Revue de presse

Marylin Maeso : "Le réinvestissement du mot ’race’ me semble une mauvaise idée" (lexpress.fr , 24 mai 23)

(lexpress.fr , 24 mai 23). Marylin Maeso, agrégée de philosophie. 29 mai 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Auteur Norman Ajari et Marylin Maeso (entretiens réalisés par Martin Legros), Où commence le racisme ? - Désaccords et arguments, éd. Philosophie magazine, mai 2023, 176 p., 19 €.

"Antisémitisme, "islamophobie", afrocentrisme… Co-auteure de "Où commence le racisme ?", la philosophe camusienne défend les nuances sur des sujets clivants.

Propos recueillis par Thomas Mahler

JPEG - 12 ko

Lire "Marylin Maeso : "Le réinvestissement du mot ’race’ me semble une mauvaise idée"".

C’est un livre rare en cette époque de polarisations idéologiques et d’invectives sur les réseaux sociaux. Dans Où commence le racisme ? Désaccords et arguments (Philosophie Magazine Editeur), deux jeunes philosophes, Marylin Maeso et Norman Ajari, débattent sereinement de leurs divergences sur des sujets clivants : retour du terme "race" chez les antiracistes, angle mort de l’antisémitisme, "islamophobie", thèses afrocentristes… La première est une camusienne universaliste bien connue des lecteurs de L’Express. Le second, enseignant à l’université d’Edimbourg, se revendique de la pensée décoloniale et de la théorie critique de la race. [...]

Vous dites qu’après 1945 et la catastrophe de la Shoah, le racisme n’a pas disparu, il a simplement muté. Comment ?

Après la Seconde Guerre mondiale, la sensibilité internationale est telle que le racisme à l’ancienne rencontre des difficultés pour continuer à s’exprimer impunément. Le monde a vu les conséquences d’une telle idéologie, qui culminent dans les camps d’extermination. Mais, comme toute idéologie forte, le racisme va muter, s’adapter pour survivre. Comment continuer à diffuser des idées et convictions racistes sans risquer l’opprobre et la condamnation publique ? Les racistes ne changent alors pas le fond, mais la forme, en euphémisant leur discours. Avant, on estimait que pour qu’il y ait racisme, il fallait une hiérarchie entre des "races". Mais ce nouveau racisme fait sauter ce critère de la hiérarchie. Plutôt que de dire "les Blancs sont supérieurs aux autres", on va affirmer que "chaque culture a sa valeur propre, mais pour préserver ces cultures, il ne faut surtout pas qu’elles se mélangent".

La Nouvelle Droite a ainsi développé l’ethno-différentialisme, considérant qu’il y a des différences essentielles entre les peuples, et qu’il faut les sauvegarder en cultivant la différence par la séparation. Ce qui débouche sur un discours anti-immigrationniste radical. Dès qu’une personne d’une autre culture (certaines cultures plus que d’autres, disons-le : les peuples européens ne font pas l’objet du même soupçon que les peuples africains) débarque, on part du principe qu’elle voudrait imposer sa culture, du fait d’un supposé choc civilisationnel. L’étranger va ainsi systématiquement être soupçonné d’être un agent du grand remplacement, de vouloir prendre le dessus. C’est la fabrication du "barbare".

L’antisémitisme est-il un racisme comme un autre, ou a-t-il ses particularités ?

Chaque racisme a ses particularités. Les Noirs vont être considérés par les racistes comme étant inférieurs, plus proches de la bête que de l’humain, moins intelligents. Les Juifs, au contraire, se voient accusés de posséder quelque chose que les autres n’ont pas. Les clichés sur les Noirs tournent tous autour d’un déficit civilisationnel : "ils sont fainéants", "ils ne peuvent pas contrôler leurs pulsions", "ils violent les femmes"… Les racistes les ramènent au seul instinct. Alors que les clichés sur les Juifs, c’est plutôt : "ils sont avides", "ils contrôlent les médias", "ils sont sournois"… En outre, aux yeux des racistes, les Juifs ne sont pas forcément repérables, d’où la nécessité de leur coller une étoile. Alors que les Noirs ne peuvent se cacher, du fait de leur couleur de peau. Comme pour la vermine, on va donc accuser les Juifs de s’immiscer dans la société pour pouvoir la corrompre de l’intérieur. Pour reprendre l’exemple de la théorie complotiste et raciste du Grand Remplacement, les Noirs y tiennent le rôle d’outils du remplacement par la natalité, là où les Juifs font partie des élites soupçonnées de l’orchestrer en sous-main.

