Revue de presse

""Mata Hari", cryptomonnaie russe et montages offshore : enquête dans les coulisses du Vatican" (L’Express, 16 mars 23)

17 mars 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

François de Labarre, Vatican offshore – L’argent noir de l’Eglise, Albin Michel, mars 23, 192 p., 20,90 euros.

"Dans "Vatican offshore" (Albin Michel), François de Labarre dévoile la face sombre du Vatican, entre trafics d’influence et malversations. Bonnes feuilles.

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C’est un livre qui, avant même sa parution, sentait déjà le soufre. Fin connaisseur du Vatican, le journaliste François de Labarre révèle dans Vatican offshore les agissements d’une "mafia en soutane" bien décidée à contrecarrer les tentatives de réforme de Benoît XVI puis du pape François : malversations, trafics d’influence… Comme l’a révélé Le Canard Enchaîné, l’éditeur Albin Michel avait réservé les bonnes feuilles à l’employeur du journaliste, Paris Match, avant que le projet ne tombe mystérieusement à l’eau au moment du bouclage. En interne, beaucoup y ont vu une ingérence du très catholique Vincent Bolloré, premier actionnaire avec Vivendi du groupe Lagardère, propriétaire de Paris Match. L’Express dévoile donc des extraits exclusifs de cette enquête.

La "papauté offshore"

Au Vatican – la fabrique mondiale des vertus universelles – on s’en méfie comme de la peste. Pas du pouvoir, au contraire, mais de la "transparence", perçue comme un danger qui menace la souveraineté de l’Etat. Longtemps, les affaires financières du Saint-Siège ont été gérées dans la plus grande opacité. Au début des années 1980, le mot même était absent de tous les discours. Alors, des fonds transitaient par des banques suisses pour abonder les caisses de Solidarność, le syndicat polonais de Lech Walesa. Le Vatican était en guerre contre le bloc de l’Est. Le secret bancaire permettait de garantir la confidentialité des actions clandestines menées contre l’ennemi communiste. C’est sans doute en représailles que le pape Jean-Paul II a été visé par une tentative d’assassinat en mai 1981. Aujourd’hui, le monde a changé, mais de nombreux hauts responsables jugent nécessaire de préserver cette culture du secret. Même des opérations aussi simples que des dons pour des diocèses en difficulté financière doivent se faire sous le manteau.

Les exemples ne manquent pas : en 2011, le directeur général de l’IOR est ainsi sollicité pour aider le modeste diocèse de Maribor en Slovénie. Depuis l’indépendance de ce petit Etat à la frontière nord-est de l’Italie, les responsables catholiques du deuxième archidiocèse du pays ont prospéré en investissant dans toutes sortes d’activités. Malmenée par la crise financière de 2008, leur holding est criblée de dettes et ils doivent 502 millions d’euros aux banques [...].

Saisissant le prétexte de cette opération, l’IOR commence alors à s’adjoindre les services d’une poignée de financiers dont un professeur de la grande université Bocconi de Milan. Payés rubis sur l’ongle, ces consultants très gourmands vont apporter un peu de vernis à des choix d’investissements très discutables. Leur société de conseil qui se dit spécialisée dans les "placements responsables à fort impact environnemental et sociétal" validera par exemple un investissement dans une société de transport de charbon en Chine… pas très écolo ! Par leur entremise, les fonds destinés à la Slovénie vont emprunter un chemin tortueux en passant par le Luxembourg puis par les quatre coins du globe. Les responsables de Maribor vont avoir la surprise de voir arriver des virements par tranches de 500 000 euros depuis des banques basées à Dubaï, Londres et Budapest. Les comptes sont associés à des sociétés enregistrées au Panama, à Dubaï, aux Etats-Unis et aux Bahamas. Vive la papauté offshore !

Cecilia Bertogna, la "Mata Hari du Vatican", et la cryptomonnaie russe

S’estimant peut-être redevable vis-à-vis du futur cardinal Becciu, le nouveau patron [NDLR : du renseignement, Luciano Carta] introduit Cecilia Marogna dans le cénacle des espions. La voilà au cœur du pouvoir. Elle intègre un réseau de négociateurs d’otages et se voit confier la tâche, nous dit-elle, de recueillir des informations auprès de la famille d’un prélat retenu en otage au Mali, pour ouvrir le dialogue avec les ravisseurs. Ainsi commence la carrière fugitive de notre "experte" en renseignement. Documents à l’appui, elle nous révèle que des officiels russes ayant eu connaissance de sa position particulière au Vatican l’ont approchée pour créer une cryptomonnaie avec le Vatican ! C’est de la folie. Après avoir reçu une réponse négative, ces derniers seraient revenus à la charge en soumettant cette fois un projet de construction de centrale d’écoute dans un des nombreux palais romains vides, propriété du Vatican. Là encore, la réponse est négative. C’est bien dommage. On aurait aimé dans Le Parrain 4 découvrir une centrale d’écoute en plein renouveau de guerre froide dans un palais du Vatican ! [...]

