Revue de presse

"Maisons hantées, sorcières, astrologie… Quand les médias légitiment le paranormal" (L’Express, 10 août 23)

(L’Express, 10 août 23) 14 août 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Souvent présenté comme un sujet léger et traité sous l’angle de témoignages humoristiques ou mystico-métaphysiques, l’ésotérisme n’est pourtant pas anodin et connaît risques et dérives.

Par Victor Garcia

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Lire "Maisons hantées, sorcières, astrologie… Quand les médias légitiment le paranormal".

"A l’heure où les technologies brouillent l’espace-temps et où les religions perdent de leur prégnance, les fantômes reprennent la main." On pourrait croire cette phrase tout droit sortie d’une série B. Elle figure pourtant dans le dossier de couverture du Figaro Magazine du 28 juillet, consacré aux maisons hantées. Le journal, qui suggère que les esprits existent bel et bien, affirme même que le phénomène "résiste à la science". Et pour cause, aucun chercheur ni travail scientifique sérieux n’est cité, uniquement des pseudo-spécialistes de l’occulte et des sondages n’ayant aucune valeur scientifique. "Pourquoi pas, après tout ? se défend Le Figaro, anticipant la critique. N’est-il pas admis par les sondages que 50 % des êtres humains ont perçu, à l’occasion de la mort d’un conjoint, des signes très clairs de la présence de celui-ci dans les jours et les semaines, parfois les années qui suivent ?"

Dans les médias, l’ésotérisme est rarement abordé de manière critique. Les analyses rationnelles et scientifiques font souvent place aux témoignages légers et humoristiques ou mystico-métaphysiques. "Même s’il existe une pluralité au sein des journaux, la plupart présentent l’ésotérisme sous un jour plutôt favorable. Et si vous regardez le nombre de ’pages vues’, les articles bienveillants rencontrent un plus grand succès que ceux qui sont critiques. Or les médias ont besoin d’avoir un lectorat", analyse Damien Karbovnik, docteur en sociologie, enseignant-chercheur en histoire des religions et spécialiste de l’ésotérisme contemporain à l’université de Strasbourg. L’article du Figaro Magazine a ainsi fait un tabac sur le numérique, rencontrant une forte audience et engendrant une centaine de nouveaux abonnements, selon une source interne.

Magazines féminins, radios, télévisions : tous ensorcelés

Si les vacances estivales et son manque d’actualité laissent la place à ces "sujets légers" dans les rédactions généralistes, la presse féminine, elle, les diffuse toute l’année. Marquée par l’"heuristique de naturalité" – le fait de croire, à tort, que tout ce qui est naturel est meilleur que ce qui est artificiel –, elle adopte un raisonnement similaire à l’ésotérisme en laissant entendre que, puisque tout ne peut pas être expliqué, le magique et le surnaturel peuvent exister. Les articles présentant les nombreux bénéfices – jamais prouvés – de pseudo-médecines (naturopathie, acupuncture, auriculothérapie, etc.) côtoient fréquemment les billets mettant en avant les pratiques occultes ou new age, sans plus de fondement scientifique.

Au milieu des indétrônables horoscopes figurent des sujets plus à la mode, comme la sorcellerie, portée par un marketing "féminisme et empowerment énergétique" : l’autonomisation et la prise de pouvoir de la femme par les énergies mystiques. Le groupe Hubert Burda Media (éditeur des versions allemandes d’Elle, du HuffPost et de Playboy) a ainsi publié, entre 2020 et 2022, une dizaine de numéros de New Witch ("Nouvelle Sorcière"), sous-titrés "Réveillez la sorcière qui est en vous" (grâce à "la puissance des rituels" ou à "la magie chamane"). Même la presse adolescente se laisse tenter. En octobre 2021, le magazine Julie proposait ainsi à ses lectrices de 10-14 ans un dossier sur les croyances ésotériques suggérant de pratiquer des séances de spiritisme "100 % de frissons", de tirer les cartes ou encore d’acheter "des grigris sans chichi", voire de les fabriquer grâce à un manuel "petite sorcière". Bingo !

La télévision s’illustre tout aussi bien. Un reportage diffusé en mai dernier sur France 3 (France Télévisions) faisait par exemple la promotion d’une entreprise qui installe des haut-parleurs dans des vignes afin de diffuser des "berceuses régénératives". Selon ses promoteurs, ce dispositif permet de protéger les plantes contre l’esca, une maladie du bois, et contre le stress hydrique. "Une alternative écoresponsable", sous-titre la chaîne, en lettres jaunes majuscules. Côté Radio France, le même sujet avait été abordé en 2020 sur France Bleu et en 2017 sur France Culture, à travers un reportage de cinquante-cinq minutes. Les deux médias affirmaient alors que "la musique a des pouvoirs sur les plantes", ce qui serait "prouvé par les découvertes de physiciens".