Comme l’a rappelé Norman Ajari, le tueur de Buffalo, Payton Gendron, fait par exemple, dans son manifeste, la distinction entre ce qu’il appelle des "soft targets" et "hard targets", ou cibles "douces" et "lourdes". Les "soft targets", ce sont les Noirs, qui seraient les larbins utilisés par les Juifs au pouvoir, qui sont eux des "hard targets", plus difficiles à atteindre car haut placés. On voit donc bien que dans la construction du racisme, il y a des différences entre l’antisémitisme et la négrophobie.

Pour des figures comme Illana Weizman, Bari Weiss ou David Baddiel, l’antisémitisme serait devenu l’angle mort des nouveaux antiracistes, les Juifs étant perçus comme trop "blancs" ou trop privilégiés pour pouvoir être discriminés. Partagez-vous ce constat ?

Malheureusement, oui. Et ce cliché selon lequel les Juifs seraient des privilégiés parmi les discriminés est en soi chargé de relents antisémites : une fois de plus, le Juif est le détenteur d’un pouvoir, d’un avantage qu’on lui envie. D’où la centralité de l’antisémitisme sur le marché de la concurrence victimaire. Au sein de la Nupes, notamment, plusieurs députés se sont illustrés par leur incapacité à combattre l’antisémitisme sans ambivalence. C’est le cas, par exemple, d’Ersilia Soudais, vice-présidente d’un groupe d’études sur l’antisémitisme, qui, dès le premier jour, s’est focalisée sur la question palestinienne. Il est très difficile de faire entendre la gravité de cette confusion à gauche, tant elle s’est banalisée : par exemple, la porte-parole du groupe écologiste à l’Assemblée Eva Sas a résumé une journée d’études sur l’antisémitisme en France sur son compte Twitter en revendiquant son "droit à défendre les droits du peuple palestinien tout en étant pleinement engagé dans la lutte contre l’antisémitisme", alors que l’un des participants, le rabbin en formation Émile Ackermann, était précisément venu pour clarifier cette confusion.

La lutte contre l’antisémitisme est la seule qui se voit ajouter un bémol à gauche. Celle qui fait l’objet d’un soupçon, à tel point qu’on estime nécessaire de systématiquement poser en guise de préliminaire la lutte contre son instrumentalisation. Mais comment peut-on prétendre défendre les Français juifs contre l’antisémitisme quand on rabat systématiquement leur vécu sur un conflit étranger ? Quand on alimente une confusion aux conséquences délétères ? Ce discours, c’était celui de Mohammed Merah, qui a tué des enfants juifs à Toulouse pour venger ceux de Palestine. C’était aussi celui d’Amedy Coulibaly, qui dissertait sur le conflit israélo-palestinien tandis que l’une de ses victimes se vidait de son sang dans l’Hyper Cacher. L’antisémitisme est ainsi vraiment un angle mort (et mortel) fondamental pour une partie de la gauche.

Dans le livre, vous évoquez le paradoxal retour du mot "race" au sein même des militants antiracistes. "Inoffensif" selon vous dans le milieu universitaire, ce terme peut avoir des effets très nocifs dans l’espace public. Pourquoi ?

Quand on est universitaire, on est obligé d’étudier un phénomène pour pouvoir l’expliquer. La race est une construction sociale, qui a donné lieu à des institutions, des lois et des phénomènes historiques. C’est une réalité, qu’il faut étudier. Le mot "race" a ainsi son utilité dans ce cadre académique. Le problème, c’est que quand ces mêmes universitaires utilisent des concepts dans les journaux ou à la télévision, ils ne tiennent pas forcément compte de la manière dont ils seront compris, interprétés ou récupérés. Les racistes patentés vont ainsi pouvoir dire : "Vous voyez bien, même les antiracistes reconnaissent la pertinence du concept".

