Revue de presse

"Mélenchon-Zemmour ou la passion française pour le débat" (E. Bastié, Le Figaro, 25 sept. 21)

25 septembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le débat de jeudi soir entre Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour a donné le meilleur de ce débat à la française, loin du match de boxe que certains commentateurs ont déploré.

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[...] Le débat de jeudi soir entre Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour a donné le meilleur de ce débat à la française. Loin du match de boxe que certains commentateurs ont déploré, les deux jouteurs ont opposé deux visions du monde antagonistes, en s’appuyant sur l’Histoire, mais aussi sur de nombreuses références littéraires. Tandis que le patron des Insoumis citait saint Paul, Édouard Glissant et Christine de Pisan, l’éditorialiste convoquait Talleyrand, Napoléon et Bainville. Dépaysant après un an et demi de plateaux télé continuels sur la crise sanitaire, le mot « Covid » ne fut pas une seule fois prononcé. [...]

Au temps de l’hypersphère, qui se caractérise selon Régis Debray par l’horizontalité totale d’un débat public auquel chacun, désormais, participe, Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour ont réintroduit une forme de verticalité, se faisant les incarnations médiatrices des deux grandes angoisses qui traversent la société française : la bascule climatique et l’immigration massive.

Ce débat a montré aussi les limites du fact-checking à l’anglo-saxonne devenu pour certains médias la martingale pour résister à l’ère de la post-vérité. Organisées en direct par la chaîne, les vérifications, trop rapides, se sont révélées en partie erronées et ne laissaient pas la possibilité aux débatteurs, privés de l’accès à leurs sources, de porter la contradiction.

« On peut débattre de tout sauf des chiffres », martèle le clip radio du gouvernement sur la vaccination contre le Covid. À quoi l’on pourrait répondre la phrase de Mark Twain : « Il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques. » Il est évident qu’il existe des faits indubitables, et il n’est pas question de sombrer dans le relativisme. Seulement, les chiffres peuvent être manipulés en tous sens, et ceux-ci ne donnent à apercevoir qu’une partie du réel, et, quand le « monde se fait nombre » (Olivier Rey), ce qui ne se compte pas ne compte plus.

Les faits sont essentiels, mais, en dernière instance, c’est la hiérarchie des valeurs qui détermine les alternatives idéologiques. Le fait qu’il existe une forte pression migratoire est peu contestable, la question est de savoir s’il s’agit d’un bienfait (Mélenchon) ou d’une menace (Zemmour). La vaccination sauve des vies, c’est un fait. Faut-il la rendre obligatoire ? C’est le débat. Substituer aux clivages idéologiques le seul règne de l’expertise c’est déposséder le peuple de la possibilité de choisir.

« Le conservatisme français s’exprime aussi en fait d’idéologie » constatait avec dépit Raymond Aron, qui lui préférait le conservatisme britannique et son pragmatisme. On peut comme lui déplorer cette tendance à l’abstraction constitutive de l’esprit français. On peut aussi, comme les belles âmes outragées, lever les yeux au ciel en soupirant sur « l’ère du clash » qui mine notre démocratie. Mais cette dénonciation permanente du « clash » ne cache-t-elle pas une aversion au débat ? « Le conflit : voilà le mal que nous cherchons à éviter, entre nations, entre individus, et à l’intérieur de nous-même », écrivait Allan Bloom dans L’Âme désarmée.

Pourtant, le conflit est consubstantiel à la démocratie. Le « polythéisme des valeurs » ne s’y tranche pas par les armes, mais par une conversation rationnelle, argumentée et libre. Dans une époque de « cancel culture » et de technocratie, de dictature de l’émotion, et de tyrannie des chiffres, Mélenchon et Zemmour ont réintroduit par leurs positions tranchées de l’agonisme (de la conflictualité, selon l’expression de la philosophe populiste Chantal Mouffe) au cœur de la vie politique. Il faut s’en réjouir. Car, en France, le débat n’est pas l’antichambre mais l’antidote de la guerre civile."

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