Les émissions de grande écoute sont tout aussi friandes de ces sujets, surtout quand ils sont incarnés par des personnages loufoques et éloquents. Le 7 janvier 2022, C à vous, France 5 (France Télévisions) invitait Natacha Calestrémé, ex-journaliste devenue star du développement personnel et du bien-être, afin qu’elle présente son concept d’"intrication psychique". "Les choses qui se passent sont des messages que l’on peut traduire, c’est troublant de voir que, quand quelqu’un à un problème de fuites, c’est souvent en lien avec quelque chose qui est caché, qu’il faut remettre au jour […]. Quand les personnes sont confrontées à un problème de chauffage, c’est tout ce qui touche le cœur et l’amour. Ça a l’air idiot, mais c’est étudié", assurait doctement celle qui se présente encore comme "journaliste scientifique" et qui apprend, dans ses ouvrages à succès, à faire appel à des "êtres de lumière" afin d’aider le lecteur à trouver le nom de son "guide".

Moins étonnant, on retrouve une multitude de voyants, médiums et autres spécialistes de l’occulte dans les émissions à scandale comme Touche pas à mon poste, de Cyril Hanouna, multicondamnée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle. L’occasion de séquences lunaires, comme celle, en janvier 2021, lors de laquelle l’un d’entre eux affirmait que le vaccin contre le Covid-19 était "peu efficace".

La responsabilité et la crédibilité des médias engagées

Pour chacun de ces exemples, aucune mise en garde, pas d’analyse critique ni de question permettant de vérifier les affirmations des adeptes promettant monts et merveilles. La technologie "miracle" de Genodics, la société à but lucratif qui diffuse de la musique dans des vignes, est ainsi le fruit des travaux de Joël Sternheimer, un "docteur en physique théorique", professeur à l’Université européenne de la recherche, affirment ainsi France Télévisions et Radio France. Pourtant, cette prétendue université a cessé son activité en 2007 et n’est pas hébergée par un site universitaire, mais sur Free.fr. Joël Sternheimer, qui a échoué au concours d’entrée au CNRS, n’a publié qu’une étude – dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences – qui n’a jamais été citée ni considérée par les physiciens, révèle une enquête de Numerama. Sa technologie n’a jamais fait la preuve de son efficacité. Quant à Natacha Calestrémé, ses propos ont été à maintes reprises démentis par des médecins et chercheurs, comme L’Express l’a montré dans une longue enquête. "Lorsque les médias parlent de l’écovillage de Findhorn, en Ecosse : je suis atterré de voir que de nombreux reportages ne rappellent jamais que la communauté a été fondée sur des principes reçus en ’canalisation’ par des ’devas’, des sortes d’esprits de la nature, et que cette communauté plébiscite volontiers les approches holistiques de la santé", ajoute de son côté Damien Karbovnik.

Le magazine Julie, qui conseille à ses lectrices adolescentes de "courir et de penser aux licornes" si le verre bouge tout seul lors d’une séquence de spiritisme, n’indique pas non plus que ce phénomène s’explique par l’effet idéomoteur, un mécanisme psycho-physiologique par lequel un sujet exécute des mouvements musculaires inconscients, décrit depuis des dizaines d’années dans la littérature scientifique. La presse féminine, elle, ne rappelle presque jamais que l’astrologie n’est pas une science et que ses prédictions ne fonctionnent pas, comme de nombreuses études, détaillées notamment dans l’ouvrage L’astrologie est-elle une imposture ?, de Daniel Kunth et Philippe Zarka (éd. CNRS), l’ont démontré depuis fort longtemps déjà. Elle préfère, sans doute, surfer sur une forme dévoyée du féminisme qui tente d’assimiler la science au patriarcat, afin de mieux mettre en avant l’ésotérisme, forcément plus féminin parce que nécessitant douceur et sensibilité.

Et pendant ce temps, l’ésotérisme prend de plus en plus d’ampleur dans la société. "Depuis la fin des années 2000, nous observons une explosion de ses formes et de sa visibilité sociale : l’ésotérisme n’est plus tabou, au contraire, il est devenu mainstream. Et la presse a participé à cette banalisation en y consacrant régulièrement des articles", estime Damien Karbovnik, qui dénonce aussi une mauvaise compréhension de ces sujets par les journalistes. Des manquements d’autant plus dommageables que ces pratiques, qui ont gagné la bataille de la popularité, tentent désormais de gagner celle de la respectabilité, alors que les cas de dérives sectaires ou, plus simplement, de promesses fallacieuses visant à vendre divers produits et conseils, se multiplient."


Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier L’Express "L’inquiétant essor de l’ésotérisme" (10 août 23), les rubriques Complotisme, Sectes (note de la rédaction CLR).


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