Par ailleurs, toutes les nuances qu’on peut faire dans un travail universitaire disparaissent parfois quand on est sur un plan militant. Houria Bouteldja, d’un côté, assure qu’elle utilise le mot "race" dans un sens sociologique, se plaçant de ce fait dans un registre universitaire. Mais quand, dans son livre Les Blancs, les Juifs et nous, elle s’adresse globalement aux Juifs pour les rendre responsables de sa propre confusion ("vous vous êtes laissés gagner lentement, à tel point qu’un préjugé tenace est né : tous les Juifs sont sionistes […] Le pire, c’est mon regard, lorsque dans la rue, je croise un enfant portant une kippa. Cet instant furtif où je m’arrête pour le regarder. Le pire c’est la disparition de mon indifférence vis-à-vis de vous, le possible prélude de ma ruine intérieure"), on s’aperçoit qu’elle verse dans un essentialisme qui, s’il n’est pas d’ordre biologique, n’en est pas moins une forme de préjugé raciste.

Ce réinvestissement du terme "race" me semble donc une mauvaise idée. Le mot a un tel bagage historique, lourdement connoté, qu’on ne peut pas prétendre vouloir faire abstraction de cette dimension-là dans le débat public.

Dans la théorie critique de la race, il y a l’idée d’un fatalisme du racisme, et que les Noirs n’obtiendront jamais l’égalité aux Etats-Unis. N’est-ce pas oublier les immenses progrès faits ?

Norman Ajari explique qu’il ne croit pas à la possibilité de dépasser le racisme aux Etats-Unis. A chaque fois que les Noirs obtiennent une victoire dans le champ politique et juridique, il s’ensuit une reconfiguration de la société et des institutions qui ferait que les bénéfices de la victoire sont annulés. Norman cite ainsi l’espérance de vie des Noirs, toujours la plus faible aux États-Unis. Ce qui justifie son pessimisme. Le fait est que les Etats-Unis se sont construits sur l’esclavage. Quand quelque chose imprègne les fondations d’un pays, il est plus compliqué de s’en libérer.

Personnellement, je ne rejoins pas Norman sur son pessimisme absolu. Mais malgré tout, comme Camus, je ne crois pas aux révolutions définitives. Je ne vois pas comment on pourrait se débarrasser un jour totalement du racisme, en sachant qu’un génocide n’a pas suffi et que le racisme a réussi à muter après la Seconde Guerre mondiale. Le racisme répond à un besoin, et ressurgit aux époques de crise. On pourrait d’ailleurs dire la même chose du sexisme. En revanche, parce que je ne crois pas aux révolutions définitives, je crois fermement aux évolutions ponctuelles. Et on peut difficilement nier celles-ci. Il serait insultant de penser (et Norman Ajari ne le fait pas) que les Noirs aux Etats-Unis ne vivent aujourd’hui pas mieux qu’à l’époque de la Ségrégation. Ce qui ne veut pas dire que je minimise les épreuves auxquelles ils font toujours face dans ce pays, notamment en matière de violences policières.

Vous avez aussi débattu du terme d’ "islamophobie", auquel vous préférez largement la notion de racisme anti-musulman. Pourquoi est-il si compliqué d’expliquer que ce mot d’ "islamophobie" entretient une confusion entre la critique (condamnable) d’une population, les musulmans, et celle (parfaitement légitime) d’une religion, l’islam ?

On a notamment pu voir cette confusion à l’œuvre avec Mila, qui a été accusée d’"islamophobie" alors qu’elle ne s’en était pas prise à des croyants, mais à une opinion religieuse. A partir du moment où l’on s’entend sur les mots, on n’a aucun problème à débattre de la réalité. Mais si dès le départ ces termes prêtent à ambiguïté, cela ne fait qu’entretenir la confusion. On sait d’ailleurs très bien que des militants œuvrent pour maintenir cette confusion entre la critique d’un dogme religieux, comme l’est l’islam, et celle des personnes musulmanes. Alors qu’on peut très bien affirmer qu’on est contre telle ou telle croyance, sans pour autant avoir aucune hostilité contre les personnes.

Les termes "sionisme" et "antisionisme" prêtent eux aussi à ambiguïté et font l’objet de convoitises militantes. Je suis critique de la politique coloniale de Netanyahou, comme beaucoup d’Israéliens d’ailleurs. Mais quand certains revendiquent à tout prix ce terme d’"antisionisme", sans prendre la peine de faire les clarifications qui s’imposent alors qu’il a été instrumentalisé par des figures comme Alain Soral ou Dieudonné, cela m’interpelle. Pourquoi absolument tenir à ce mot d’"antisionisme" ? Pourquoi rétorquer à ceux qui en soulignent la dangereuse ambiguïté qu’ils cherchent juste à empêcher la critique de la politique coloniale israélienne ? On critique sans problème de nombreux gouvernements à travers le monde sans avoir besoin pour cela de disposer d’un terme spécifique. J’en viens donc à me demander si ce n’est pas la confusion elle-même, plutôt que le droit de critiquer une politique, qu’on défend dans ce cas précis.

