe Manouchian, salua d’ailleurs le « grand dévouement » de la police française, de Joseph Darnand et de ses miliciens « particulièrement résolus à combattre aux côtés des Allemands ».
En fait, leurs arrestations doivent beaucoup à la brigade spéciale des renseignements généraux, fer de lance avant-guerre de la lutte anticommuniste : elle mobilisa, dans cette traque, une centaine d’hommes. Filé depuis des semaines, Missak Manouchian, trahi, tomba le 16 novembre 1943.
Son chef, Joseph Epstein, l’héroïque « Colonel Gilles », immigré juif de provenance polonaise, tomba avec lui – ce dernier, sous la torture, ne livra pas un nom à ses bourreaux, pas même le sien.
Les deux hommes avaient rendez-vous sur les berges de la Seine. Ils furent tous deux appréhendés à la gare d’Évry-Petit Bourg ; leur arrestation ouvrit la voie au démantèlement des groupes FTP-MOI dans la capitale.
Au moment de tomber sous la mitraille de l’occupant nazi, Manouchian avait 37 ans. Ni lui ni aucun de ses camarades n’avait l’âge de mourir : ils étaient moins mus par le goût du sacrifice que par un irrépressible élan de vie. La Libération était si proche…
À la veille de son exécution, il le pressentait : « Je m’étais engagé dans l’Armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la paix de demain. (…) Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous ! » écrivait-il dans sa dernière lettre à sa bien-aimée, Mélinée.
L’œuvre de propagande des nazis pour jeter l’opprobre sur ces résistants étrangers, désignés comme « l’armée du crime », les a paradoxalement gravés dans notre mémoire collective – les vers d’Éluard, puis ceux d’Aragon, mis en musique par Léo Ferré, y sont pour beaucoup.
Sur l’affiche rouge censée frapper d’infamie ces combattants de la liberté, Missak est désigné comme « Arménien, chef de bande », un « terroriste ». Le visage ravagé par les sévices des tortionnaires, front large, joues creusées, les yeux de jais, il semble regarder loin, par-delà l’horizon de la guerre.
Manouchian, avant de mourir, se disait « sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement ». Les hommages sont rendus aux morts, mais ils s’adressent aux vivants.
Celui-ci intervient au lendemain d’un nouveau naufrage meurtrier en mer Égée, qui devrait ébranler toutes les consciences. Cette mer Méditerranée que Manouchian traversa en réfugié, est devenue, dans la plus grande indifférence, le cimetière de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants aux vies fauchées en fuyant la persécution, la guerre, la misère.
Les hommages sont rendus aux morts, l’oubli des vivants les assombrit. La loi qui se trame encore contre les migrants, défendue par un ministre qui jugea un jour la cheffe de l’extrême droite, Marine Le Pen, "molle", entache celui-ci.
Ce projet de loi entérinerait, s’il était adopté, la criminalisation du séjour irrégulier. Cela conforterait tous ceux qui, nostalgiques de la collaboration avec les nazis, disciples aujourd’hui de la théorie complotiste du grand remplacement, désignent les immigrés et leurs descendants comme un péril pour la nation française et son identité.
Cela se traduit par des discours quotidiens, des saillies médiatiques, des lois, des décrets, des circulaires, des pratiques administratives humiliantes, qui soumettent les étrangers à un régime d’exception, attentatoire aux droits humains.
Le Panthéon est un acte de mémoire décisif. Il ne suffit pas. Rendre hommage, véritablement, à Missak Manouchian, à Joseph Epstein, à Olga Bancic, à ces « vingt et trois étrangers et nos frères pourtant », commande de tourner le dos à ces politiques."
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Missak Manouchian dans Panthéon dans Commémorations dans Histoire, dans les Documents VIDEO L’Affiche rouge, de Louis Aragon, interprété par Léo Ferré (note du CLR).
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