Trop fière de pouvoir se prévaloir de cette expérience d’espionne, elle s’est répandue sur les télés italiennes. Secret-défense, financement opaque de sources, elle a arrosé large pour justifier ses folles dépenses. Sans entrer dans le détail, elle a fait tellement de déclarations imprudentes qu’elle déclenche l’inquiétude dans les rangs des services où son passage éclair n’a pas laissé un grand souvenir. Sur la base des déclarations de Cecilia Marogna, une enquête de la Copasir, le Comité parlementaire chargé du contrôle de l’activité des services de renseignement, est lancée. Entendue par des experts (authentiques ceux-là), la Mata Hari du Vatican fournira moult détails – dont une grande partie sera classée secret-défense – pour prouver sa qualité d’espionne. [...]

Cet épisode cocasse est très révélateur de l’imbrication de la curie romaine dans l’appareil d’Etat italien. Du fait de sa proximité avec le cardinal, Cecilia Marogna a pu accéder à des interlocuteurs de haut niveau. Aujourd’hui lâchée par tous, elle crie au complot.

Le cardinal réformateur et les accusations de pédophilie

Le juge australien Mark Weinberg, l’un des plus respectés de la cour d’appel de l’Etat de Victoria en Australie, pense aussi que George Pell [cardinal australien et ancien secrétaire pour l’Economie au Vatican, condamné pour agressions sexuelles avant d’être acquitté par la Haute Cour NDLR] est innocent. [...] Enfin, Mark Weinberg a jugé convaincantes les réponses apportées par l’accusé lorsque la police australienne est venue l’interroger à Rome. Malheureusement pour le cardinal, les juges de la cour d’appel sont trois et les deux autres ont estimé sa défense "trop emphatique". L’appel est rejeté à deux voix contre une. George Pell se dit "stupéfié" et "atteint".

[...] Heureusement, les lettres continuent d’arriver par dizaines. L’une a retenu son attention. L’auteur lui écrit du Canada. "Je me souviens que lorsque je suis venu vous voir à Rome l’un de vos collaborateurs m’a confié à voix basse que 50 millions d’euros avaient encore été retrouvés. Je me suis dit que j’avais bien de la chance de vous rencontrer avant votre assassinat !" L’auteur poursuit son raisonnement : "J’ai lu quelque part qu’une autre personne s’était fait la même réflexion que moi. Vous lui auriez répondu : ’Non, ils détruiront ma réputation.’ Voilà, c’est exactement ce qu’ils ont fait."

George Pell relit la lettre et se dit qu’aujourd’hui à Rome on a arrêté d’empoisonner ou de pendre les banquiers sous les ponts. On assassine les gens en détruisant leur réputation. [...] "Tous les acteurs importants de la réforme des finances ont été attaqués au Vatican, surtout dans la presse, et un certain nombre pensent que mes problèmes sont liés à cela."

Délocaliser le Vatican ?

C’est devenu une idée fixe. Délocaliser le Vatican pour le sortir des pattes de cette mentalité "péninsulaire" serait la solution à tout. Réaliser le rêve de Garibaldi à l’envers : sortir le Vatican de l’Italie !

Sans doute le pape François dans ses pires moments de doute et de solitude y a-t-il pensé. En matière de finances, l’arbitre Bergoglio a exclu du terrain l’équipe d’Italie. Sa banque est dirigée par un Français et c’est un Espagnol qui a succédé au cardinal George Pell à la tête du secrétariat pour l’Économie. Un apôtre de la transparence, le père jésuite Juan Antonio Guerrero Alves a récemment déclaré que "les finances doivent devenir une maison de verre" ! Comme on l’a vu, son comité d’éthique sur les investissements ne réunit que des Anglo-saxons et il est dirigé par le cardinal américain Kevin Joseph Farrell. L’ancien évêque de Dallas a aussi été nommé camerlingue de la Sainte Eglise romaine, c’est lui qui devra assurer l’intérim lors du prochain conclave. Contrairement à Benoît XVI qui avait confié cette tâche à son secrétaire d’Etat, le très sulfureux Tarcisio Bertone, le pape François ne donne pas les clefs du Saint-Siège à un Italien, mais à un cardinal américain. [...]"


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