Norman Ajari semble être adepte du "oui, mais" au sujet de Mila comme de Charlie Hebdo. Dans le livre, il déclare par exemple que "du fait des abominations dont Charlie Hebdo a été victime, on tend à ne pas remettre en cause la laideur et le caractère injurieux de certaines de leurs publications". Ou, au sujet de Mila : "ses propos sont légaux, mais faire tourner la conversation autour de l’anus du prophète ne devrait pas être considéré comme souhaitable"…

On a le droit de considérer que certaines caricatures sont ratées. On peut même penser qu’elles sont hideuses. Mais cela n’est nullement le sujet quand on parle d’un attentat, et faire dériver le débat vers ce registre me semble une grave erreur. Riss lui-même a dit qu’on n’est nullement obligé d’aimer Charlie. La seule question, c’est de savoir si l’on veut vivre dans un monde où l’on peut mourir pour un dessin. Certains disent "oui, mais quand même, il ne faut pas sacraliser Charlie Hebdo", alors que la rédaction vit toujours sous la menace et avec une protection policière. Je n’ai pas l’impression que ce soit la Dolce Vita pour eux, que quoi que ce soit leur soit épargné : je vois passer régulièrement des critiques de leurs dessins, et cela fait partie du jeu, quand il est question de dessins. En revanche, s’il est question d’attentats terroristes contre des dessinateurs, le contenu des dessins ne devrait pas être considéré comme un facteur dans l’analyse des causes, pas plus que la longueur de la jupe en cas d’agression sexuelle.

C’est la même chose pour Mila. On peut certes considérer que vouloir mettre un doigt dans le cul d’un prophète n’est pas du meilleur goût. Mais quand on parle d’une adolescente déscolarisée, sous protection policière, qui continue à recevoir des menaces de mort et de viol par centaines de milliers de personnes, et que certains disent "oui, c’est inacceptable ce qui lui arrive, mais quand même, elle n’était pas obligée de parler de l’anus du prophète", ils font à nouveau dériver la conversation dans un registre qui revient à blâmer la victime. L’ironie de la situation, c’est que ce genre de réaction démontre au contraire qu’en un sens, Mila a bien fait. Tant qu’il y aura des gens pour pointer du doigt le dessin quand les dessinateurs gisent dans leur propre sang, et pour faire des leçons de politesse et de respect des croyances à une adolescente dont le droit d’exister en aimant qui elle veut vient d’être nié au nom de la religion, la caricature et la désacralisation auront une utilité.

J’ajouterai que l’idée selon laquelle il faudrait condamner la menace mais respecter les croyances est très hypocrite. Car Mila s’est justement fait attaquer au nom d’une religion. Il y a une incompatibilité de départ, que certains ne sont pas prêts à reconnaître mais qui me semble incontournable : si l’on veut respecter les droits des personnes, il faut non seulement autoriser, mais valoriser la moquerie et la condamnation de croyances qui sont discriminatoires. Ne tournons pas autour du pot : il s’agit de croyances homophobes. Si on nous dit qu’il faut respecter ces croyances, on se trouve dans l’impossibilité de les condamner quand des personnes se fondent sur elles pour entretenir des comportements homophobes.

Encore récemment, des footballeurs ont justifié leur refus de joueur en arborant un maillot floqué aux couleurs du drapeau LGBT en faisait valoir leurs croyances. Parmi eux, le joueur Zakaria Aboukhlal a ainsi déclaré : "Le respect est une valeur que j’estime beaucoup. Il s’étend aux autres mais comprend également le respect de mes propres croyances". La dangerosité de cette fausse équivalence tient au fait qu’elle permet de revendiquer un respect inconditionnel, y compris d’opinions irrespectueuses des personnes. Il n’y a aucune équivalence possible entre demander d’être respectée en tant que personne sans être discriminée en raison de son orientation sexuelle, et demander qu’on respecte ses opinions homophobes. Quand on sait à quel point dans le football, comme dans tant d’autres milieux, l’homophobie est un fléau toujours vivace, ce confusionnisme ne peut que l’alimenter en normalisant les croyances homophobes.

