(Charlie Hebdo, 24 juil. 24) 31 juillet 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Comment, en deux ans, Éric Zemmour est passé de rock star des identitaires à loser politique. Et comment lui, le mâle français fier de l’être, s’est fait berner par deux femmes.
Lire "Maréchal contre Knafo : le zemmourisme fauché par deux gorgones"
Comment, en deux ans, Éric Zemmour est passé de rock star des identitaires à loser politique. Et comment lui, le mâle français fier de l’être, s’est fait berner par deux femmes.
Le brûlot envoyé début juillet aux militants de Reconquête ! est titré comme un roman de gare : « La Vérité sur l’affaire Marion Maréchal », signée Diane Ouvry, attachée de presse du mouvement d’Éric Zemmour. Sur une soixantaine de pages, cette proche du polémiste raconte par le menu comment la nièce de Marine Le Pen aurait organisé une OPA agressive sur le mouvement d’extrême droite ; une « histoire qui mêle la politique, la confiance, la déloyauté, l’opportunisme, le mépris et, à la fin, la chute d’une femme que chacun s’accordait à trouver très prometteuse », annonce l’auteure. Une série américaine, en somme.
On y découvre les intrigues politiques qui ont fracturé, l’année passée, le dernier-né des mouvements d’extrême droite. Comment Marion Maréchal aurait fait entrer les siens dans Reconquête ! avec l’objectif de satelliser le parti autour du Rassemblement national, avant de vouloir finalement remplacer purement et simplement Éric Zemmour à sa tête. Le document est vendeur, un produit marketing rédigé pour les militants, certes, mais aussi, peut-être surtout, pour les journalistes politiques. Un objectif : braquer les projecteurs sur Marion Maréchal pour tenter de justifier la seule véritable « chute » de l’affaire, celle d’Éric Zemmour, passé en deux ans de la figure d’intellectuel d’extrême droite, coqueluche des identitaires respectée de la droite réactionnaire, à candidat mineur, leader décevant et homme trahi.
Qui se souvient encore d’Éric Zemmour bateleur ? Du polémiste à la mode dont la petite jeunesse réactionnaire s’était alors éprise ? En 2006, celui qui n’était encore que journaliste au Figaro attirait plus de 1,5 million de personnes en moyenne devant On n’est pas couché, l’émission ring de boxe de Laurent Ruquier. Soit 26,8 % de part d’audience. Après s’être vu offert sa propre émission sur CNews, Éric Zemmour a tenté de faire sa mue, s’est changé en homme politique tendance identitaire libéral, plus à droite encore que le Rassemblement national. Et a abandonné ce qu’il savait vraiment faire : attiser les angoisses des Français, en direct à la télévision, protégé par le statut de chroniqueur.
Dans la fosse aux serpents
Candidat à la présidentielle en 2022, il réunit 7 % des voix, un petit score, certes, mais le plaçant à l’époque devant Les Républicains, plombés par Valérie Pécresse. Honorable. Mais « on ne s’improvise pas candidat à la présidentielle, confie à Charlie un ancien du mouvement, ex-membre des jeunes de Génération Z, aujourd’hui rangé du militantisme, qui a côtoyé de près le clan d’Éric Zemmour. Il a manqué sa transformation. Il a essayé de mettre des talonnettes, des cravates plus larges, des petites lunettes pendant ses discours, mais ça ne suffit pas. Ses erreurs l’ont rattrapé. » Effectivement, le naufrage a eu lieu : aux législatives anticipées, le parti de l’ex-rock star des identitaires reste abonné au 7, mais cette fois derrière la virgule, puisqu’il n’a réuni que 0,7 % des voix au terme d’un véritable chemin de croix.
En interrogeant les anciens membres de Reconquête !, tous répondant sous le couvert de l’anonymat – le milieu est petit, les rancunes tenaces -, on comprend rapidement que cette affaire est finalement assez peu celle d’Éric Zemmour, mais plutôt une histoire de rivalité entre deux femmes, Marion Maréchal, donc, et Sarah Knafo, la « compagne » informelle d’Éric Zemmour, candidate aux européennes, aujourd’hui seule élue Reconquête ! à Strasbourg.
Être pris entre les tirs croisés de deux femmes de pouvoir : un comble, pour l’auteur masculiniste du Premier Sexe. « Je pense que, finalement, Zemmour a été manipulé. Il décide d’assez peu de choses dans le mouvement, les affiches, les slogans, les personnes à mettre en avant, Éric Zemmour ne s’occupe pas du tout de ça. Entre les « marionnistes » et les « knafistes », l’entente n’a jamais été possible », nous confie un ancien de Reconquête ! aujourd’hui parti avec Marion Maréchal. Et pour cause : les deux femmes ne pourraient pas être plus différentes l’une de l’autre. Sarah Knafo, issue des quartiers populaires, énarque, femme de l’ombre, face à Marion Maréchal, héritière du clan Le Pen, députée à 22 ans, qui a fait toute sa carrière sous les projecteurs. Une source nous confie une anecdote édifiante : « Une année, Marion Maréchal avait organisé son anniversaire à Saint-Germain-des-Prés, le thème, c’était le tiers état. Marion est venue en aristocrate, Sarah en membre du tiers état. »
Dès l’université d’été organisée par le parti en 2023, « ça a commencé à chauffer. L’équipe de Marion est arrivée en voulant s’imposer, on se serait crus dans une cour d’école. Ça n’a fait que se détériorer durant les huit mois qui ont suivi », poursuit notre ex-Reconquête ! En septembre, le clan Maréchal « avance ses pions. Ils avouent désormais leur but à un cercle de plus en plus grand : mettre la main sur le parti au lendemain des européennes ou, s’ils n’y parviennent pas, tenter d’en créer un nouveau où ils essaieront d’attirer les militants de Reconquête ! », apprend-on dans le récit de Diane Ouvry. Exit Éric Zemmour des affiches de campagne, « Marion doit être seule », assure l’auteure. Pour notre ex-Reconquête ! désormais marionniste, « les zemmouristes essaient de sauver ce qu’ils peuvent, avec ce récit quasi fanatique autour d’Éric Zemmour, en créant un ennemi commun en la personne de Marion Maréchal. Mais on ne peut pas leur retirer que, c’est vrai, dès le début, Marion et ses équipes voulaient prendre le parti ».
Passation de pouvoir
Le texte de Diane Ouvry et les confidences des ex-Reconquête ! ont au moins le mérite d’expliquer cette scène surréaliste survenue au soir de la dissolution de l’Assemblée nationale. Marion Maréchal, face caméra, élue au Parlement européen, annonce vouloir entrer en négociation avec le Rassemblement national. C’est l’« union des droites » fantasmée par les militants. La mine d’Éric Zemmour, en arrière-plan, filmée par toutes les télés présentes ce soir-là, dévoile clairement sa surprise, et sa désapprobation. Le polémiste a l’air désemparé, presque perdu. Le lendemain, Marion Maréchal annonce qu’un accord avec le parti de sa tante est en bonne voie mais se fera sans Éric Zemmour. Le divorce est consommé.
Coup de maître de la tante : le RN annonce finalement le ralliement de Ciotti et refuse de s’unir avec Reconquête !, Marion Maréchal est lâchée. « Au RN, il y a beaucoup d’équipes et d’écoles différentes. Les Tanguy, les Chenu, qui détestent Éric Zemmour. Philippe Olivier, le beau-frère de Marine Le Pen et garant de la ligne actuelle, qui lui était favorable à un accord. Et puis il y a le facteur Bardella, qui a pu avoir peur d’une forme de concurrence. Marine Le Pen, elle, a fait mine de vouloir cette union, ça l’arrangeait politiquement d’enfoncer Zemmour », décrypte notre ancien militant repenti. Dans « La Vérité sur l’affaire Marion Maréchal », Diane Ouvry s’en donne à cœur joie, dépeignant une Marion Maréchal trahie, débarquant comme une furie au QG de Reconquête !, « se frappant la tête contre les murs » avant d’être exclue. Elle quittera le parti avec ses cadres les plus importants : Guillaume Peltier, Nicolas Bay, Laurence Trochu…
Qui a aperçu Éric Zemmour récemment ? « Politiquement, moralement, psychologiquement, nous allons beaucoup mieux aujourd’hui qu’il y a un mois. Nous sommes redevenus unis, nous parlons d’une seule voix », jurait-il dans un mail envoyé à ses adhérents ce mois-ci. Mais le polémiste s’est bel et bien éclipsé. « Selon mes informations, Zemmour va disparaître complètement pendant quelque temps. L’idée, c’est de resacraliser sa parole. J’ai entendu dire qu’il écrivait un livre… De toute façon, c’est ce qu’il fait à chaque fois. C’est le problème des knafistes : ils répètent tout le temps les mêmes erreurs », nous confie notre ancien militant.
Notons qu’il ne parle plus de « zemmouristes », mais bien de « knafistes » : l’ex-conseillère autrefois discrète est désormais une femme politique dans la lumière, et a l’air d’aimer ça. Son premier discours au Parlement européen a été largement diffusé sur les réseaux sociaux, une stratégie consciente particulièrement bien maîtrisée par les équipes de Reconquête ! « Elle va continuer à mettre en place une médiatisation puissante. Son communicant, c’est Samuel Lafont, un expert en la matière, poursuit notre source. À l’avenir, elle va prendre toute la place. » Et pour cause : son parti est vidé de ses cadres, les jeunes de Génération Z rejoignent Bardella, le RN est plus fort que jamais. « Elle sait qu’elle y serait persona non grata, alors elle va essayer de s’en sortir avec le parti que Zemmour a construit. C’est un petit royaume, mais c’est un royaume quand même. »
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