Contribution

"Manif pour tous"... Légitimes interrogations... (G. Georges)

par Guy Georges 7 juin 2013

Pendant cinq mois, une mobilisation conséquente de citoyens (et d’enfants) a eu comme mobile leur opposition au projet puis à la loi du "mariage pour tous".

Cette mobilisation a eu comme animateurs des militants affirmés de l’Eglise Catholique, celle-ci s’engageant dès le début, y compris avec des arguments outranciers (Cardinaux Barbarin, Vingt-Trois notamment).

Cette mobilisation avait un sens avant le vote de la loi (chacun est libre, y compris un mouvement religieux, d’affirmer ses convictions avant le vote d’une loi). Elle en a pris un autre le 26 mai alors que la loi, votée par le Parlement, admise par le Conseil Constitutionnel, était promulguée. Quelle signification ?

Deuxième interrogation. Comment l’Eglise catholique a-t-elle pu faire "monter" à Paris , à plusieurs reprises, des foules impressionnantes ?
(Deux moments ont permis d’en estimer le niveau, avec le plus d’exactitude possible : le "rassemblement statique" avenue de la Grande Armée, et celui du 26 mai esplanade des Invalides. Avec les prises de vues télévisées, un plan de Paris, il était aisé par un calcul élémentaire de donner un ordre de grandeur le plus approché de la réalité : environ 4 à 500 000 participants. C’est incontestablement un succès.)

1. L’Eglise Catholique a donc démontré avec force qu’elle peut s’opposer à la loi commune. C’est la première application - un test réussi - de sa définition de la "liberté religieuse".

Rappel : cette expression n’a pas d’existence juridique nationale ou internationale. Elle fut réinventée par le Concile Vatican II et décrite dans la déclaration "Dignitatis humanae" (décembre 1965) comme le "droit de la personne et des communautés à la liberté sociale et civile en matière religieuse". Sa définition : "Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience en public comme en privé." Son application : "les actes religieux par lesquels, en privé et publiquement, l’homme s’ordonne à Dieu transcendent l’ordre terrestre et temporel des choses".

Donc l’Eglise Catholique, au nom de la liberté religieuse, peut "légitimement", s’opposer à la loi commune (l’ordre temporel). Ce que le Pape Benoît XVI rappela en 2011 :"La liberté religieuse est le sommet de toutes les libertés."

2. Comment l’Eglise Catholique a-t-elle réussi à rassembler aussi fortement sur un mot d’ordre de refus de la loi ?

Où est sa" force de frappe" ?

  • L’UMP a pris parti en 2011 pour la "liberté religieuse" avec un zèle de néophyte (colloque sur la liberté religieuse en avril - circulaire Guéant en mai - association de cette "liberté" dans tous ses documents - programmes dont l’enseignement). S’il est probable que la quasi-totalité des manifestants votent pour ce parti, il est peu probable que celui-ci ait été la cheville ouvrière (on a surtout perçu ses divisions internes), d’où cet appel de M. Copé à leur endroit d’adhérer à son parti.
  • Les mouvements sociaux de l’Eglise (JOC, JAC, JEC) ? On ne les a guère entendus...
  • Les organismes extrêmistes comme Civitas ? Plutôt dissuasifs.
  • Reste un réseau, celui des établissements d’enseignement privés.

Celui-ci a déjà fait ses preuves en juin 1984. Il était le noyau de la "mobilisation" sous le nom de "Mobapel". A partir d’un slogan mensonger ("Défendre la liberté de l’enseignement", qui n’était pas menacée) les associations de parents (APEL) avaient consigne d’affrêter des cars et y faire monter tous les parents d’élèves...Et gare aux récalcitrants.

Un document atteste de l’initiative présente de ce réseau. Après avoir rappelé que "l’enseignement catholique est en désaccord avec une évolution législative ouvrant le mariage et la parentalité aux couples homosexuels", un "communiqué" du Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique, daté du 14 décembre 2012 et adressé à tous les directeurs diocésains de l’enseignement privé catholique se terminait ainsi : "L’Enseignement Catholique appelle chaque membre des communautés éducatives des 8 500 écoles catholiques à prendre part, en conscience et avec clairvoyance, au débat qui doit enfin s’ouvrir".

C’était clair, contraire aux dispositions du Code de l’éducation pour ces établissements sous contrat. Mais on n’y est plus à cela près. Le ministre fit les gros yeux et apparemment les ferma (il ne semble pas que les corps d’inspection soient allé contrôler ce qu’il se passait dans ces établissements comme le Code lui en fait obligation).

  • La communauté éducative, ce sont les parents, les élèves et les enseignants

Il y a une quinzaine d’années, le recrutement de ceux-ci était assez ouvert et l’Episcopat s’inquiétait d’une banalisation de son enseignement privé. Aujourd’hui, la formation, liée au recrutement est bien verrouillée. L’une et l’autre sont tributaires de la tutelle de l’Eglise, comme en témoignent la "charte de la formation de l’enseignement catholique" et "l’accord collégial", engagement dont dépend le recrutement auquel le futur enseignant n’ a pas intérêt à essayer de se soustraire. De même c’eût été pour lui vraisemblablement prendre de gros risques professionnels que de renâcler à obtempérer le 26 mai.

Faut-il rappeler que ces établissements, fers de lance probables de l’opposition à la loi, sont entièrement financés par l’impôt de tous (plus de 7 milliards d’euros par an), formation des personnels comprise ?

Faut-il rappeler qu’ils transgressent avec impudence les modalités et obligations liées à la passation de contrats avec l’Etat, fixées par le code de l’éducation, c’est à dire la loi ?

L’Eglise Catholique est même devenue arrogante. En témoigne le "nouveau statut de l’école catholique" adopté le 18 avril dernier par la Conférence des Evêques de France.

Le Code de l’éducation stipule que les établissements sous contrat doivent enseigner les programmes officiels, respecter la liberté de conscience des élèves et des enseignants et sont soumis au contrôle de l’Etat ? La belle affaire ! La "liberté religieuse" est au-dessus de tout cela.

Réponse des Evêques : "L’école catholique ne se situe pas sur une "ligne de crête" inconfortable entre mission publique et mission d’église ; elle naît au coeur de l’Eglise qui la met à la disposition de la société" (document de la Conférence des Evêques daté du 23 avril 2013). Rappelons-nous qu’il y a quelques décennies, elle justifiait son financement par l’Etat parce qu’elle "remplissait une mission de service public" !

Et le cardinal Vingt-Trois d’enfoncer le clou : "Nous n’avons pas fait la réforme des statuts de l’enseignement privé, mais la réforme de l’enseignement catholique. Il est d’abord confessionnel. Il a donc un caractère ecclésial."

Qu’attendent donc les autres religions pour en faire autant ? J’entends déjà les lycées musulmans Averroès ou Al Kindy affirmer : "Notre enseignement est d’abord confessionnel ; il a donc un caractère ecclésial."

Pourquoi se gêner ? L’Etat-tirelire ne bronche pas et paie...

Guy Georges
7/06/2013


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