J’estime pour ma part qu’on ne peut pas mettre sur le même plan le respect des personnes et celle de croyances qui peuvent amener à l’irrespect de personnes. A un moment, il faut choisir.

Vous évoquez aussi l’afrocentrisme, et sa figure de proue Cheikh Anta Diop qui avait défendu la thèse que les pharaons de l’Egypte auraient été noirs. Récemment, un documentaire de Netflix présentant une Cléopâtre noire a fait polémique, tandis que Gims est allé jusqu’à affirmer que les pyramides étaient la preuve que cette civilisation africaine possédait déjà l’électricité…

La polémique s’est vite focalisée sur la couleur de peau de l’actrice, déchainant au passage les habituelles réactions racistes. Or, à mon sens, le problème n’est pas là. Ce qui aurait dû être au cœur du débat, c’est le fait que dans la bande-annonce du documentaire, une intervenante affirme que Cléopâtre était noire, ce qui fait signe vers la thèse afrocentriste développée par Cheikh Anta Diop et qui avait suscité l’enthousiasme d’Aimé Césaire. Cela part d’un sentiment légitime. Comme la culture noire a été spoliée, la négritude a représenté une façon de se réapproprier ce qui a été volé. Si on a longtemps nié votre identité, vous allez vouloir la récupérer de partout. Mais le problème, c’est que cela peut déboucher sur des démarches anti-scientifiques.

Les travaux de Diop concernant l’Egypte ont ainsi été réfutés en raison d’un manque de fondement historique. Mais ils ont aujourd’hui été récupérés par tout un courant suprémaciste noir. Dans la sphère complotiste, certains expliquent ainsi que les Egyptiens étaient noirs, mais que des égyptologues blancs ont effacé toute trace de leur négritude afin d’occulter le véritable rôle joué par les Noirs dans l’histoire. Cela donne des choses délirantes, comme la théorie expliquant que le nez du sphinx a été volontairement cassé afin de masquer le fait qu’il avait un visage noir. En ce qui concerne Cléopâtre, on ne connaît pas son ascendance du côté maternel. Le physique de l’actrice qui doit l’incarner, et la couleur de sa peau, sont donc sans grande importance. En revanche, affirmer que Cléopâtre était noire, c’est s’appuyer sur une thèse réfutée par les égyptologues et instrumentalisée par les complotistes. Le pire, c’est qu’il y a eu une dynastie nubienne en Egypte (la XXVe), il y avait l’embarras du choix en matière de pharaons et reines noires en Égypte. Mais Cléopâtre, évidemment, ça parle à tout le monde…

Pourquoi, en conclusion du livre, citez-vous cette phrase de l’acteur Morgan Freeman : "On mettra fin au racisme… en arrêtant d’en parler" ?

Morgan Freeman est bien placé pour savoir ce qu’est le racisme, ayant d’abord été confiné à des rôles réservés aux noirs. Cette phrase n’est ainsi pas une apologie de la "color blindness", ou indifférence à la couleur peau. Quand il dit ça, Morgan Freeman est dans le cadre d’une interview sur sa carrière d’acteur. Tout d’un coup, on lui demande : "comment mettre un terme au racisme ?". Sa réponse, "en arrêtant d’en parler", est une boutade. Freeman explique ainsi au journaliste : "Je vais arrêter de vous décrire comme un interviewer blanc, et vous, de me penser comme un acteur noir". Il ne dit pas qu’il faut arrêter de parler du racisme, de cesser d’étudier ses structures à l’université. Il dit simplement que quand, en toutes circonstances et parfois avec les meilleures intentions antiracistes, on ramène les personnes noires à un groupe, on reproduit les mécanismes du racisme, car on ne voit plus l’individualité.

A la fin des Damnés de la terre, Frantz Fanon n’écrit pas autre chose. Il souhaite ne pas avoir à porter toute l’histoire du peuple noir sur ses épaules, mais celle de l’humanité. Autrement dit : il veut être un humain comme les autres, c’est-à-dire, aussi, une personne singulière. Voilà l’horizon d’attente et de pensée qui est le mien. Il faut à la fois nommer et parler du racisme. Mais, en même temps, dans les rapports individuels, il faut se considérer mutuellement comme des personnes. En d’autres termes : sortir de l’essentialisme est une voie incontournable dans la lutte contre le racisme. Et elle requiert de voir les individus comme tels, et non comme les représentants interchangeables de tel ou tel groupe."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier "Antiracistes" racialistes (note du CLR).


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales